loup

Loup
Loup

Autrefois, pour connaître le nombre des caribous et savoir si la chasse serait bonne, les Inuit d'Amérique écoutaient hurler les loups. En Europe alors, ces mêmes hurlements étaient synonymes de danger et inspiraient la peur. Le loup a aujourd'hui pratiquement disparu d'Europe occidentale.

1. La vie du loup

1.1. Les loups chassent le nez au vent

Un loup chasse quand il a faim, seul ou en meute, selon la saison et la taille de sa proie.

Durant l'hiver, les loups se nourrissent d'ongulés souvent plus grands qu'eux : orignal (élan), renne (caribou), chevreuil, etc., qu'ils attaquent en meute. Ils ne chassent pas comme les chiens la truffe collée au sol, mais les oreilles dressées et le nez au vent, attentifs aux effluves et aux bruits qu'une brise peut leur apporter. On sait qu'un loup perçoit l'odeur d'un orignal (élan) à 300 m environ. Il s'immobilise alors, la truffe pointée dans la direction de la proie. À ce signe, tous les autres lèvent la tête pour analyser l'odeur. Chacun, alors, remue la queue et fait des bonds. Puis, gardant le silence malgré leur excitation, ils s'approchent le plus possible, contre le vent.

Chasse en meute

Selon l'adversaire et l'endroit où ils donnent l'assaut, les loups attaquent différemment. Ils ne gaspillent jamais leur énergie à poursuivre longtemps une proie qui s'enfuit. Ils repèrent vite les animaux jeunes, âgés, blessés ou malades, les encerclent et les attaquent. Selon la proie, les loups ont recours à l'embuscade, à la poursuite ou à un mélange des deux. L'un des loups de la meute se montre pour opérer une diversion. Pendant ce temps, les autres encerclent le troupeau, puis se précipitent.

Orignal ou cerf acculés sont capables de fracasser le crâne de leurs assaillants, un bison d'en encorner plusieurs, mais une seconde d'hésitation est fatale à un animal trop jeune, inexpérimenté ou malade. Les bœufs musqués se défendent collectivement, en formant un cercle, épaule contre épaule et cornes basses. Devant une résistance opiniâtre, la meute préfère rompre l'engagement et partir en quête d'un adversaire moins coriace – ce qui est très fréquent.

La proie est rarement mise à mort du premier coup. Les loups cherchent à mordre les pattes, l'épaule, les flancs ou la croupe. Il faut parfois plusieurs assauts et de nombreuses poursuites pour faire tomber la proie. Un loup se pend à son mufle pour la paralyser pendant que d'autres s'accrochent à sa croupe. Étourdie par ses assaillants, attaquée de toutes parts, elle finit par succomber.

La majeure partie de l'animal tué est dévorée sur place – un loup mange de 9 à 10 kg de chair par repas. Lors de la curée, le mâle dominant écarte ses subalternes avec autorité. Il tolère que sa compagne le rejoigne, puis, repu, il laisse les restes aux autres loups. Dans la mêlée, chacun s'efforce de prélever sa part.

Il arrive que les loups soient rassasiés avant d'avoir tout dévoré. Ils enterrent alors les restes à l'abri des mouches, des corbeaux et des pies. Ces réserves de viande font la joie des renards et autres petits carnivores.

Chasses en solitaire

Durant l'été, les loups se nourrissent pour moitié d'ongulés (daim ou chevreuil) et pour moitié de divers petits animaux – rongeurs, marmottes, castors, lapins. Un individu seul peut tuer une proie isolée. Quand il l'a repérée, il se met à l'affût et s'élance pour la saisir à la gorge et n'en faire qu'une bouchée.

Le loup n'hésite pas non plus à pêcher dans les eaux peu profondes : il patauge le plus bruyamment possible en remontant le courant ; ou bien, allongé sur la rive, il fait sauter les poissons hors de l'eau, d'un coup de patte habile.

1.2. Un couple dominant fait régner l'harmonie

La vie de la harde repose toujours sur la personnalité du couple leader. Celui-ci est, en général, âgé de 4 ou 5 ans. La disparition de la femelle ne provoque pas de sérieuses perturbations. À la mort du mâle, au contraire, le groupe perd sa cohésion et souvent se disloque. Plus le dominant est un « bon » dominant, plus les relations au sein d'une même harde sont amicales et sans agressivité. Chaque loup a une forte personnalité et les qualités de chacun sont utilisées. Ce n'est pas, seulement, semble-t-il, son âge, sa force et son agressivité qui permettent à un individu de s'imposer aux autres. Son pouvoir repose beaucoup plus sur une conduite si déterminée qu'elle emporte l'adhésion de ses compagnons. Lorsqu'une décision du dominant est unanimement désapprouvée, l'avis général l'emporte et le leader s'y soumet.

