Jules Chancel

Amérique latine

Entre la guerre de la drogue en Colombie et la révolte des pauvres au Venezuela, l'actualité politique, pourtant abondante, se trouve reléguée au second plan, derrière deux conflits qui semblent resurgir d'un autre âge.

Depuis l'assassinat par la mafia de la drogue du sénateur Galan, candidat à l'élection présidentielle, la Colombie connaît un véritable état de guerre. Le président Virgilio Barco tente une difficile reconquête du pouvoir légal face aux trafiquants du « cartel de Medellin », qui règne en maître, par la corruption et la terreur, sur un empire de la cocaïne tissé, via la Floride, entre les centres de production du nord du pays et le marché de consommation des États-Unis.

À la mobilisation de l'armée, au couvre-feu, aux milliers d'arrestations, aux extraditions, dont celle du présumé trésorier du cartel, les narcos répliquent par des bombes et par des meurtres qui visent tout particulièrement la presse et la justice. À court terme, l'aide des États-Unis et de la France, après la visite de soutien du président Mitterrand, évitera peut-être la défaite et l'octroi d'une amnistie. Mais il restera à régler le problème de fond d'un paysannat andin (cela concerne également la Bolivie et le Pérou) pour lequel la culture de la coca constitue le seul espoir de survie.

La question de la drogue est donc en fait indissociable de la crise économique, entretenue par la spirale de la dette et de l'inflation (1 500 % au Brésil) : les émeutes de la misère à Caracas ont témoigné de l'exaspération des tensions urbaines, consécutives aux mesures d'austérité. Elles ont incité les États-Unis, à travers le plan Brady, à soulager l'Amérique latine d'une partie de son passif.

Le Mexique a été le premier à bénéficier ainsi d'une réduction de 35 % sur les 54 milliards de dollars de sa dette privée. Il en résulte un allégement du service annuel de cette dernière supérieur à 2 milliards, qui vient conforter l'évolution favorable du pays à la fois sur le plan économique (recul du protectionnisme et de l'inflation) et politique (mise au pas de la mafia syndicale du pétrole, première reconnaissance d'une victoire de l'opposition dans sa lutte pour obtenir un poste de gouverneur).

Il ne s'agit pas d'une exception. À l'inverse du marasme économique persistant, l'amélioration du climat politique tend à dominer le continent : les élections libres remplacent les coups d'État, la négociation l'emporte sur la guerre.

Au Nicaragua, les accords de Tela entérinent la paix et promettent des élections démocratiques pour 1990. En Argentine, le vote en faveur du péroniste Carlos Menem suscite bien des questions, mais les mesures d'amnistie en faveur des militaires et le rétablissement de relations consulaires avec la Grande-Bretagne témoignent au moins d'une volonté d'action. Au Chili, malgré le maintien assuré du général Pinochet comme responsable militaire, les élections de décembre annoncent la fin du régime. Une évolution que le Paraguay vient de parachever, après 35 années d'attente, avec la chute de Stroessner et les premières élections libres depuis 61 ans... Au Panama, enfin, les États-Unis ont lancé en décembre une vaste opération militaire pour arrêter le général Noriega, permettant ainsi à M. Guillermo Endara, vainqueur de l'élection présidentielle du 7 mai, d'entrer en fonctions.

Mais trois graves inconnues subsistent : au Pérou, laminé entre la déliquescence du pouvoir officiel et la violence de la guérilla du « Sentier lumineux » ; au Brésil, où le successeur de Sarney devra faire face à l'échec de tous les plans économiques et à la montée de la violence ; et au Salvador, où le Front Farabundo Marti, lié aux sandinistes du Nicaragua et au régime cubain, a lancé, entre le 11 et le 22 novembre, une « Offensive nationale » meurtrière contre la capitale.

Et un point noir demeure : Cuba, où le régime castriste fête le trentième anniversaire de la Révolution dans la grisaille économique et la sclérose politique, étranger à toute perestroïka.

Alain Vanneph