C'est encore l'insistance avec laquelle la télévision s'attarde sur le visage en larmes de L. Brejnev lors de l'enterrement du général Grouchevoï ou montre son désarroi lors des obsèques de M. Souslov, offrant ainsi le spectacle d'un homme physiquement diminué et incapable de contrôler ses émotions — ce que les censeurs des médias n'avaient jamais autorisé jusqu'alors.

C'est enfin la parution dans la revue littéraire Aurora, consacrée au 75e anniversaire du secrétaire général, du portrait d'un vieil écrivain imaginaire « dont le talent est tellement loué que tout le monde le croit déjà mort ». Beaucoup reconnaissent dans cette description humoristique (la revue sera vite mise au pilon) le prix Lénine de littérature Leonid Brejnev.

Andropov

Faut-il voir, derrière ces manœuvres compliquées et sournoises l'imminence de la relève ? Il faut noter cependant que la liste des candidats — tous membres du bureau politique et protégés de Brejnev — a peu ou pas changé.

Ils s'appellent : Andreï Kirilenko, 76 ans, qui, absent pendant plusieurs mois par suite d'une maladie, réapparaît le 1er mai ; Constantin Tchernenko, 71 ans, qui a bénéficié d'une rapide promotion ; Mikhaïl Gorbatchev, 51 ans, benjamin du bureau politique ; ou encore, et surtout, Youri Andropov, 67 ans, chef du KGB jusqu'au 26 mai, jour où le præsidium du Soviet suprême le décharge de ses fonctions après l'avoir nommé l'avant-veille secrétaire du comité central, poste laissé vacant par la mort de Mikhaïl Souslov. Pour beaucoup, Y. Andropov apparaît comme le nouvel idéologue du parti, sinon le garant de la continuité.

Mais chacun sait qu'il est rare que les dauphins présumés aillent jusqu'au bout du parcours, étouffés qu'ils sont dans une direction collective ou supplantés par de plus jeunes qui attendent depuis longtemps leur heure.

Dans cette course au pouvoir, cependant, une nouvelle inconnue apparaît cette fois : c'est le rôle de l'armée, sans l'assentiment de laquelle aucune succession ne sera possible. La diffusion en mars 1982, à l'intention du grand public, d'une brochure du maréchal Ogarkov, chef d'état-major des armées, dans laquelle il condamne, de façon voilée, mais sans appel, les thèses officielles de la coexistence pacifique, montre que, de Grande Muette qu'elle était, l'armée se révèle de plus en plus comme une pièce maîtresse du système, confortée peut-être par l'exemple polonais.

Failles

Car, si cette fin de règne est marquée par des intrigues de palais, elle l'est aussi par les événements de Varsovie. Ceux-ci peuvent ébranler aussi bien les régimes des pays frères par l'effet de contagion que — en cas d'intervention militaire soviétique — la cohésion même du bloc.

La Roumanie ne cesse de répéter que « personne, aucun État ou groupe d'États, n'a et ne peut s'arroger le droit de dicter à un autre État indépendant et souverain le mode selon lequel il doit résoudre ses problèmes intérieurs ». La Yougoslavie montre toujours la même réticence à l'alignement inconditionnel à Moscou auquel se plient la RDA, la Hongrie, la Tchécoslovaquie et la Bulgarie.

En fait, c'est d'Occident que la première faille d'importance apparaît. Si la plupart des PC, et en particulier le français, ne ménagent pas leur soutien au Kremlin, le PC italien, lui, rompt littéralement les ponts. La mésentente durait depuis des années. Elle évolue presque jusqu'au divorce, après le coup d'État du 13 décembre 1981 à Varsovie, qu'Enrico Berlinguer condamne sans réserve.

Pour la Pravda, une telle réaction « équivaut à une assistance directe à l'impérialisme » et « à une aide à l'anticommunisme, à toutes les forces hostiles au progrès social ». En avril 1982, à quelques jours d'intervalle, Constantin Tchernenko et Youri Andropov soulignent « l'importance de l'unité idéologique et organisationnelle du parti » et affirment qu'« il n'y a pas de place pour des partis politiques qui seraient hostiles au système socialiste ».

Pologne

Un message qui vaut, bien sûr aussi, pour la Pologne, dont Moscou suit l'évolution avec une attention de tous les instants. Si, après des avertissements de plus en plus violents, l'URSS est parvenue, par Jaruzelski interposé, à casser la révolution conduite par Solidarité et à imposer — sans l'armée rouge — une remise au pas, elle n'entend pas relâcher son emprise et multiplie les rappels à l'ordre et les rencontres, pour contraindre Varsovie à pousser jusqu'à son terme la normalisation (Journal de l'année 1980-81).