fétichisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


De l'allemand Fetichismus, forgé par Krafft-Ebing en 1893.

Psychanalyse

Position psychique perverse fondée sur le déni, c'est-à-dire la reconnaissance et le refus de reconnaître la réalité d'une perception – celle de l'absence de phallus de la mère, qui vaut comme signe de sa toute-puissance. Le fétichisme est corrélatif d'un clivage du moi (Ichspaltung(1)).

Sidéré par l'absence de pénis de la mère, le fétichiste dénie sa perception. Mais elle ne reste pas sans effet. Le fétiche, qui rappelle ce dont il est le signe (fourrure, nattes, talons aiguilles, sous-vêtements, etc.), est érigé comme le « substitut du phallus de la femme (la mère) auquel a cru le petit garçon et auquel [...] il ne veut pas renoncer »(2). Le phallus est présent, sous la forme du fétiche, et absent, puisqu'il ne vaut que comme substitut. Investi de la puissance d'affubler, ou non, la femme de cet attribut essentiel, le fétichiste regarde celle-ci comme un objet à la fois aimable et méprisable.

Freud repère l'importance du fétichisme en psychologie collective(3). L'érection de figures de la toute-puissance, variables selon les cultures – dieux, Führer, argent, marchandise (Marx), enfant-roi –, les croyances qu'elle provoque, les processus de déni qu'elle implique et les clivages du moi qu'elle entraîne éclairent le comportement singulier des tortionnaires-bons pères de famille sous les dictatures, et précisent les enjeux collectifs de certains agissements dans les sociétés démocratiques (culte de l'enfant-roi / pédophilie).

Christian Michel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Freud, S., Die Ichspaltung im Abwehrvorgang (1938 / 1940), G.W. XVII, le Clivage du moi dans le processus de défense, in Résultats, idées, problèmes II, PUF, Paris, 2002, pp. 283-286.
  • 2 ↑ Freud, S., Fetichismus (1927), G.W. XIV, Fétichisme, OCF.P XVII, PUF, Paris, 1991, p. 126.
  • 3 ↑ Freud, S., Totem und Tabu (1912), G.W. IX, Totem et tabou, chap. II, Payot, Paris, 2001.

→ défense, déni, différence des sexes, guide, masse, phallus




fétichisme de la marchandise


En allemand : Warenfetischismus, Fetischcharakter der Ware.

Politique

Dans la théorie marxiste du capital, réification des produits du travail humain sous forme de marchandises.

La notion de fétichisme de la marchandise a son origine dans l'analyse du processus de production capitaliste engagée par Marx dès les Manuscrits de 1844. Dans le troisième manuscrit elle apparaît à trois reprises pour désigner l'attachement aux formes objectives de la richesse (la terre, l'argent métal)(1) par opposition au rôle d'équivalent universel de l'argent analysé dans le Capital. Elle repose sur l'analyse de l'aliénation du produit du travail humain dans le premier manuscrit : « L'objet que le travail produit, son produit, l'affronte comme un être étranger, comme une puissance indépendante du producteur »(2). Le fétichisme est indissociable de la forme marchandise que prennent tous les produits du travail. En tant que tels ils sont complètement déconnectés des rapports sociaux de production et se présentent comme de pures choses, apparemment naturelles. Il s'ensuit que dans le mode de production capitaliste les relations entre les hommes passent non seulement par mais aussi pour des relations entre des choses – qu'ils s'aliènent en relations entre des choses. La notion de fétichisme de la marchandise recouvre globalement la même réalité que celle de réification, c'est-à-dire une situation dans laquelle les rapports sociaux, qui sont des rapports historiques, apparaissent comme des rapports naturels. L'argent est, en tant qu'équivalent universel entre les produits du travail, la forme extrême du fétichisme de la marchandise. C'est donc dans le capitalisme que ce dernier se déploie pleinement. Dans les Manuscrits de 1844, Marx note déjà que « la réalisation du travail se révèle une perte de réalité » ; c'est l'origine du terme de fantasmagorie qu'il utilisera dans Le Capital. La « forme fantasmagorique d'un rapport entre des choses » y atteint un degré de déréalisation tel que les individus ne sont plus « socialisés » par les produits de leur travail mais par la valeur de ces produits sur un marché capitaliste complètement déconnecté de leur réalité utile (valeur d'usage) et de leur signification sociale. L'économie immatérielle issue des nouvelles technologies porte ce phénomène à son paroxysme. Un lien important entre l'œuvre de jeunesse de Marx (les Manuscrits de 1844) et le Capital mérite d'être relevé car il atteste la continuité de la problématique de l'aliénation, qui s'origine dans la critique de la religion. Dans le premier manuscrit de 1844 Marx compare déjà l'aliénation du produit du travail (et celle du travailleur dans ce produit) avec la religion : « De même que dans la religion l'activité propre de l'imagination humaine, du cerveau humain et du cœur humain, agit sur l'individu indépendamment de lui [...] ; de même l'activité de l'ouvrier n'est pas son activité propre. Elle appartient à un autre, elle est la perte de soi-même »(3). Dans le Capital, il confirme que « pour trouver une analogie à ce phénomène [le fétichisme attaché aux produits du travail], il faut la chercher dans la région nébuleuse du monde religieux ».(4).

Gérard Raulet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Marx, K., Manuscrits de 1844, Éditions sociales, Paris, 1972, pp. 79, 82, 106.
  • 2 ↑ Ibid., p. 57.
  • 3 ↑ Ibid., p. 60.
  • 4 ↑ Marx, K., le Capital, livre I, Éditions sociales, Paris, 1983, p. 83.

→ aliénation, religion, valeur