La répression est, en effet, impitoyable. À la faveur de l'état de siège, renouvelé par le Parlement tous les deux mois, des milliers de personnes sont arrêtées, des centaines jugées par des tribunaux militaires ; de lourdes peines de prison et plus de 25 condamnations à mort sont prononcées.

La Cour constitutionnelle se prononce le 20 juillet en faveur de l'interdiction du Parti ouvrier turc (POT), en lui reprochant notamment d'avoir voulu exploiter à son profit « les divergences nationales, linguistiques, culturelles et religieuses parmi les diverses minorités ethniques composant la nation turque » (allusion au soutien accordé au mouvement autonomiste kurde).

Le 18 août, les dirigeants du POT — dont certains ont été privés de leur mandat parlementaire — sont traduits en justice sous l'inculpation de menées communistes et d'adhésion à une organisation cherchant à « imposer la domination d'une classe sur une autre ». Le 23 juin, Behice Boran, présidente du parti, et 19 responsables sont écroués sur décision d'un tribunal militaire.

Le 10 avril, une loi est amendée pour autoriser les forces de l'ordre à faire usage de leurs armes toutes les fois qu'elles s'estimeront menacées. Cette disposition vise à faciliter les perquisitions effectuées systématiquement. La plus spectaculaire est celle qui se déroule le 23 janvier à Istanbul : de 3 heures à 18 heures, plus de 85 000 soldats fouillent, maison par maison, cette ville de 2,5 millions d'habitants. Selon les autorités, 268 810 bâtiments sont ainsi visités. Au cours d'une opération analogue, le 16 février, des coups de feu sont échangés avec de jeunes gauchistes recherchés par la police.

L'université est mise au pas par diverses mesures répressives et l'amendement du règlement intérieur, qui renforce les pouvoirs du recteur et des doyens.

Mécontentement

Les tensions sociales s'accroissent. Le prix du pain, les tarifs des transports en commun augmentent dans des proportions allant de 50 à 180 %. Selon une estimation de la Chambre de commerce, en octobre, les prix de détail avaient augmenté de 19 % en un an.

En décembre, l'Institut des statistiques indique que le nombre des chômeurs s'est accru en 1971 de 272 000 personnes pour atteindre un chiffre global supérieur à deux millions. Pour affronter les grèves revendicatives, les patrons ont souvent recours au lock-out. Le 28 septembre, le Code pénal est amendé, aggravant les sanctions prévues pour l'occupation des lieux de travail ou des locaux universitaires et retirant aux fonctionnaires le droit de grève.

USA

En matière de politique étrangère, la Turquie continue à bénéficier du soutien des grandes puissances. Le vice-président américain Spiro Agnew, en visite à Ankara le 11 octobre, rend un vibrant hommage au gouvernement d'Ankara. Le président Nixon remercie la Turquie, le 4 février, pour avoir interdit sur son territoire la culture du pavot, dont une bonne partie était acheminée en contrebande aux États-Unis. À la veille de son départ pour Washington, où il accomplit un séjour officiel du 19 au 24 mars, le président du Conseil Nihat Erim annonce que les visites de la VIe flotte américaine aux ports turcs reprendraient, après une interdiction qui avait été rendue nécessaire par des manifestations hostiles.

Les entretiens de Nihat Erim à Washington sont fructueux. Le président Nixon accepte d'accroître l'aide militaire de 60 à 115 millions de dollars par an, l'assistance économique de 135 à 150 millions de dollars, et accorde, en outre, une cinquantaine de millions de dollars pour la ville d'Istanbul. Le chef de l'exécutif américain, en revanche, refuse de livrer à Ankara des Phantom, mais on apprenait, fin juin, que la Turquie obtiendrait plus de 60 appareils de ce type.

Nihat Erim se rend, du 19 au 23 janvier, en France où il constate une « parfaite concordance de vues ». Les rapports de la Turquie avec les pays communistes demeurent bons. Le 5 août, des relations diplomatiques sont établies avec la Chine populaire. Le 11 avril, Nicolas Podgorny, le président du Soviet suprême de l'URSS, commence une visite officielle d'une semaine à Ankara.

Crise

De toute évidence, les responsables turcs tiennent à ne s'aliéner aucune puissance extérieure à un moment où ils sont avant tout soucieux de consolider leur pouvoir. Les crédits consacrés à l'armée en 1971 sont 30 % plus élevés que ceux de l'année précédente. Son loyalisme est assuré notamment par des épurations (plus de 200 officiers limogés depuis mars 1971). L'exécutif est renforcé par l'amendement, le 21 septembre, d'une quarantaine d'articles de la Constitution.