Cette jeune danse en prise directe sur la réalité contemporaine n'a rien à voir avec le ballet néo-classique qui continue son bonhomme de chemin. C'est un art en pleine mutation, suivi par un public dégagé des références au passé. Il a ses ténors, Jean-Claude Gallotta, François Verret, Dominique Bagouet, Régine Chopinot, Maguy Marin..., ses enfants terribles nés de la vague rock-punk comme Daniel Larrieu et Philippe Decouflé. Leurs créations, fortement individualisées, sont perçues à l'étranger comme un produit typiquement français. Signe des temps, ce n'est pas le Ballet de l'Opéra de Paris qui a représenté la France à Los Angeles, mais le groupe Émile Dubois avec Ulysse, ballet de Jean-Claude Gallotta.

Cette situation ne surprendra que les balletomanes irréductibles ou les béjartiens inconditionnels. Les autres spectateurs ont pu suivre, à travers le succès croissant du concours de Bagnolet, les étapes de cette évolution. Bagnolet est créé en 1968 pour répondre aux désirs des jeunes groupes intéressés par la danse contemporaine. Dans les années 70, il témoigne du choc produit par la modern dance américaine. Découverte de Nikolaïs, Paul Taylor, Cunningham. Carolyn Carlson s'installe à Paris et initie les danseurs à l'improvisation, la circulation d'énergie dans le corps, l'émergence des pulsions sous-jacentes. Découverte aussi du Japonais Hideyuki Yano et de son enseignement inspiré des arts martiaux et du yoga. Gros succès aussi de la danse-contact de Stève Paxton.

Les dix mesures de Jack Lang

– Les onze compagnies implantées en province deviennent des centres chorégraphiques régionaux.

– Création d'un fonds de promotion pour encourager les compagnies dynamiques (Gallotta, Bagouet, pour 1984).

– Mise en place du Théâtre contemporain de la danse à Paris.

– Création d'une commission consultative pour l'attribution des subventions.

– Réorganisation du Centre national de danse contemporaine d'Angers (CNDC).

– Entrée de la danse contemporaine au Conservatoire de musique de Paris.

– Création d'un département de danse (classique et moderne) au conservatoire de Lyon.

– Déblocage de subventions en faveur de la vidéo-danse.

– Grands travaux : transfert de l'école de danse de l'Opéra à Nanterre (projet Portzamparc), création de l'École nationale de danse de Marseille, nouveaux locaux pour le CNDC.

– Soumission au Parlement d'un projet de loi sur l'enseignement de la danse.

À la recherche d'un nouveau langage

Ces techniques sont digérées par de jeunes créateurs : Quentin Rouillier, Caroline Marcadé, Dominique Bagouet, François Verret. En 1975, c'est Merce Cunningham qui provoque l'engouement. Il est le révolutionnaire tranquille de la danse : en consommant la rupture avec la perspective à l'italienne, en faisant admettre l'idée qu'on peut occuper toute la scène comme les peintres modernes occupent toute la surface de la toile, il ouvre aux chorégraphes un champ d'exploration pratiquement illimité. Toute une génération s'engouffre dans la brèche. En 1980, au concours de Bagnolet, tous les essais s'inspirent du vieux maître, avec Jean-Claude Galotta, Kilina Crémona, Jean Pomares, Jean-Marc Matos.

La demande d'un enseignement moderne est telle que le ministère de tutelle et la ville d'Angers ouvrent en 1978 un Centre national de danse contemporaine (CNDC), que dirigeront Nikolaïs puis Viola Farber.

Mais, très vite, les jeunes chorégraphes français vont commercer à s'éloigner du modèle américain. Différence de culture, d'espace, de mentalité, leurs centres d'intérêt les mènent vers d'autres thèmes. Tandis que les Américains exploitent, magnifiquement d'ailleurs, l'abstraction et le « minimal », les Français préfèrent des expériences plus humaines, marquées par le psychisme et centrées sur les rites sociaux, pris surtout dans leur aspect négatif : non-communication, difficulté d'être, frustrations, contraintes, angoisse de l'enfermement de la solitude, se dénouant dans la violence ou l'inassouvissement. Dans la foulée de François Verret se profilent Bouvier et Obadia (compagnie l'Esquisse), qui retournent jusqu'à la torpeur primitive et redécouvrent l'usage des sens. Karine Saporta exprime le corps féminin, de la langueur à l'hystérie ; Josette Baïz analyse les perversions du désir ; Jacky Taffanel évalue le choc et le frottement des corps ; Catherine Riberres et Bernardo Monter explorent la frange du rêve éveillé, tandis que Maguy Marin dénonce la société de consommation dans une satire à mi-chemin entre l'expressionnisme et Hara Kiri.