Hôpitaux, écoles et bureaux de l'État ferment. Devant cette pression, le gouvernement Bourassa ne cède pas. Forcé de réagir rapidement et fortement, le front commun porte un grand coup le 11 avril en décrétant un débrayage général et, cette fois, illimité, auquel même des injonctions ne pourront mettre fin.

Après dix jours de confusion dans le secteur public, le gouvernement Bourassa fait adopter par l'Assemblée nationale la loi 19 qui suspend, pour deux ans, le droit de grève dans la fonction publique du Québec et prévoit d'imposer par décret les conditions de travail. Plusieurs leaders syndicaux, dont les présidents de la CSN, Marcel Pépin, de la CEQ, Yvon Charbonneau, et de la FTQ, Louis Laberge, sont condamnés à la prison pour avoir incité les syndiqués à ignorer les décisions de la Cour.

Révoltés par la loi 19 et par l'incarcération de leurs leaders syndicaux, les travailleurs occupent du 9 au 15 mai des villes, des édifices de l'État, des postes de radio et de télévision. Le Québec s'installe dans l'illégalité. Ébranlé, le gouvernement cherche un compromis qui permettrait la libération des présidents des trois centrales syndicales, le 17 mai, et la reprise des négociations.

Après avoir interjeté appel le 23 mai, les trois chefs syndicaux recouvrent leur liberté. Ils reprennent le lendemain les négociations avec le nouveau ministre de la Fonction publique du Québec, Jean Cournoyer, également titulaire du ministère du Travail. Ce dernier a pris la relève de Jean-Paul L'Allier après la crise ministérielle qui a secoué le gouvernement Bourassa.

Durant tout ce temps, la principale centrale du Front commun intersyndical, LOCSN, est saignée du quart de ses membres (55 000 syndiqués) qui contestent l'idéologie marxiste véhiculée par leurs dirigeants. Regroupés autour de trois membres dissidents de l'exécutif de LOCSN, dont le vice-président, ils fondent, le 10 juin, leur nouveau mouvement, la Centrale des syndicats démocratiques (CSD).

Autocritique

Les radicaux de gauche, qui croyaient profiter des conflits syndicaux qui ont marqué la fin de l'année 1971 pour relancer une crise comme celle qu'a connue le Canada en octobre 1970, se ravisent, lorsque Pierre Vallières, chef présumé des révolutionnaires québécois, rompt avec le Front de libération du Québec (FLQ), en décembre.

Dans une autocritique radicale, intitulée L'urgence de choisir, qu'il fait parvenir au quotidien Le Devoir, de Montréal, il déclare que la violence du FLQ est devenue l'occasion que recherche le pouvoir pour écraser la libération du Québec.

Considéré comme courageux et capital par plusieurs hommes politiques, dont René Lévesque, chef du parti québécois, auquel se joint Pierre Vallières, ce geste désamorce l'agitation armée qui couve. En janvier, l'auteur des Nègres blancs d'Amérique se livre à la justice après cinq mois de clandestinité ; face à plusieurs accusations allant de l'incitation au meurtre à la sédition, il entreprend sa défense.

L'ombre des USA

La détérioration du climat social au Québec et dans certaines autres provinces, tel le Nouveau-Brunswick, n'est pas étrangère aux difficultés économiques du Canada. La surtaxe de 10 % imposée par les États-Unis sur les importations étrangères, le 15 août 1971, après l'effritement du dollar, oblige plusieurs grandes entreprises à réduire le nombre de leurs employés. Des milliers d'emplois disparaissent, forçant autant de travailleurs à recourir à l'assurance chômage pour survivre.

Le Canada, l'un des pays qui souffrent le plus de la politique américaine, joue depuis toujours un rôle de fournisseur des États-Unis. La majorité de ses exportations vers son voisin du Sud, qui se chiffrent à plusieurs centaines de millions de dollars, sont lourdement affectées.

Le Premier ministre Trudeau, rentré d'urgence à Ottawa après un court séjour en Yougoslavie, délègue deux de ses ministres à Washington pour convaincre le président Nixon d'épargner le Canada. La mission échoue. Tandis qu'Ottawa tente de plusieurs façons d'aider les industries canadiennes atteintes par la surtaxe, P. E. Trudeau revient à la charge auprès de Washington. Le 6 décembre, il se rend dans la capitale américaine où il a un entretien avec le président Nixon. Sa démarche est tardive, puisque les États-Unis abolissent la surtaxe quelques jours plus tard comme prévu.

Nationalisme économique

La rencontre Nixon-Trudeau n'est pas inutile pour autant, puisque le Canada en profite pour soumettre à l'imprimatur des États-Unis son projet de tamisage des corporations étrangères.