Mais dès la fin juillet, quand il est question d'une visite du chef du gouvernement turc à Moscou, Washington nuance sa position.

Au cours du même mois la Turquie entre dans le Marché commun pour la période transitoire et fin janvier elle retrouve en partie son statut de partenaire privilégié de Washington : « Faire partie de l'Alliance atlantique nous permet de ne pas rester isolés devant la menace », déclare S. Demirel.

Après les élections, en novembre, c'est Cevdet Sunay, président de la République, qui se rend à Moscou. Les échanges entre les deux pays s'élèvent pour l'année 1969 à 78 millions de dollars ; Moscou participe déjà pour 263 millions de dollars au complexe sidérurgique d'Iskenderun, et pour sa part Ankara admet le libre passage des navires de guerre soviétiques vers la Méditerranée.

Le séisme de Gediz : 1 086 morts

Un très violent séisme a frappé, le 28 mars, la province de Kütahya, à environ 250 km au sud d'Istanbul et 300 km au sud-ouest d'Ankara. Par sa magnitude de 7,4 (7 3/4 même d'après les calculs de l'Institut de physique du globe de Strasbourg), ce tremblement de terre prend place parmi les dix plus grands séismes qui se produisent en moyenne chaque année. La violence de la secousse est d'ailleurs confirmée par les innombrables répliques (dont au moins une ou deux ont été d'une magnitude supérieure à 6) qui ont ébranlé la région dans les semaines et même les mois qui ont suivi la catastrophe.

Ce sont les villages de la région de Gediz qui ont le plus souffert du séisme. Mais cette zone étant assez peu peuplée, on a dénombré 1 086 morts. Ce tremblement de terre a surpris les spécialistes, la région touchée n'était pas connue pour avoir subi des séismes importants. Les épicentres de la secousse principale et des répliques ne sont pas situés sur la grande faille anatolienne dont le re-jeu périodique a provoqué des catastrophes à répétition. De 1939 à 1953 on a compté cinq séismes majeurs qui ont tué 50 000 personnes le long de cette faille, dont 25 000 à 30 000 dans le seul tremblement de terre d'Erzincan, le 26 décembre 1939.

Inflation et grèves

Un profond malaise social pèse dès l'automne 1969 : grèves de la métallurgie, à la centrale Turk-Is et également dans d'autres secteurs. Elles sont dues pour l'essentiel à l'inflation monétaire (et démographique) qui a alourdi toutes les tentatives de décollage en compromettant au fur et à mesure les avantages sociaux accordés par le gouvernement. Ni le minimum garanti, ni la majoration du salaire des fonctionnaires et des pensions des travailleurs (de 50 à 70 %) n'ont amélioré la situation. En 1969-70, selon les organismes internationaux, la Turquie vient (après le Brésil) au deuxième rang des pays inflationnistes (augmentation des prix : 78 %).

La situation rurale n'est pas plus enviable. Les moyens de communication dans un arrière-pays de hauts-plateaux aux routes incertaines, les interférences — et peut-être la corruption — des burokrasie empêchent le développement agraire. 600 000 gens-sans-terre attendent la réforme promise après la chute de Mendérès, tandis que le quart des terres cultivées sont encore entre les mains de quelques familles. La grève des enseignants, trop peu nombreux dans les centres ruraux et souvent remplacés par les hojas (instituteurs religieux), témoigne aussi de difficultés qui risquent de peser lourd dans un avenir à court terme.

La crise qui a marqué la vie parlementaire turque tout au long de l'année n'est qu'un épisode du malaise politique latent depuis vingt-cinq ans. On a pu voir le parti majoritaire mettre en minorité son gouvernement, appuyer la renaissance du mouvement religieux, et le rétablissement des droits des politiciens frappés d'indignité nationale par la IIe république.

Aux élections du 12 octobre 1969, les sièges se sont ainsi répartis au Parlement : le Parti de la justice : 256 sièges ; le Parti républicain du peuple, 143 sièges ; le Gûven, 15 sièges ; le Parti de l'unité, 16 sièges ; le Parti turc du travail 2 sièges ; le Parti d'action nationale 1 siège et les 13 indépendants.

Pourrissement politique

La majorité doit compter avec les mouvements minoritaires dont certains sont très imprégnés d'une sorte de renaissance coranique, et d'autres fonctionnent comme des lobbies. Süleyman Demirel, malgré ses manœuvres nuancées (appui aux forces traditionalistes, encouragement d'une discrète tendance de gauche après l'exclusion de l'aile droite du Parti de la justice), est mis en minorité sur le vote du budget et démissionne en février 1970. Il constitue un nouveau gouvernement.