Ils sont arrivés à se regrouper et à s'organiser en comités régionaux juste au moment du procès de Burgos, qui voit, une fois de plus, l'armée chargée de juger un état de choses dont elle n'est nullement responsable. Un militaire qu'ils admirent passionnément, le général en retraite Garcia Valino, vient justement d'écrire au capitaine général Garcia Rebull : « L'armée qui est issue du peuple et doit être le soutien de la nation n'a pas à intervenir dans la solution de querelles qui peuvent l'en éloigner. » Quotidiennement, les jeunes officiers se voient pris à parti, insultés, ridiculisés par de jeunes bourgeois gauchistes.

Les capitaines décident de passer à l'action (ils seraient 6 000 affidés). Ils rédigent une série de revendications qui, par leur brutalité, ressemblent à un ultimatum : tout en affirmant une fidélité sans faille à Franco, ils exigent le rétablissement immédiat de l'autorité, une rigueur administrative implacable pour tous les scandales financiers et la corruption à quelque niveau que ce soit ; la démission immédiate du gouvernement et la constitution d'une nouvelle équipe ministérielle musclée. Tout cela sur un ton ferme, mais respectueux, avec de nombreuses références au serment du drapeau prêté par les officiers espagnols.

Ce document est remis directement, sans passer par la vole hiérarchique, le 12 décembre, au général Diez Alegria, chef du haut état-major de l'Armée. L'affaire apparaît tellement grave que le général transmet, le 14, le mémorandum au chef de l'État, qui convoque le soir même le cabinet en réunion extraordinaire. Ainsi s'expliquent le mini-état d'exception et l'organisation de manifestations populaires dont le Caudillo va apparaître comme le héros malgré lui.

Est-ce la forte impression laissée par les rassemblements franquistes ? Est-ce le résultat de négociations ? L'ETA relâche soudain le consul d'Allemagne le 25 décembre au matin : « Nous ne sommes pas une bande d'irresponsables, fanatiques et avides de sang, affirment ses porte-parole. Nous avons une morale, la morale révolutionnaire du peuple basque. »

Verdict

Le 28 décembre, après dix-neuf jours de délibération, le verdict tombe comme un couperet : neuf condamnations à mort (dont deux pour Izco, Uriarte et Gorostidi) ; plus de cinq cents ans de prison.

Le monde est atterré par une telle rigueur.

Si, au Pays basque, on est trop bouleversé pour réagir immédiatement, dans le reste de l'Espagne et à l'étranger l'indignation provoque de vastes mouvements populaires. En France, des grèves éclatent, des défilés se forment, des pétitions circulent. Du Vatican, du Danemark, du Venezuela, d'Italie, d'Algérie ou de Suède des télégrammes des gouvernements convergent vers Madrid pour implorer la clémence. Et E. Beihl lui-même oublie ses angoisses d'otage pour intercéder auprès du gouvernement de Saint-Sébastien.

Pour que la sentence soit exécutoire, elle doit être entérinée par le capitaine général de la région de Burgos, Tomas Garcia Rebull. En cas de refus, le Conseil suprême de justice militaire statue en dernier recours. En cas de ratification, il n'y a plus que la grâce du chef de l'État qui puisse éviter aux condamnés le peloton d'exécution.

Grâces

Cette fois, le suspense sera de courte durée. Après vingt-quatre heures de réflexion, le général Garcia Rebull ratifie, le 30 décembre après-midi, la sentence des juges militaires. Quelques heures après, ce même mercredi, le général Franco signe les grâces des six condamnés à mort.

Lorsque, dans la soirée de ce 30 décembre, le Caudillo présente à la nation espagnole ses voeux de fin d'année, il pourra affirmer : « Les manifestations de soutien dont j'ai été l'objet ont renforcé notre autorité de telle manière qu'elle nous a permis d'accorder la grâce des condamnés à mort de Burgos. »

C'est un immense soulagement et tandis que les jeunes gens dansent dans les rues de Saint-Sébastien, un nouvel afflux de messages parvient au Caudillo, des messages de remerciements et d'hommages à sa magnanimité.

Encore une fois, vieux deus ex machina des tragédies qu'il suscite, Franco émerge comme le seul maître de l'Espagne et le seul successeur de soi-même.

Pouvoir ébranlé

Car autour de lui la crise a fait des ravages :
– L'Église : « L'Église et l'État constituent deux puissantes forces dont les buts ne peuvent être contradictoires », a déclaré Franco dans son message de fin d'année. L'Église espagnole de l'après-Burgos n'est pas cependant la même qu'avant. Les positions prises par ses prélats dans cette circonstance indiquent assez qu'elle ne sera plus désormais automatiquement du côté du pouvoir, qui perd du coup son caractère sacré.
– L'armée : le complot des capitaines a ébranlé cet autre pilier traditionnel du régime. La méfiance a pénétré dans les rapports hiérarchiques. Les jeunes officiers ne peuvent s'estimer pleinement satisfaits par la solution de la crise, qui laisse le problème de l'avenir entier. On a décidé de relever les soldes.
– La Phalange : par ses manifestations en faveur de l'intransigeance, le Mouvement a certes contribué à lancer la campagne d'union autour de Franco. Mais celui-ci, qui, depuis plusieurs années, prend ses distances à l'égard de ses anciens compagnons, a marqué sa reconnaissance en interdisant la réunion annuelle de la Phalange au théâtre de la Comédie de Madrid.
– Le prince d'Espagne : l'héritier désigné du Caudillo a été sifflé à Barcelone. Dans un défilé, à la fin du mois d'avril, les phalangistes se sont répandus en slogans injurieux à l'égard du futur roi. Son rôle au cours de la crise s'est borné à une brève apparition aux côtés de Franco le 16 décembre. Son influence a été nulle et personne d'ailleurs n'a songé à l'utiliser.
– Le gouvernement : déjà affaiblis par les compromissions de l'affaire Matessa (deux anciens ministres ont été inculpés au mois d'août 1970), les technocrates de l'Opus Dei ont pu mesurer, au cours du procès de Burgos, le degré de leur impopularité : la gauche leur reproche d'appartenir au système, la droite de manquer de fermeté, et tous leur adhésion (réelle ou supposée) à la Sainte Maffia.