Mais ces jeux du dompteur et du fauve (le Conseil fédéral essayant, par la douceur et la menace, d'apprivoiser le corps électoral) sont devenus habituels. Le 25 février 1978, le souverain accepte, dans une version du reste édulcorée, l'article conjoncturel qu'il avait refusé le 5 mars 1975. Désormais, la Confédération disposera, grâce à ce nouvel aménagement constitutionnel, de quelques pouvoirs supplémentaires en vue de lutter contre les paralysies ou les surchauffes de l'économie nationale.

Valeur refuge

Il faut bien constater, au demeurant, que l'économie nationale résiste aux tempêtes avec une extraordinaire vigueur, et bien plus par la solidité des entreprises que par la très aléatoire protection de l'État. Valeur refuge, la monnaie suisse ne cesse de grimper. Le 20 février, le dollar américain est bradé, en Bourse de Zurich, à 1,82 FS. Les exportateurs expriment de nouveau leur inquiétude. Logiquement, leurs produits deviennent beaucoup trop chers pour résister, sur les marchés mondiaux, à la concurrence européenne, japonaise, américaine. Logiquement, oui. Pratiquement, non.

L'industrie suisse a fait des compressions de personnel (dont les principales victimes ont été les ouvriers étrangers). Elle a rationalisé, de manière draconienne, sa production. Elle bénéficie d'une inflation quasi nulle. Elle parvient à maintenir la qualité de sa fabrication et de ses services. Résultat paradoxal, mais constant : elle ne perd pas ses clients, et ses machines tournent. Avec, naturellement, de déplorables exceptions. Le 22 mars 1978, on apprend que la multinationale Firestone, dont le siège se trouve à Akron (Ohio, États-Unis) a décidé de fermer sa succursale de Pratteln (Bâle). Les pneus qu'on produit en Suisse coûtent extrêmement cher. Du coup, 600 salariés perdront leur emploi.

L'émotion causée par cette nouvelle est vive, et, pour tenter de maintenir l'entreprise en vie, la Confédération fait une spectaculaire entorse à sa doctrine — il est vrai très relative — du « laisser-faire » : elle dépêche à Akron une délégation conduite par l'ambassadeur de Suisse aux États-Unis, Raymond Probst, chargé de trouver, avec la direction générale de Firestone, le moyen de sauver les pneus de Pratteln. Mais, finalement, à Akron on reste inébranlable.

Le chef du département de l'Économie publique qui se signale par ce petit coup d'éclat est, il faut le remarquer, un homme nouveau. Le 7 décembre, le radical zurichois Fritz Honegger a été élu au gouvernement de manière quasiment triomphale par l'Assemblée fédérale. Il y remplace un autre radical zurichois, Ernst Brugger, qui avait jugé le moment venu de prendre sa retraite. En même temps que lui démissionnait le chef du département Politique, Pierre Graber, auquel succédait le socialiste neuchâtelois Pierre Aubert.

Faits divers

Mais, petits ou grands, les événements politiques doivent se partager la première page des journaux avec une série de faits divers d'une assez inhabituelle ampleur.

– Le 30 août 1977, la police valaisanne arrête un homme d'affaires, André Filippini, administrateur-délégué d'une entreprise de travaux publics, Savro. On a découvert que cette société facturait deux fois à l'État du Valais les ouvrages qu'elle construisait pour son compte ; et que, payant des fonctionnaires corrompus, elle réalisait de cette façon des bénéfices scandaleux. Affaire d'autant plus gênante qu'un ancien conseiller fédéral, Roger Bonvin, est membre du conseil d'administration de Savro : même s'il ignorait tout des fraudes commises, il pose à nouveau malgré lui, et de façon très désagréable, le problème de la retraite dorée des plus hauts magistrats du pays. En attendant, Savro doit licencier son personnel et disparaître.

– Le 3 octobre, des bandits enlèvent, près de Genève, une petite fille, Graziella Ortiz, âgée de 5 ans. Graziella est petite-fille de Antenor Patino, l'ex-roi de l'étain bolivien. Les malfaiteurs la rendront à ses parents dix jours plus tard contre une rançon de deux millions de dollars. Le 13 mars, la police fera savoir que, guidée dans ses recherches par une sombre affaire de règlements de comptes, elle a pu arrêter deux Italiens. Ce qui n'empêche pas George Ortiz, le père de Graziella, de vendre à Londres une prestigieuse série d'oeuvres d'art pour rembourser à ses amis la somme qu'il avait dû leur emprunter en vue de récupérer la fillette.