William Tubman, qui était âgé de 76 ans, laisse le souvenir d'un grand président. C'est en effet lui qui, le premier, chercha à combler le fossé existant entre la minorité afro-américaine installée à Monrovia, seule détentrice du pouvoir depuis la création du pays, et les natives, autochtones de l'intérieur tenus jusqu'à son accession à la présidence de la République à l'écart de toute responsabilité. Il abolit le système de l'indigénat et essaya de faire des aborigènes des citoyens à part entière.

Le deuxième mérite de Tubman fut d'entreprendre la mise en valeur économique de son pays. Chasse gardée de la compagnie Firestone, qui y possède d'immenses plantations d'hévéas, celui-ci ne constituait en fait qu'une réserve de matières premières pour les États-Unis qui avaient parrainé au siècle dernier la naissance de la première république noire d'Afrique. Pratiquant la politique de la porte ouverte, l'oncle Shad attira des capitaux allemands, suédois, italiens, et fit du Libéria le premier exportateur africain de minerai de fer, tout en le libérant progressivement de la tutelle américaine.

Comme pratiquement tous les dirigeants africains de sa génération, l'oncle Shad voulait une obéissance absolue et n'admettait ni critique ni opposition. L'inamovibilité présidentielle s'expliquait en partie par la rigueur du système, qui ne composait pas avec les contestataires, quelle que fût leur origine.

Changement de style

Conformément à la Constitution, c'est William Tolbert, vice-président depuis vingt ans, qui devient président ; mais en revanche c'est en violation de la Constitution que W. Tolbert (il aurait dû solliciter les suffrages des électeurs dans les six mois suivant le décès de son prédécesseur) est solennellement installé en janvier dans les fonctions présidentielles. De nombreuses délégations étrangères viennent à Monrovia à cette occasion, et Mme Nixon représente son mari dans la capitale libérienne.

Accordant ses actes avec ses premières déclarations officielles, W. Tolbert commence par remettre de l'ordre dans la fonction publique, unifie notamment les services de sécurité, jusqu'alors dispersés sous quatre commandements distincts. Il met en vente le yacht présidentiel, chasse de l'administration certains fonctionnaires prévaricateurs, entreprend l'épuration de plusieurs services ministériels.

En novembre 1971, pour la première fois depuis vingt-sept ans, une exécution capitale a lieu à Monrovia : Justin Obi, professeur d'origine nigériane, reconnu coupable du meurtre de l'évêque épiscopalien de la capitale libérienne, est pendu. Quelques jours plus tard, trois autres condamnés subissent le même sort. Le Dr Tolbert a signé les quatre arrêts de mort, entendant signifier qu'il voulait ignorer toute faiblesse.

Mais en même temps plusieurs prisonniers politiques sont élargis ; parmi eux figure l'ancien ambassadeur Henry Fahnbulleh, condamné en juillet 1968 à vingt ans de détention et à la confiscation de ses biens pour atteinte à la sûreté de l'État.

De même, le remaniement ministériel, intervenu une semaine après l'entrée officielle en fonctions de William Tolbert, est interprété comme l'un des signes d'une volonté de changement. Autrefois détenu par Henries, proche collaborateur et ami de William Tubman, le portefeuille de la Justice a été confié à Clarence Simpson, beaucoup plus jeune et réputé plus libéral. Avec la nomination de Mai Padmore au poste de ministre de la Santé publique, c'est la première fois dans l'histoire du Libéria qu'une femme accède à des fonctions ministérielles.

Mandarins

Les Tolbert constituent, avec les Tubman et les Sherman, une des trois grandes dynasties politiques qui contrôlent toute l'activité nationale, dynasties unies par des liens familiaux étroits. Ces mandarins appartiennent à la petite élite d'origine afro-américaine qui, venue des États-Unis il y a un siècle et demi, a fondé sur la côte occidentale d'Afrique la première république indépendante du continent noir. Ces free men pensent encore en termes de classe et continuent de tenir relativement à l'écart des responsabilités les natives.