Le mécontentement des Bengalis est entretenu depuis vingt-quatre ans qu'existe le Pakistan par le sentiment d'injustice que créent les disparités économiques entre les deux provinces. On investit 600 F par habitant à l'Ouest, la moitié à l'Est, alors que le Bengale assure 70 % des exportations. Les ressources du pays servent d'abord à financer les travaux de la province occidentale ou à entretenir une armée de 350 000 hommes, composée pour les 9/10 de soldats de l'Ouest.

L'épidémie, la disette, la guerre, tel est le lot des Bengalis, sans oublier auparavant un typhon, qui, en pleine période électorale, éveille en eux la volonté de lutter contre l'état de dépendance coloniale dans lequel les tient l'autre province. Un cyclone, le plus meurtrier du siècle, ravage le sud du Bengale, en novembre, laissant derrière lui, selon les estimations, entre 500 000 et un million de morts. Les Bengalis comparent la rapidité et l'importance de l'aide étrangère avec le manque d'empressement des autorités pakistanaises à secourir les sinistrés.

Awami

Un parti et un homme cristallisent le sentiment national bengali : la ligue Awami et son chef, le cheikh Mujibur Rahman. Dès 1966, Mujibur Rahman, un modéré issu de la petite bourgeoisie, réclame la formation d'un État pakistanais fédéral, où le Bengale, autonome, gérerait lui-même son économie.

Jeté en prison par Ayub khan, Mujibur Rahman, qui a déjà passé alors plus de sept ans de sa vie en prison, devient le héros de tout un peuple. Sous la pression de la rue, en 1968, Ayub khan doit le libérer et céder le pouvoir au général Yahya khan. Ce dernier, pour faire tomber la fièvre populaire, décide qu'une Assemblée constituante, élue au suffrage universel, réglera l'avenir politique du Pakistan. En attendant cette élection, il impose la loi martiale.

Élections

Deux partis triomphent aux élections générales de décembre 1970 : dans la province occidentale, le parti du peuple pakistanais d'Ali Bhutto, ancien ministre des Affaires étrangères d'Ayub khan (le Pakistan lui doit son alliance avec Pékin) ; au Bengale, la ligue Awami, qui obtient la majorité absolue dans la nouvelle Assemblée constituante. Est-ce pour les Bengalis le moment venu de prendre en main leur destin ? Yahya khan n'a-t-il pas parlé de Mujibur Rahman comme de son « futur Premier ministre » ? Le cheikh n'est cependant pas désigné, et, cédant à Ali Bhutto, qui menace de boycotter l'Assemblée, Yahya khan en ajourne la réunion, la veille de sa convocation à Dacca, siège du Parlement.

La mauvaise humeur des Bengalis s'enflamme à cette nouvelle et, le lendemain, les premiers incidents éclatent. L'armée tire sur la foule à Dacca, où des étudiants brûlent le drapeau pakistanais. Quand, le 6 mars, Yahya khan annonce qu'il convoque de nouveau l'Assemblée pour le 25 mars, d'autres affrontements ont eu lieu, faisant plusieurs centaines de victimes. Mujibur Rahman décrète la grève générale. Administrations, banques ne fonctionnent plus. Le Bengale se sépare, de fait, du reste du Pakistan, et on commence à entendre le slogan Shadia Bangla (« Bengale indépendant »).

Négociations

À la mi-mars, les négociations de la dernière chance s'ouvrent à Dacca, entre Yahya khan et Mujibur Rahman. Mais les extrémistes des deux camps s'ingénient à les faire échouer. Le chef bengali est soumis aux pressions des maoïstes, qui ont boycotté les élections et réclament l'indépendance, ainsi qu'à celles de ses propres partisans. L'armée, de son côté, reproche à Yahya khan d'avoir organisé ces élections favorables aux autonomistes et elle menace d'intervenir.

Ali Bhutto, le troisième homme, fait pencher la décision de Yahya khan vers l'épreuve de force, soutenu par les industriels de l'Ouest, qui ne veulent pas voir les recettes du jute bengali échapper à leur contrôle. Quand il rejoint Yahya khan et Mujibur Rahman à Dacca, il a interrogé la Chine sur ses intentions : Pékin appuiera toute action en faveur du centralisme. Les Américains, à qui Mujibur Rahman pose la même question, font savoir qu'ils ne bougeront pas, en raison de leur engagement en Indochine. L'Inde réserve sa réponse. Malgré le résultat de ces sondages, Mujibur Rahman, confiant en sa bonne foi, continue de défendre l'autonomie du Bengale devant ses interlocuteurs.

Affrontement

Pendant ce temps, par mer et par air, les renforts en hommes et en matériel arrivent de l'Ouest. Les habitants du port de Chittagong, les 23 et 24 mars, tentent d'empêcher les soldats de décharger leurs munitions sur les quais. Les mitrailleuses tirent dans la foule ; les jours suivants, les canons de marine pilonnent la ville. C'est le début d'un second cycle d'affrontements que rien désormais ne peut arrêter.