L'ensemble des pays arabes de toutes tendances (à l'exception de l'Irak) désapprouvent les thèses du président libyen. Celui-ci, dès lors, boycotte la conférence que tiennent ses pairs à Alger à partir du 26 novembre, aggravant ainsi davantage son isolement.

Aides

Le colonel Kadhafi d'abord, la presse de Tripoli ensuite, révèlent que ces divergences fondamentales n'ont pas empêché la Libye de fournir pendant la guerre, aux deux pays belligérants, pour une somme totale de 711 millions de dollars, « des dizaines d'avions de combat, des centaines de chars, de nombreuses pièces d'artillerie, des installations de défense aérienne, etc. ». Il soutient, cependant, qu'il n'a livré aucun matériel français, mais uniquement celui qu'il a acheté, au comptant, en URSS.

Le colonel Kadhafi déclare en quelque sorte une guerre politique à tous les autres pays arabes. Le 28 décembre, il prône un soulèvement populaire contre tout État qui ferait la paix avec Israël et, le 10 février, il promet à tous les régimes qui font obstacle à l'unité arabe d'être « emportés comme fétus de paille ».

Dans la pratique, cependant, le président libyen réserve ses coups aux États-Unis, tant sur le plan politique qu'économique. Certes, les nationalisations (dans des proportions allant de 51 à 100 %) auxquelles il procède dans le domaine pétrolier font partie intégrante d'une politique à long terme qui consiste à asseoir l'indépendance de la Libye sur des bases solides, notamment en lui donnant les moyens de contrôler ses ressources d'hydrocarbures, de doser la production du brut et de la commercialiser librement en tenant compte exclusivement de l'intérêt national.

Cependant, cette politique lèse surtout les avoirs des compagnies américaines, qui protestent ainsi que le gouvernement de Washington, lequel, dès le 8 août, accuse Tripoli d'appliquer des mesures « politiques » et « discriminatoires ». Les États-Unis refusent, le 4 septembre, de reconnaître la validité des nationalisations. Le même jour, le représentant de Tripoli à une réunion de l'OPAEP réclame des mesures collectives contre les intérêts américains en terre arabe, tout autant contre les compagnies pétrolières qu'à l'égard du gouvernement américain.

Collusion

La Libye maintient, seule parmi tous les pays arabes, l'embargo sur l'exportation du brut aux États-Unis, malgré la décision, prise le 18 mars à Vienne par l'OPAEP, de supprimer cette mesure de rétorsion décrétée pendant la guerre d'octobre.

Tout se passe comme si le colonel Kadhafi tient à « administrer un vigoureux camouflet au visage arrogant de l'Amérique », menace qu'il avait formulée dans un discours public prononcé le 11 juin 1973. Le régime de Tripoli se radicalise, toutefois, d'une manière marquante dès l'automne, vraisemblablement pour prendre la tête, à terme, du mouvement progressiste arabe appelé à combattre la politique pro-américaine du président El-Sadate.

Le colonel Kadhafi continue de prôner un non-alignement qui ferait obstacle aux ambitions hégémoniques des deux supergrands, et critique sévèrement les États-Unis et l'URSS pour leur « collusion » dans le conflit israélo-arabe.

Cependant, il modifie sensiblement dans la pratique son attitude à l'égard des pays communistes. Il se rend, du 18 au 23 novembre, en Yougoslavie, avec laquelle il conclut divers accords, dont l'un prévoyant une assistance militaire aux forces armées libyennes. Le président roumain Ceaucescu est reçu chaleureusement à Tripoli le 14 février.

Coopération

Partout, le pétrole sert au colonel Kadhafi de monnaie d'échange pour l'acquisition d'équipement et d'assistance technique. Le président du Conseil Abdel Salam Jalloud parvient, avec cet atout, à conclure d'importants accords économiques, industriels et commerciaux avec la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hongrie, où il se rend, coup sur coup, en février. La visite qu'il accomplit en URSS du 14 au 25 mai est beaucoup plus significative, dans la mesure où le leader libyen la situe d'emblée sur des plans « idéologiques » et « politiques ». Le communiqué conjoint, publié à l'issue de la visite, appelle d'ailleurs à une coopération plus étroite entre l'URSS et le monde arabe. Jalloud assouplit les positions de son gouvernement en souscrivant à un texte qui ne remet pas en cause l'existence de l'État d'Israël, tout en reprenant les principales dispositions de la résolution 242 du Conseil de sécurité concernant l'établissement de la paix entre l'État juif et ses voisins.