À l'issue de la terrible crise, tout le monde prévoyait leur disgrâce à brève échéance. Quelques mois après, on était bien obligé de constater non seulement leur maintien, mais encore le renforcement de leurs positions.

Technocrates, l'affaire est passée sur eux sans paraître les concerner. Lopez Rodo, directeur du Plan, a même gagné le rang de ministre. Pour lui, l'objectif demeure toujours le même : procurer à chaque Espagnol un revenu annuel de 1 000 dollars (actuellement 800). Il voit là le remède à tous les maux, l'apaisement des passions.

« Je serai un roi de mon temps, considérant l'avenir avec assurance et espoir », affirmait, le 15 mars 1971, le prince Don Juan Carlos de Bourbon, en s'adressant à des étudiants madrilènes.

Le successeur désigné de Franco a trente-trois ans ; un âge qui est un symbole. L'avenir qu'il invoque pourrait être proche. L'héritage du petit-fils d'Alphonse XIII, le dernier roi d'Espagne, est cependant lourd.

D'abord un pays façonné par plus de trente ans de dictature franquiste, un peuple avide de liberté, de bonheur, qui n'a rien oublié de son glorieux et douloureux passé : ni la guerre civile, ni la république, ni les rois, ni ses morts.

Le prince Don Juan Carlos est d'un lignage incomparable ; descendant de Charles Quint et de Louis XIV, né en exil, c'est son père Don Juan, comte de Barcelone, qui, selon la loi dynastique, est le véritable prétendant au trône. Mais Franco n'a jamais aimé ce grand seigneur autoritaire qui ne lui a guère ménagé ses critiques et qui le traitait en usurpateur. Franco aura une façon bien à lui d'assumer sa rancune, en combinant ses convictions et sa vengeance. Il commence par arracher l'enfant à son père. Seul de la famille, Juan Carlos est autorisé à se rendre en Espagne pour y faire ses études. Le Caudillo lui choisit soigneusement ses précepteurs et le fait passer par les écoles militaires.

Lorsque le jeune homme est devenu un prince accompli, Franco parachèvera sa vengeance en opposant le fils au père. Le 23 juillet 1969, il désigne Juan Carlos comme son successeur et le nomme prince d'Espagne. Le comte de Barcelone a beau protester, le chef de l'État a beau jeu d'imposer sa légalité politique contre la légitimité héréditaire invoquée par l'infant.

Situation de famille difficile pour Juan Carlos, qui, par ailleurs, est l'heureux époux de la princesse Sophie de Grèce, qui lui a donné trois enfants. Le couple princier mène une vie familiale dans le palais de Zarzuela.

Dans l'ombre du Caudillo, les prérogatives de Juan Carlos demeurent limitées. Il a effectué cependant au cours de 1970-71 un certain nombre de voyages officiels : à Rome en septembre, en France en octobre, et aux États-Unis en janvier.

En dehors du rôle représentatif, où il apparaît un peu emprunté, le prince d'Espagne, dans l'intimité, surprend ceux qui l'approchent par son naturel et sa curiosité. Il reçoit beaucoup de gens de différents milieux et de différentes nationalités — il parle couramment plusieurs langues — il s'informe sur tout.

S'il n'est guère populaire, c'est qu'on s'est bien gardé de lui donner le loisir de se faire trop connaître. Même sur les marches du trône, il est des susceptibilités qu'il est préférable de ne pas réveiller. Le prince d'Espagne est (aussi) un homme prudent.

Progrès économique

Si le coût de la vie a sensiblement augmenté l'an passé, la balance des paiements a retrouvé son équilibre. Le rapport de l'OCDE sur l'économie espagnole, publié en février 1971, est des plus élogieux, estimant, entre autres, que « les mesures de politique économique adoptées en 1970 pourraient constituer l'un des exemples les plus brillants de la régularisation de la demande en Espagne ».

De son côté le ministre des Affaires étrangères, Lopez Bravo, a poursuivi ses vastes desseins diplomatiques : politique européenne, rapprochement avec l'Est (qui s'est illustré par la signature de plusieurs accords avec les démocraties populaires et par la reprise des relations commerciales avec l'URSS au mois d'avril 1971), entente méditerranéenne, resserrement des liens de la Hispanidad.