Certains loups ont du mal à accepter la discipline qui leur est imposée. Ils quittent alors la meute, essaient de s'intégrer dans un autre groupe ou vivent seuls. Les loups solitaires sont, d'ordinaire, des individus jeunes, à la recherche d'un territoire ou d'une femelle. Ils longent le territoire des autres en restant discrets : ils s'abstiennent de hurler ou de déposer des marques odoriférantes, sans doute pour éviter les combats.

Bien qu'il décide des directions, des déplacements, le dominant mâle ne conduit pas toujours la meute. C'est alors la femelle dominante ou un dominé de haut rang qui le remplace. La hiérarchie est au contraire strictement respectée lors de la curée. Tandis que le mâle dominant se rassasie, des batailles éclatent alentour : la meute règle ses vieilles querelles. La raison du plus fort l'emporte.

Un seul couple se reproduit

Pendant 3 semaines, à la fin de l'hiver, la femelle entre en chaleur. La hiérarchie est alors renforcée, et plus dure à supporter pour les mâles dominés. Une seule femelle s'accouple d'ordinaire et les autres peuvent se battre pour ce droit. La compétition entre mâles est parfois très âpre : un individu immédiatement inférieur au dominant peut se montrer si gênant que l'accouplement est différé. Ou encore ce trouble-fête en profite pour s'accoupler avec la femelle dominante. De même, une femelle d'un rang moindre peut bénéficier des faveurs du mâle dominant. Mais, en général, le couple dominant reste fidèle.

Les loups se courtisent avec une étonnante tendresse. Ils se servent d'un rituel amoureux très expressif : baisers dans le cou, mordillement des lèvres, petits coups de langue rapides sur les joues, les oreilles ou le cou. La louve se frotte contre le mâle, elle pose ses pattes sur le dos du loup ou sa tête sur ses épaules.

Lors de l'accouplement, les loups restent, comme les chiens, prisonniers l'un de l'autre pendant 15 à 30 minutes. Ce phénomène est dû à une morphologie particulière des organes génitaux du mâle et de la femelle, et compense une certaine lenteur des processus physiologiques. Elle évite que des unions trop brèves soient stériles. Le loup et la louve s'accouplent deux ou trois fois par jour, durant toute la saison des amours. C'est à cette période précisément que s'établit, pour plusieurs mois, la hiérarchie de la meute.

1.3. Les loups hurlent en meute

Adolph Murie est le premier, en 1939-41, à observer des hardes de loups sauvages dans le parc national du mont McKinley, en Alaska. Il constate notamment qu'on trouve toujours un mâle et une femelle à la tête de la meute. L'effectif de la harde va de ce couple de base jusqu'à une dizaine de loups, sans compter les petits ; il varie selon la saison, la population de loups dans la région, la taille et la densité des proies. Dans les îles arctiques du nord du Canada, on compte 9 loups pour 1 000 caribous sur 10 000 km2, et 100 cerfs pour un seul loup dans le parc Algonquin (25 km2). En Espagne, ou en Italie (parc des Abruzzes), les hardes étaient autrefois constituées de 12 à 15 individus. Aujourd'hui, elles sont souvent réduites à de petites cellules familiales, faites d'un couple et de ses louveteaux.

Les études de L. David Mech dans l'Isle Royale, au Canada, ont mis en lumière les comportements de territorialité des loups. Chaque harde délimite une zone dont sont exclus les loups « étrangers ». Ce territoire s'étend de 100 à plus de 1 000 km2, selon la densité des proies. Jusqu'à 150 km de pistes balisées sillonnent le territoire.

C'est le mâle dominant qui, dans la majorité des cas, commande la harde. Il choisit le territoire, prend l'initiative des chasses et des déplacements du groupe. Il veille à la sécurité de ses subordonnés et au maintien de l'ordre dans la meute. Le travail est réparti selon les aptitudes de chacun à trouver les proies, à les poursuivre ou à les tuer.

Tous marquent les limites du territoire et les itinéraires avec urine ou excréments. Là encore, l'initiative et le choix de l'endroit reviennent au dominant.

Importance des rituels

La harde obéit à une hiérarchie stricte et durable : la position de chacun ne peut être remise en cause qu'à travers des événements tels qu'un décès ou la formation d'une nouvelle meute. Le respect de cette hiérarchie et, donc, la cohésion du groupe reposent sur des modes de communication olfactifs, sonores et visuels. Ainsi, les loups ont tout un code d'attitudes, de postures et de mimiques. Quand deux loups d'une même harde se croisent, celui qui domine marque son rang. Pour se reconnaître, les loups se reniflent la tête et l'arrière-train, mais soutenir le regard est un signe de provocation.

