Entre Berne et la capitale de la petite Europe, les contacts, les conférences d'ambassadeurs et de hauts fonctionnaires se multiplient de mois en mois, de semaine en semaine.

Tandis que la Grande-Bretagne, la Norvège et le Danemark s'apprêtent à quitter l'AELE (l'Association européenne de libre-échange), les ministres de cette organisation se réunissent à Reykjavik. C'est au tour du conseiller fédéral Brugger de présider la conférence, dont l'objectif coïncide avec la préoccupation majeure de la Confédération : préparer un nouveau règlement des échanges économiques. Sa neutralité, sa structure fédéraliste, son régime de démocratie directe empêchent la Suisse de s'engager sur le chemin de l'intégration. Elle doit donc expliquer aux Six que, faute d'un vrai mariage, l'heure viendra sous peu de lever les obstacles, tarifaires et administratifs, qui freinent le commerce continental.

Mais Berne sait parfaitement aussi que, sous peine d'un progressif et catastrophique isolement, le pays devra s'associer à d'autres efforts d'unification. La recherche scientifique, la lutte contre la pollution, l'harmonisation des normes techniques, des transports internationaux, des règlements de toute espèce deviennent manifestement vitales, urgentes. Il faudra se concerter. Il faudra donc trouver des lieux de rencontre, des procédures, et peut-être des institutions permanentes. Une fois de plus, l'engagement d'abord économique de la Suisse doit l'amener à définir, à préciser, à resserrer ses relations avec les autres : à prendre des décisions de portée nettement politique.

Réévaluation

L'interdépendance des nations occidentales s'est manifestée, au printemps, d'une manière prosaïque, mais impressionnante. Parce que les dollars américains affluaient, les monnaies européennes sont tombées malades. Le 9 mai, le Conseil fédéral réévalue le franc de 7 %. Des bouleversements exceptionnels étaient nécessaires pour bousculer une légendaire stabilité : depuis 1936 (année de son unique dévaluation), le franc n'avait jamais changé de parité.

Au regard de tels événements, d'autres, qu'on avait pu croire primordiaux, s'affadissent un peu. Deux campagnes ont cependant agité, plus que de coutume, le corps électoral.

Le 27 septembre 1970, une initiative constitutionnelle « pour le droit au logement » se heurte au double verdict négatif du peuple et des cantons. La marge est faible : 359 746 « non », 344 613 « oui ». De plus, les États de Vaud, Neuchâtel, Genève, Fribourg, Zurich, Berne, Bâle-Ville, Bâle-Campagne et Tessin sont dans le camp vaincu. Toutes les villes principales ont donc approuvé le texte qui devait attribuer à l'État fédéral (« avec le concours de cantons ») la compétence de « prendre les mesures nécessaires pour que les familles et les personnes seules puissent obtenir un logement répondant à leurs besoins et dont le loyer ou le coût n'excède pas leur capacité financière ».

Deux oppositions parallèles se sont conjuguées. D'une part, les partisans d'un régime libéral, dont on n'a pas prouvé l'échec, ont agité le spectre du dirigisme producteur de « cages à lapins subventionnées » ; et d'autre part, les régions à moins forte densité démographique ont refusé, pour combattre une pénurie qu'elles ressentaient faiblement, d'accorder à l'État central des pouvoirs d'intervention nouveaux.

Citoyennes

Le 7 février 1971, les citoyennes, en revanche, connaissent enfin leur grand triomphe : par 621 403 « oui » contre 323 596 « non », les citoyens approuvent l'introduction du suffrage féminin sur le plan fédéral. Les femmes ont mangé froid le plat de la revanche. L'accès aux urnes leur avait été refusé, à une écrasante majorité, et par tous les cantons, sauf trois, douze ans plus tôt. « Il était bien temps ! s'écrient-elles. Nous étions ridicules aux yeux du monde entier... » Mais leurs pères, fils et maris protestent. Ils ne sont pas les derniers, mais les premiers : aucun autre pays n'a recouru, pour instituer l'égalité civique des sexes, au suffrage universel.

Le 5 juin 1971, donc, les Suissesses font leur entrée dans les bureaux de vote, que beaucoup d'entre elles, du reste, connaissaient pour s'être prononcées sur des affaires de portée cantonale. Et elles acceptent, en compagnie des mâles, un régime des finances fédérales qui, pour l'essentiel, proroge les règles en vigueur. Elles acceptent aussi, sans hésitation ni combat, un article constitutionnel qui donne à la Confédération le pouvoir de légiférer sur la protection de l'environnement.