C'est l'impasse et les autres provinces réprouvent le troc qu'offre le Québec. Commencée dans le suspense, la rencontre de Victoria s'achève deux jours plus tard, le 16 juin, par une déception prévue. R. Bourassa, qui ne peut souscrire à la formule proposée, refuse même une dernière concession d'Ottawa qui aurait accordé une certaine primauté législative aux provinces.

Non à la charte

Malgré le désaccord Ottawa-Québec, les onze Premiers ministres établissent un projet de charte des droits fondamentaux comprenant, entre autres, un amendement à l'article 94 A de la Constitution qui ne coïncide pas avec les exigences du Québec.

Le Premier ministre Trudeau laisse aux provinces, dont le Québec, douze jours pour l'accepter ou le refuser. Les partis québécois d'opposition, intra- et extraparlementaires, pressent le gouvernement Bourassa de refuser la charte de Victoria.

Talonné de toutes parts, le Premier ministre du Québec donne une réponse négative à Ottawa. Tandis que l'opposition applaudit, les neuf autres Premiers ministres provinciaux avouent comprendre la position du Québec. Exaspéré, P. E. Trudeau demande à son ami Bourassa de l'aider à sortir de l'impasse. Pourtant, il annonce du même coup qu'il est peu probable qu'une autre réunion constitutionnelle se tienne dans un avenir prévisible.

Contestation

L'échéc de Victoria met d'abord fin à une entente tacite entre Ottawa et Québec, entente établie depuis l'élection de Robert Bourassa. Toutefois, dix mois plus tard, les deux gouvernements annoncent conjointement qu'un accord est intervenu en matière de politique sociale, en dehors du contexte de la réforme constitutionnelle. Québec, selon un projet, obtiendrait la primauté législative, tandis qu'Ottawa distribuerait les chèques d'allocations sociales, se réservant le contrôle de l'administration.

Le dossier n'est pas fermé pour autant. Dans un budget préélectoral présenté au parlement canadien par le ministre des Finances John Turner, le 8 mai 1972, Ottawa impose, sans avoir consulté le Québec, une hausse sensible des pensions aux vieillards. Particulièrement choqués par l'attitude du gouvernement fédéral qui met en péril toute la politique québécoise dans le domaine social, les ministres québécois des Affaires sociales, Claude Castonguay, et des Communications et de la Fonction publique, Jean-Paul L'Allier, remettent leur démission au Premier ministre.

Tous deux expliquent leur geste en brossant un tableau très sombre du contentieux Québec-Ottawa. Ils accusent le gouvernement fédéral d'empêcher la réalisation de politiques cohérentes dans le cadre des juridictions provinciales. Devant cette évidence, Robert Bourassa doit admettre, pour la première fois depuis deux ans, qu'il est très difficile de s'arranger avec Ottawa. Il prévoit donc une révision de la stratégie du Québec en ce qui concerne les négociations fédérales-provinciales.

Grève générale

Entre-temps, le Québec, partiellement paralysé par des grèves dans les secteurs public, parapublic et privé, sombre dans le chaos social. L'ampleur sans précédent de cette contestation syndicale force les deux ministres à retirer leur démission en attendant un retour à la normale de la situation. Néanmoins, ils affirment que la crise prend ses racines dans le fédéralisme inique que défend P. E. Trudeau.

Depuis le mois d'octobre 1971, de nombreux conflits sociaux éclatent. Trois grandes centrales syndicales, la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Corporation des enseignants du Québec (CEQ) et la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) vivent une crise de maturité.

Dans un processus de politisation qui remonte aux années 50, les syndicats profitent de conflits majeurs pour demander à leurs membres de radicaliser leur action en vue d'un renversement du système capitaliste.

C'est avec cet objectif qu'un front commun des trois centrales syndicales négocie depuis 1971 une convention collective pour 210 000 fonctionnaires. Il réclame une augmentation annuelle de 8 % et un salaire hebdomadaire de base de 100 dollars. Pour fléchir le gouvernement québécois, le front commun syndical déclenche, le 28 mars 1972, pour la première fois au Canada, une grève générale de vingt-quatre heures dans la fonction publique.