C'est surtout le commerce traditionnel qui a payé les frais de la mauvaise conjoncture. Bien qu'il soit très difficile d'apprécier avec exactitude la rapidité avec laquelle la distribution moderne remplace la boutique de quartier, on prévoit que, au rythme actuel, le grand commerce (supermarchés et autres magasins populaires) représentera le quart du chiffre d'affaires de la profession vers 1970.

Les supermarchés

Toujours est-il que, contrastant avec les difficultés du commerce traditionnel, les supermarchés — qui sont maintenant plus de 850 en France — ont continué de se multiplier au rythme moyen de deux ouvertures par semaine. Cent treize de ces établissements ont été ouverts en 1967. L'extension de la taxe à la valeur ajoutée au commerce de détail va encore accélérer la relève d'une profession familiale par une distribution moderne, fortement capitaliste.

Une autre preuve du bon état de santé des formes modernes de la distribution est le record établi par les magasins populaires genre Prisunic, Monoprix... Ceux-ci ont ouvert, en 1967, 28 établissements nouveaux, couvrant 50 000 m2 de surface de vente supplémentaires, sur un total d'environ 660 000 m2. Le précédent record avait été établi en 1963, avec 42 000 m2 ; mais cette année-là était une période de haute conjoncture.

Si les effectifs des indépendants se réduisent comme peau de chagrin, il n'en va pas de même pour ceux d'entre eux qui s'organisent.

Un double mouvement est donc en train de modifier le commerce français : à la concentration visible, parce qu'elle se traduit par l'ouverture de supermarchés et de magasins populaires, se superpose le phénomène d'organisation des indépendants.

La volonté des ménages de dépenser relativement moins, pour économiser, bénéficie incontestablement aux sociétés dynamiques qui n'hésitent pas à réduire leur marge bénéficiaire (elles se rattrapent sur l'importance des quantités vendues) et affichent des prix nettement moins élevés qu'ailleurs.

Ce résultat ne peut être atteint que dans des établissements de très grande taille, qui peuvent ainsi réaliser des chiffres d'affaires importants, et sans grand luxe, ce qui réduit d'autant les frais généraux et permet de vendre à bas prix.

En rase campagne

Les prix des terrains sont exorbitants à l'intérieur des villes. La tendance est maintenant de créer d'immenses magasins à l'extérieur des centres urbains, parfois même en rase campagne, comme aux États-Unis. Cette solution diminue considérablement le coût des investissements, qui sont souvent quatre fois moindres qu'en ville.

La formule présente, en outre, l'avantage de drainer un très grand nombre d'habitants des campagnes, qui n'hésitent pas à parcourir jusqu'à 30 km pour s'approvisionner, certains qu'ils sont de se déplacer rapidement, sans encombre, et de pouvoir se garer.

La société Carrefour a lancé cette formule en France en 1963 dans la banlieue parisienne, à Sainte-Geneviève-des-Bois. En 1967, elle a créé un supermarché de 5 000 m2 entre Bayonne et Biarritz, puis un autre de 6 400 m2 aux environs de Chartres.

Les réactions du commerce traditionnel, qui se sent très menacé par ce redoutable concurrent, ont été vives dans cette dernière ville. Elles ont davantage pris la forme d'un néo-poujadisme que d'une organisation rationnelle qui aurait permis de lutter à armes égales.

Ce sont encore une fois d'autres formes du grand commerce qui ont contre-attaque avec le plus d'efficacité. La société Docks de France a ouvert en 1967 deux supermarchés géants, à Montfermeil et à Montgeron, dans la banlieue parisienne. De même, la société Decré a ouvert, à 5 km du centre de Nantes, un grand établissement.

Mouvement général

Édouard Leclerc, le premier commerçant en France depuis la Libération à avoir tiré la distribution de sa torpeur, a fait de même à Chartres. Lui qui se déclarait il y a quelques années partisan des méthodes de vente traditionnelles, presse maintenant les professionnels qui adhèrent à son mouvement d'ouvrir des supermarchés de la plus grande taille possible. Ce mot d'ordre conduira les centres qui se réclament de la doctrine d'É. Leclerc à s'installer eux aussi en campagne.