On peut estimer, en effet, que ce sont les durs du régime qui ont déclenché le processus de la décision : généraux partisans d'une continuité du franquisme tel qu'il est et de son prolongement assuré par un régent militaire ; phalangistes, dont le chef de file, J. Solis, ministre des Syndicats, qui partagent des convictions identiques, à la différence près qu'ils désirent la prééminence du mouvement dans l'ordre successoral.

Un régime républicain

En revanche, les membres du gouvernement appartenant au mouvement catholique Opus Dei, favorables à une succession libérale et démocratique, se sont révélés les plus hostiles à l'état d'exception, et ils ont finalement réussi à en obtenir la levée le 25 mars 1969, soit un mois avant la date fixée.

Les clivages politiques sont beaucoup moins tranchés que le laisse apparaître ce court affrontement.

Beaucoup, parmi les généraux, préféreraient à toute autre solution voir l'un d'entre eux prendre la place du général Franco ; d'autres officiers, en revanche, envisagent des possibilités sensiblement différentes. Sur les 18 capitaines généraux que compte le pays, 8 seraient favorables au comte de Barcelone. L'un des personnages les plus considérables de l'armée et qui possède une grande influence du fait de ses amitiés avec les chefs américains du Pentagone, le général Narciso Ariza, directeur de l'École d'état-major, verrait sans déplaisir une régence orientée vers un régime républicain.

Les manifestations du 1er mai

Le caudillo a-t-il tiré une conclusion de cet échange ? Il a attendu pour se prononcer publiquement. Dans une interview accordée, le 1er avril 1969, au quotidien phalangiste Arriba, à l'occasion du trentième anniversaire du régime, il s'est contenté de dire : « Il est certain que la survie d'un régime quelconque dépend de son assimilation dans la conscience publique... La nation doit se développer sans cependant glisser vers le parlementarisme et le pluripartisme. »

Le bilan des cinquante-neuf jours d'exception se solde, selon une note du ministère espagnol de l'Intérieur, par 355 arrestations et inculpations, dont 127 étudiants. 243 personnes étalent encore emprisonnées au moment de la levée de l'état d'exception. Elles attendaient de comparaître devant les tribunaux civils et militaires. Ce communiqué déclare encore que l'état d'exception a permis à la police de lutter efficacement contre les « minorités subversives ».

Dans ce satisfecit que se délivre le gouvernement, il n'est pas fait mention des 30 000 ouvriers en grève dans le Guipuzcoa et la Biscaye et qu'aucune répression n'a pu faiblir. Le décret d'amnistie générale pour tous les faits commis avant le 1er avril 1939 (fin de la guerre civile) n'empêche pas non plus les manifestations du 1er mai 1969, en dépit des interdictions. À Madrid, Barcelone, Bilbao, Séville, dans d'autres villes encore, étudiants et membres des syndicats clandestins, organisés en commandos, manifestent avec une grande violence.

L'opposition du clergé

Tout au long de l'année, cependant, la répression s'est abattue sur le malheureux Pays basque, où, dès le mois d'août 1968, l'état d'exception avait été proclamé. Les arrestations se sont multipliées. Le vicaire général du diocèse de Bilbao, le chanoine Jose-Angel Ubiete, est appréhendé le 24 avril 1969 ; il est accusé de complicité avec l'ETA, mouvement de séparatistes basques.

La réaction aussi violente que courageuse de Mgr Cirarda, évêque de Santander et administrateur apostolique de Bilbao, accusant en chaire les autorités judiciaires de violer le Concordat, a pour résultat de faire relâcher le chanoine, tandis que Pueblo, le quotidien des syndicats officiels, affirme qu'« une grande partie du clergé basque a joué et joue un rôle plus ou moins direct » au sein des organisations clandestines basques.

C'est d'ailleurs dans toute l'Espagne que le clergé exprime son opposition au régime. Plusieurs jeunes prêtres sont arrêtés pour leur engagement personnel, et le haut clergé lui-même ne ménage pas sa désapprobation. Le comité exécutif de la Conférence épiscopale espagnole préconise, le 28 février 1969, devant le ministre de la Justice, Oriol : « L'État d'exception ne doit priver les Espagnols que de certaines garanties, mais pas de leurs droits. On ne peut supprimer ni les droits des ouvriers ni ceux de la défense devant les tribunaux. »