   Lorsque deux loups se rencontrent, le dominant adopte une attitude agressive ; il reste immobile, oreilles dressées, crinière hérissée, queue levée, pattes droites. L'animal de rang inférieur avance, oreilles baissées et queue entre les pattes. Puis il s'accroupit et lèche le museau de son congénère en signe de soumission. Si l'autre animal reste en posture de domination, queue et oreilles dressées, corps raide, le loup dominé se couche sur le dos, urine et présente ses organes génitaux.

Les premières études de John B. Théberge et J. Bruce Falls (1967) ont révélé que le loup a cinq façons de donner de la voix. La plus caractéristique, le hurlement, s'entend à plus de 8 kilomètres. Les loups ne hurlent que sporadiquement (toutes les dix heures, d'après le zoologue américain Fred Harrington), en général avant ou après la chasse. La meute signale ainsi sa présence aux hardes voisines. Mais elle peut aussi hurler sans raison apparente, pour le plaisir. Le loup aboie (alerte), jappe (amitié), gronde (désaccord et mise en garde), gémit (soumission ou amitié). Chaque individu a son timbre de voix, qui est toujours parfaitement reconnaissable.

1.4. Des louveteaux turbulents élevés par le groupe

La gestation dure environ deux mois. Quelques semaines avant la naissance, la louve prépare une ou plusieurs tanières à des emplacements différents. Ainsi peut-elle déménager si elle ne sent plus ses petits en sécurité. Selon ce qui est à sa disposition, elle choisit une grotte, une souche creuse, un trou entre deux racines, un arbre renversé, le terrier d'un autre animal.

Alexander W. F. Banfield, naturaliste canadien, a même découvert un jour une tanière sous des arbres renversés, avec une peau de wapiti en guise de toit ! Dans les régions chaudes et sèches ou dans la toundra, la louve est souvent obligée de creuser une simple cuvette sous les buissons ou une galerie dans le sable. Les tanières se trouvent presque toujours à proximité d'un point d'eau : durant l'allaitement, la louve a besoin de boire davantage. Prévoyante, elle enterre à proximité des provisions de viande. Aucun loup n'a le droit de venir la déranger. Postés aux alentours, son compagnon et le reste de la harde assurent sa sécurité.

La portée compte en général cinq louveteaux de 300 à 500 g, aveugles et sourds, au pelage sombre et ras. Durant dix jours, ils mènent une vie végétative, dormant et se gorgeant de lait aux huit mamelles de leur mère. Celle-ci les nettoie en les léchant, car ils ne savent pas uriner ni déféquer seuls sans se salir. On pense qu'ils apprennent ainsi le rapport entre la position couchée sur le dos et la soumission passive qu'ils conservent dans leur comportement d'adulte.

Au bout de trois semaines, ils ont les yeux ouverts et commencent à marcher. Puis, couverts d'un épais duvet, ils sortent de la tanière. Vers six semaines, débute le sevrage. Les louveteaux deviennent rapidement trop gros pour s'entasser dans la tanière et peuvent désormais se passer de sa protection. À la fin du deuxième mois, la louve les emmène dans un endroit plus, proche des troupeaux. La meute abandonne parfois les jeunes loups une journée pour aller chasser. À 3 mois, leur duvet fait place à la livrée des adultes. À 7 mois, ils suivent la harde dans ses déplacements. Les mâles sont matures à 3 ans, les femelles à 2 ans.

Dès la naissance, les louveteaux luttent pour survivre. L'accès aux tétines est difficile ; ils craignent le froid et l'humidité ; ils sont recherchés par l'aigle et le grand duc. Jusqu'à dix mois, de 50 à 80 % d'entre eux peuvent trouver la mort.

Soins communautaires pour les louveteaux

Les petits sont pris en charge par les parents et la meute entière. Mais, durant les premières semaines, seule la mère s'en occupe. Son mâle et le reste de la meute l'approvisionnent devant la tanière. Elle reçoit sa part de la chasse sous forme de morceaux entiers ou régurgités. Les louveteaux et le groupe font alors peu à peu connaissance. Très vite, les petits hurlent et grognent pour réclamer leur nourriture. Désormais, la louve s'absente afin de chasser ou se reposer : les louveteaux sont alors placés sous la surveillance d'un « protecteur », mâle ou femelle, qui les défend et joue avec eux.

Des louveteaux joueurs

Quand les louveteaux ne sont pas occupés à manger ou à dormir, ils jouent entre eux avec des cailloux, des feuilles. Ils se révèlent très chahuteurs avec les adultes. Ceux-ci sont très patients lorsque la jeune classe leur mord les babines ou monte sur leur dos. À l'âge de 2 mois, les jeux sont plus brutaux et les adultes moins patients. Ils leur enseignent l'art de la chasse, l'embuscade, l'affût, l'attaque, l'esquive. