Michel Garibal

Belgique

Priorité à l'économie

Deux hommes dominent l'actualité belge en 1984, deux marginaux de la vie politique et publique, indépendants des familles politiques traditionnelles, qu'ils ont finalement ralliées après quelques remous et coquetteries, et non sans avoir brouillé quelques cartes et tactiques.

Combien différents, tant par le tempérament que par la pratique et l'idéologie (l'un se fait l'apôtre d'un radicalisme linguistique autonomiste wallon, l'autre flirte avec l'extrême droite et Jean-Marie Le Pen), le socialiste José Happart et le libéral Roger Nols sont incontestablement les deux vedettes de l'année 1984.

Ils ont affronté victorieusement le test de popularité des élections européennes, où ils ont respectivement obtenu 234 996 et 92 969 voix de préférence. Par comparaison, le « champion » flamand, le ministre des Relations extérieures Leo Tindemans, a atteint le score de 338 907 voix, dans un collège électoral nettement plus fourni en électeurs.

Des européennes nationales

En Belgique comme partout ailleurs, l'élection du 17 juin au Parlement de Strasbourg aura essentiellement eu une portée nationale pesant sur la politique intérieure.

La coalition au pouvoir perd des plumes en Flandre par le recul du PVV (des libéraux trop empreints de néolibéralisme ?) et du CVP (des chrétiens-démocrates trop craintifs ?). Par contre, les formations francophones de la même majorité nationale ont tenu le coup en Wallonie et à Bruxelles, les libéraux allant même jusqu'à reconquérir le titre de premier parti de la capitale, où la formation linguistique jusqu'alors dominante, le FDF, est à présent en chute libre.

Le phénomène le plus marquant, qui peut avoir des effets sur la politique de demain, est cependant la progression des socialistes, actuellement dans l'opposition, et ce principalement en Flandre, où ils ont été habilement à l'écoute du mouvement social et pacifiste, où ils se sont davantage marqués sur le plan linguistique... et où ils ont bénéficié de la déchristianisation de la population.

Le parti socialiste est aujourd'hui, et pour la première fois de son histoire, la première formation politique de la Belgique, avec 1 743 045 électeurs (30,4 % de l'électorat). Il devance le champion en titre, la famille chrétienne-démocrate, qui est tombée à 1 570 138 voix (27,4 %), et les libéraux (1 035 182 voix, 18 %). Si ce phénomène se répétait aux élections législatives prévues pour 1985, les socialistes pourraient logiquement briguer le poste de Premier ministre (traditionnellement dévolu à la formation la plus puissante)... et renverser l'actuelle coalition.

On notera aussi, pour les européennes, la poussée du mouvement écologique. Les Verts se rapprochent du demi-million d'électeurs (ils sont 467 584, soit 8,2 %), mais ils restent un phénomène limite aux grandes agglomérations.

Record de longévité

Le gouvernement Martens-Gol associant les chrétiens-démocrates et les libéraux n'en est pas moins en train de battre des records de longévité. Il faut, en effet, remonter vingt ans en arrière (à la coalition des socialistes et des chrétiens-démocrates de Théo Lefèvre et de Paul-Henri Spaak) pour retrouver un gouvernement passant le cap des trois années de survie. L'équipe au pouvoir ira même plus loin, puisqu'elle a décidé de porter la date officielle des prochaines élections législatives au 8 décembre 1985. Sauf accident...

« Cette stabilité, nous disait le Premier ministre Wilfried Martens le 18 septembre, est un test de crédibilité pour notre pays. » À l'intérieur, elle est « le symbole du retour à une série de valeurs démocratiques », allusion aux multiples crises style IVe République que la Belgique a vécues dans les années 70 et au début de cette décennie. À l'étranger, elle est « le signe d'une nouvelle confiance ».

Cette durée accentue, cependant, l'usure de l'équipe au pouvoir et la lassitude de l'opinion. Celle-ci demande des visages nouveaux — d'où le remaniement intervenu à la fin de l'année, à l'occasion du départ du vice-Premier ministre libéral flamand Willy De Clercq à la Commission des Communautés européennes. Elle réclame aussi une politique nouvelle qui mobilise les énergies autour de thèmes nouveaux, plus porteurs que les sacrifices, ponctions dans les traitements et salaires et impôts nouveaux, qui ont marqué plusieurs années d'austérité.

Flexibilité de l'emploi

Ce besoin diffus de changement et d'espérance s'est traduit dans le baromètre trimestriel de l'opinion publique de l'automne. Le Premier ministre y enregistre, pour la première fois, une chute sensible de popularité, tandis que les principales figures de l'opposition font de nouveaux progrès.