L'initiative d'un pas en avant revient donc aux partis d'opposition, qui, après une série de grèves générales ordonnées par la CGT, s'unissent pour publier un manifeste : « l'Heure du peuple ». Ce front commun, constitué en majorité par le mouvement national justicialiste (péroniste) et par les radicaux, demande le retour à la légalité des partis politiques, l'étude d'un statut régissant leurs activités et la fixation d'une date pour les élections générales.

Mais, surtout, plusieurs actions de guérilla hypothèquent gravement l'avenir du régime C'est d'abord l'enlèvement de l'ancien président de la République, le général Aramburu, dont on retrouvera le cadavre le 18 juillet. Le procès intenté à ses ravisseurs ne satisfera personne : le principal accusé rétractera devant le tribunal des aveux qu'il prétendra avoir été obtenus sous la torture. Par ailleurs, bien que l'on ne possède pas de preuves formelles, beaucoup de gens pensent que la police n'est pas étrangère à ce crime. La confusion qui s'ensuit affaiblit le gouvernement, accroît le malaise de l'armée et provoque des remous dans le clergé, les ravisseurs ayant partie liée avec le mouvement des prêtres du tiers monde.

L'assassinat de l'ancien secrétaire de la CGT José Alonso, favorable à une collaboration avec le régime militaire, l'attentat manqué contre le secrétaire général de l'Union ouvrière de la construction, obligent les syndicats à prendre leurs distances envers le pouvoir. Enfin, l'assassinat d'un commissaire responsable des affaires politiques de la police fédérale et l'enlèvement en plein Buenos Aires d'un avocat spécialiste des procès politiques démontrent qu'un climat d'insécurité répandu en Amérique du Sud, mais qui avait jusqu'alors épargné l'Argentine, tend à s'instaurer.

Affrontements

L'agitation qui reprend à Cordoba le 17 mars provoque de sanglants affrontements entre policiers et manifestants. Le souvenir du cordobazo de mai 1969 est encore trop proche pour que l'on ne craigne pas l'incidence que cette poussée de fièvre peut avoir sur tout le pays. Le président Levingston, partisan d'une répression dure, se heurte au général Lanusse, qui estime, à juste titre, que l'armée n'a rien à gagner à jouer les gardes-chiourme. Se sentant menacé, le général Levingston va essayer, brutalement et maladroitement, d'asseoir son pouvoir. Il destitue le général d'aviation Ezequiel Martinez, chef d'état-major des forces armées et secrétaire de la junte militaire, et il limoge le général Lanusse. Se privant ainsi de ceux qui auraient dû être ses soutiens les plus efficaces, le général Levingston se condamne.

Après avoir « fait et défait » les présidents de la République depuis la chute de Juan Perón en 1955, le général Alejandro Lanusse ne pousse pas, cette fois, un de ses compagnons d'armes au pouvoir. Il va lui-même cumuler le pouvoir exécutif et le pouvoir militaire.

Détente

Très rapidement, il amorce une détente en abrogeant, par décret, la loi de 1966 qui interdit les partis politiques. Les biens qui leur ont été confisqués leur seront rendus. Il entretient de bons rapports avec la CGT et les consolide en autorisant de nouvelles négociations des conventions collectives et en procédant à des améliorations de salaires de l'ordre de 30 % dans certains secteurs. Surtout, il fixe un délai de trois ans pour le retour à un régime constitutionnel et l'organisation d'élections libres.

Cette libéralisation est la conséquence de la détérioration de la situation économique que les militaires n'ont pu enrayer depuis leur prise du pouvoir en 1966. Le pouvoir d'achat a diminué de quelque 50 %. Pour l'année 1970, la hausse du coût de la vie a été de 21,7 %.

Les groupes terroristes ne désarment pas ; le consul britannique à Rosario, Stanley Sylvester, est enlevé le 23 mai ; il est libéré huit jours plus tard. Le 1er juin, des guérilleros attaquent une bourgade dans la province de Santa Fe.

Retour

Le constat d'échec est donc patent. Les militaires cherchent une issue honorable. Ils pourraient la trouver dans le péronisme, que la masse populaire a élevé au rang de mythe. À tout prendre, le péronisme constitue un moindre mal à leurs yeux que le marxisme qui menace l'Argentine si la situation économique continue de s'aggraver.