Poursuivant son assaut, il s'appuie sur tout le corpus des datations au carbone 14 d'Europe centrale pour démanteler la chronologie classique de l'évolution civilisatrice dans cette région. Il va lui-même fouiller dans les Balkans pour établir certaines liaisons stratigraphiques délicates et cela lui permet d'affirmer que l'âge du cuivre balkanique est autochtone, et non importé.

Faire reposer toute l'évolution des sociétés européennes sur des importations ou des migrations venues d'Orient était devenu une habitude. Il apparaît désormais que cette attitude était à la fois paresseuse et peu sûre.

L'affaire des dolmens bretons est venue se greffer sur ces démonstrations fracassantes. Des séries de datations ont été faites depuis des années sur du charbon de bois trouvé dans les chambres des dolmens. Les dates obtenues obligent à faire remonter les premiers de ces monuments au Ve millénaire avant notre ère, ce qui leur donne une belle avance sur les pyramides d'Égypte et fait d'eux les plus anciens édifices de pierre connus. L'idée a-t-elle été importée d'Espagne ? On ne sait. Il semble bien, en tout cas, que le phénomène soit essentiellement européen.

Comme pour confirmer ce bouleversement de tant de perspectives, les archéologues bulgares ont annoncé la découverte de documents recouverts d'une écriture primitive et datés stratigraphiquement d'une époque légèrement antérieure aux premières tablettes sumériennes. La grande question posée aux archéologues — pourquoi et comment les sociétés changent-elles ? — reprend une acuité nouvelle.

Le plus vieux crâne humain d'Europe

Le crâne humain découvert, le 22 juillet 1971, dans les Corbières, par l'équipe de Henry de Lumley, vient combler un vide important dans la connaissance des plus anciennes populations d'Europe. Les fossiles humains de plus de 100 000 ans restent très rares sur ce continent ; ils y sont, de plus, très fragmentaires. La paléontologie humaine a battu tous ses records lorsqu'elle a découvert en Afrique des Hominiens de plusieurs millions d'années. Mais on ignorait quel genre d'humanité vivait en Europe avant les Néandertaliens, prédécesseurs immédiats des hommes modernes.

On commence à le connaître. Avant 1971, deux découvertes avaient déjà été faites dans la même caverne, la Caune de l'Arago, près du village de Tautavel : une mandibule avec 6 dents en place, en juillet 1969, puis une demi-mandibule avec 5 dents, en juillet 1970. À cela s'ajoutent des dents isolées, des phalanges, des fragments de pariétaux. Aucune station européenne de la même époque n'a fourni autant de fossiles humains.

200 000 ans

Les restes ont été datés par les sédiments qui les contenaient et par les autres fossiles qui gisaient avec eux. Les sédiments ont été en grande partie apportés par le vent. Ils évoquent un climat sec, froid, et font penser au remplissage d'autres grottes datées de l'avant-dernière glaciation, le Riss. Mais le principal élément de datation a été la faune, et, parmi cette faune, un animal bien particulier : le hamster migrateur. Ce hamster vivait en France au Quaternaire, où il a évolué assez rapidement : on a distingué quatre stades évolutifs. Celui qui a été trouvé à Tautavel permet de situer les couches à fossiles humains dans le premier épisode froid du Riss, soit un âge d'environ 200 000 ans.

Parmi les autres animaux, on note une abondance de chevaux et de rhinocéros, espèces qui fréquentent les paysages ouverts. Jointe au froid du climat, cette faune permet de penser que la région était alors une steppe.

L'outillage est surtout en quartz. Il correspond au Tayacien, une industrie de la fin du Paléolithique inférieur. Plus de 20 couches d'habitat ont été repérées. Les hommes ont habité la caverne à plusieurs reprises, entre deux dunes amassées par le vent, une près de l'entrée, l'autre à l'intérieur.

Des pré-Néandertaliens

L'étude exhaustive du crâne de 1971 n'est pas encore faite. H. et M.-A. de Lumley disent seulement de leurs fossiles qu'il s'agit d'hommes pré-néandertaliens. Mais des perspectives intéressantes se dessinent déjà.