La seconde arme, c'est le silence entre chaque communiqué. Un silence de plusieurs jours qui laisse la porte ouverte à toutes les hypothèses. Suprême ruse des Brigades : faire d'Aldo Moro non seulement la victime mais aussi l'acteur principal de ce drame.

À travers une trentaine de lettres manuscrites, lettres le plus souvent publiques adressées à tous les responsables de l'État, à sa famille, à ses amis, à Paul VI, Aldo Moro devient l'arme principale des terroristes. Leur objectif est de diviser le pays sur l'attitude à adopter.

Fermeté

Faut-il céder ou non ? À cette question, les Brigades veulent obtenir des réponses contradictoires, pouvant entraîner des secousses assez fortes. En fait de divisions, une seule est obtenue, entre la famille d'Aldo Moro d'une part et l'État d'autre part. La famille, très vite, réclame une négociation, mais en vain.

Le front de la fermeté, voulu surtout par le parti communiste, soutenu par la démocratie chrétienne, menacé seulement quelques jours par les socialistes plus favorables à une discussion, tient bon. La majorité des Italiens refuse une négociation qui aboutirait à la reconnaissance politique des Brigades rouges, et donc à davantage de violence.

Une solution humanitaire est recherchée en particulier par le pape, qui connaît personnellement Aldo Moro. Jean-Baptiste Montini était aumônier à la faculté lorsque Aldo Moro était lui-même étudiant en droit. Voilà ce qui pousse, et c'est exceptionnel, Paul VI à écrire à ceux qu'il appelle « les hommes des Brigades rouges ». Dans une lettre manuscrite de trois pages, abandonnant pour la première fois le nous traditionnel pour le je, Paul VI prie à genoux les terroristes de libérer sans conditions leur otage. Une démarche qui n'a aucun effet.

Il n'y a pas finalement de négociation, ou de discussion, entre l'État et les Brigades. Les BR, plus de cinq semaines après avoir enlevé Aldo Moro, précisent enfin à quelles conditions elles accepteraient de rendre vivant leur prisonnier : la libération de treize des plus connus des terroristes italiens, dont leur chef, Renato Curcio, jugé à Turin. Les partis et le gouvernement répondent « non » et précisent que ce non est définitif.

La fin

Un sondage les encourage dans cette voie. Plus des trois quarts des Italiens interrogés se déclarent hostiles à toute discussion. L'affaire Moro débouche sur une impasse. Aldo Moro adresse à sa famille au début de mai une lettre pathétique, dans laquelle il dit adieu à ses proches. Le mardi 9 mai, à midi, un coup de fil donné à l'un des proches amis d'Aldo Moro, le professeur Triffo, annonce l'exécution de la sentence et précise l'endroit où se trouve le corps. L'homme parle avec un fort accent romain. La police, qui a mis la ligne du professeur Triffo sur table d'écoute, se rend aussitôt à l'endroit indiqué, via Caetani, et retrouve le cadavre d'Aldo Moro dans le coffre d'une R4. Aldo Moro a été tué le matin même de deux rafales de mitraillette. Onze balles l'ont atteint dans la région du cœur.

L'annonce de cette découverte provoque en Italie un choc considérable. À Rome, plusieurs milliers de personnes se retrouvent devant la via Caetani, où le corps d'Aldo Moro a été abandonné. La voiture se trouve à une centaine de mètres du siège du parti communiste et à cent cinquante de celui de la démocratie chrétienne. C'est l'ultime défi des Brigades.

Dans l'après-midi, Francesco Cossiga, le ministre de l'Intérieur, donne sa démission. Les deux mois qui viennent de s'écouler ont démontré l'impuissance de sa police. Cela a commencé le jour même de l'enlèvement : pendant 45 minutes, les grands axes autour de la via Fani n'ont pas été bloqués. Autre exemple : dans le premier appartement découvert servant de cache aux Brigades, les terroristes avaient abandonné plusieurs documents confidentiels appartenant à la préfecture de police de Rome. Autant de légèreté laisse supposer ou bien beaucoup d'incompétence, ou bien des complicités dans l'appareil d'État Déjà, en août 1977, l'affaire Kappler avait été une bavure sérieuse. Francesco Cossiga décide d'« assumer » cette situation, en attendant une enquête plus approfondie.