Mais, dans le même temps, les particularismes des États associés se sont opposés au souhait d'intégration de Moscou. Les Roumains l'ont fait, afin de maintenir l'autonomie de leur planification et ont plaidé pour leur propre conception de la solidarité socialiste ; les Hongrois, pour poursuivre leur socialisme de marché impliquant, à l'intérieur, une décentralisation économique et, à l'extérieur, une ouverture vers les pays occidentaux. Quant aux Allemands de l'Est, ils se sont efforcés d'écarter toute contrainte pouvant compromettre à terme les très avantageux liens commerciaux qu'ils avaient noués et développés avec l'Allemagne de l'Ouest. Certes, tous les participants de la réunion ont adhéré au souci majeur des Soviétiques qui voulaient condamner à cette occasion, selon l'expression de Constantin Tchernenko, « l'épreuve de force que nous imposent les États-Unis ». Mais, sur la voie de l'intégration économique, la progression n'a pas été spectaculaire. Connaissant les obstacles, les dirigeants de Moscou pratiquent, en effet, en ce domaine une « politique des petits pas », faite de pressions constantes et qui s'ingénie à utiliser à leur profit les difficultés de leurs voisins.

L'abcès polonais

Le meilleur exemple à cet égard a été fourni par le vaste programme de coopération économique et technique que le général Jaruzelski a signé le 4 mai à Moscou et qui lie plus étroitement que jamais la Pologne à l'URSS, jusqu'à la fin du siècle. Avec son endettement, l'effondrement de son économie et le boycottage de l'Ouest, le pouvoir de Varsovie n'avait pas d'autres recours que celui de se tourner vers le Kremlin.

À l'appui de cette démarche, le général Jaruzelski a prononcé dans la capitale soviétique un éloge de l'« internationalisme » que l'on n'avait plus coutume d'entendre depuis longtemps dans la bouche d'un leader de l'Europe orientale : « Le patriotisme et l'internationalisme sont deux frères jumeaux. » Phrase troublante, en effet, car, dans la terminologie du Kremlin, l'identification du patriotisme avec l'internationalisme aboutit toujours à donner un avantage au second terme par rapport au premier. Mais le général Jaruzelski n'en est pas resté là, il a ajouté : « La sécurité et l'avenir de notre peuple, de notre État et de nos frontières tiennent à nos liens étroits et indestructibles avec le grand État soviétique. »

Pourtant, ces belles paroles d'allégeance n'ont pas pu effacer la singularité de la Pologne dans le bloc de l'Est. Et le même général Jaruzelski a eu, à cet égard, une phrase significative, à Moscou : « L'État socialiste polonais a trouvé assez de courage et de clairvoyance pour mettre un terme, par ses propres forces, à la vague destructrice de la contre-révolution. » En un mot, le pouvoir polonais est habilité à régler ses propres problèmes et dispose, à cet effet, d'une marge de manœuvre, même si les dimensions de celle-ci ne sont pas définies et peuvent être à tout moment contestées.

Dilemme

La traduction la plus éclairante de cette réalité a été l'amnistie votée le 21 juillet, en faveur des prisonniers politiques et notamment des onze — quatre membres de l'ancien KOR (comité d'autodéfense sociale) et sept membres de la direction de Solidarité — sur le sort desquels les autorités hésitaient depuis longtemps.

Avant de se rendre à Moscou, en mai, le général Jaruzelski avait essayé de régler à son avantage la situation de ces hommes. S'il ne souhaitait pas les libérer, il ne voulait pas non plus les juger. Sur quelles bases, en effet, pouvait-il instruire un procès contre Adam Michnik, Jacek Kuron, Hendryk Wujec et Zbigniew Romaszewski pour leur action dans le cadre du KOR, alors que cette organisation s'était dissoute en septembre 1981, c'est-à-dire bien avant le coup de force militaire du 13 décembre de la même année ? De même, comment pouvait-on faire comparaître devant un tribunal les sept membres de la direction de Solidarité qui avaient été légalement élus au terme du congrès du syndicat libre, en octobre 1981, et alors que tous leurs compagnons — Lech Walesa en tête — avaient été précédemment libérés ?