Jean-Marie Vodoz

URSS

La longue transition

L'année 1984 en URSS aura bien été celle du totalitarisme achevé et tout-puissant, mais aussi une année d'attente entre un passé lourd de problèmes accumulés et un avenir encore incertain, annonciateur de changements.

Le nouveau maître

Elle est d'abord marquée par un nouvel épisode de la crise de succession ouverte par la mort de L. Brejnev en novembre 1982 — en fait un peu plus tôt par la disparition de Mikhail Souslov, faiseur de rois depuis un quart de siècle et dont l'absence a déséquilibré le rapport des forces au sommet de la hiérarchie.

Iouri Andropov, désigné comme secrétaire général en novembre 1982, puis comme chef d'État en juin suivant, a vu son état de santé se détériorer constamment, au point de devoir renoncer à toute apparition physique à partir d'août 1983. Le 9 février 1984, il s'éteint, ce qui permet à son rival malheureux écarté quinze mois plus tôt, Constantin Tchernenko, de parvenir au pouvoir suprême.

Le 13 février, ce dernier est désigné comme secrétaire général du parti, apparemment sans opposition, la vieille garde du Politburo jugeant encore prématuré de passer la main aux membres plus jeunes de l'équipe. On apprendra quelques jours plus tard que Mikhaïl Gorbatchev, benjamin du Politburo à 53 ans, a lui aussi approuvé ce choix devant le Comité central.

Mais ce nouveau règne s'annonce dès l'abord comme éphémère et peu personnalisé. À 73 ans, Constantin Tchernenko ne peut compter que sur un mandat de quelques années tout au plus ; il souffre d'un emphysème aigu qui limite ses activités et rend tout déplacement très difficile. Même si, après une longue période d'inactivité en été, une amélioration de son état de santé à partir d'octobre lui permet de se manifester un peu plus fréquemment, il n'accomplira aucun voyage officiel en 1984, ni à l'étranger ni dans les provinces soviétiques.

En outre, son manque d'expérience des problèmes (il n'a jamais, à la différence de tous ses prédécesseurs, dirigé une grande administration d'État ou une organisation du parti dans une province ou une république, et ses rares rencontres internationales se sont presque toujours déroulées dans l'ombre de son protecteur, L. Brejnev) l'oblige à s'en remettre à d'autres pour la conduite des affaires : notamment à Andrei Gromyko pour la diplomatie et à Dimitri Oustinov pour les problèmes de défense. C'est donc plutôt une troïka formée par ces trois hommes qui tient les rênes du pouvoir.

Or, la disparition, en décembre, du maréchal Oustinov, ministre de la Défense, porte un nouveau coup à ce fragile équilibre en réduisant encore la part de la vieille garde dans un Politburo réduit à 11 membres. Désormais, seuls C. Tchernenko, A. Gromyko, ministre des Affaires étrangères depuis 27 ans, N. Tikhonov (encore chef du gouvernement à 79 ans), Victor Grichine, chef du parti à Moscou depuis 17 ans, se rattachent encore à cette catégorie à l'échelon central.

La prudence du Kremlin

Cette situation se traduit en politique intérieure par une ligne de continuité reprenant des éléments des deux règnes précédents. De L. Brejnev, on retient l'immobilisme institutionnel et le conservatisme idéologique ; de Y. Andropov, un accent plus fort mis sur la discipline du travail et la recherche de l'efficacité dans les structures existantes. Dans un discours prononcé le 10 avril, à la veille de sa nomination au poste de président du Præsidium du Soviet suprême (chef de l'État), Constantin Tchernenko se prononce contre l'« ankylose » au niveau des cadres dirigeants, mais en même temps contre leur « remplacement fréquent ». À propos de la réforme des méthodes de gestion, le nouveau secrétaire général a souhaité, le 2 mars, à la veille des élections au Soviet suprême, une « restructuration à grande échelle du mécanisme économique ». Mais cela doit aller de pair avec un « renforcement de la planification centralisée » et un combat contre le « particularisme local ».

Au total, la seule innovation enregistrée dans ce domaine au cours de l'année sera, en juillet, l'extension à 21 nouveaux ministères (sur un total d'une centaine) d'une expérience mise en route un an plus tôt par Andropov pour cinq ministères. Il s'agit d'« encourager les droits et responsabilités des entreprises » et de perfectionner les indicateurs qui rendent compte de leur activité, mais sans affaiblir leur lien avec les administrations centrales et tout particulièrement avec le comité d'État au Plan (Gosplan).