Les deux mandibules trouvées en 1969 et 1970 montrent une assez nette ressemblance avec les fragments de mâchoires pré-néandertaliennes que l'on connaît déjà en Europe. Rapproché des crânes néandertaliens, celui de Tautavel — qui est, en fait, la partie antérieure d'un crâne, sans la mandibule — possède des caractères plus archaïques : mâchoire plus en avant, plus gros bourrelet orbitaire et front plus aplati.

On l'a comparé, d'autre part, aux fossiles pré-néandertaliens d'Asie et d'Afrique, c'est-à-dire aux Pithécanthropes, qui sont approximativement ses contemporains. Des ressemblances apparaissent, mais certains caractères sont moins marqués. Cela conduit à suggérer l'existence, avant les Néandertaliens, de groupes humains apparentés, mais évoluant de façon indépendante sur différents continents. On admettait déjà une origine polycentrique pour les hommes de type moderne. Il faudra l'envisager peut-être aussi pour les Néandertaliens, dont l'homme de Tautavel serait alors l'ancêtre indigène.

Une nouvelle anthropologie

Longtemps enfermée dans l'analyse individuelle — et personnelle — des restes osseux, l'anthropologie débouche aujourd'hui sur un panorama plus complet et plus objectif qui est à la veille de la renouveler profondément. Les mathématiques, les ordinateurs, le traitement par populations entières et non par individus, tout cela est en train de créer une vision nouvelle de l'humanité et de son évolution.

Au laboratoire de géologie du Quaternaire (CNRS) de Bellevue, Nicole Petit-Maire a pu ainsi montrer, en 1971, dans la revue l'Anthropologie, tout l'intérêt qu'il peut y avoir à sortir des méthodes classiques. Au lieu de considérer les restes des individus isolément et de les comparer un à un, on étudie chaque caractère à travers des populations entières à l'aide de graphiques et de statistiques.

Une image précise, complète, indiscutable, est ainsi obtenue sous forme de nuages de points. Toutes les populations peuvent être comparées objectivement de cette manière : non seulement les hommes, actuels ou fossiles, mais aussi, par exemple, les hommes et les singes anthropoïdes, ou encore l'ensemble des primates.

En considérant l'ensemble des primates actuels, homme compris, on est d'abord amené à confirmer les acquisitions antérieures de l'anthropologie. Porté sur un graphique pour telle ou telle relation donnée de caractères (largeur et hauteur du crâne, par exemple), l'ensemble des primates dessine un nuage de points certes ramifié, mais aussi continu et manifestement progressif. Les groupes les plus archaïques prennent place à une extrémité et l'homme à l'autre. Toutes les familles apparaissent unies le long d'une relation fondamentale où se retrouvent, en dépit de mensurations différentes, des individus de tous les groupes.

Une figure buissonnante

Mais les groupes s'écartent aussi de cette relation fondamentale. Ils dessinent plusieurs branches distinctes. Cette figure buissonnante permet d'abord une approche nouvelle de la taxinomie : elle rend clairement visibles les parentés plus ou moins grandes entre les groupes.

C'est ainsi que les gibbons apparaissent, sur les graphiques, nettement séparés des anthropoïdes auxquels on les rattachait. D'autre part, la question des tupaïdés, une famille très archaïque, peut être tranchée : on constate que leur nuage se confond avec celui des insectivores (des hérissons), étudiés eux aussi pour les besoins de la cause, et non avec celui des primates.

Rôle de la croissance

À l'inverse des hommes, ce sont les groupes de primates les plus primitifs qui restent le moins le long de la relation fondamentale. Mais non pas n'importe lesquels : les mensurations ont porté aussi bien sur des adultes que sur des jeunes. Or, partout, ce sont les jeunes qui restent sur la relation fondamentale et les adultes qui s'en écartent. L'étude n'a pas encore été poussée assez loin — les jeunes étant rarement ou manquant même dans certains groupes — si bien que l'on préfère parler d'individus de petite taille opposés à ceux de grande taille.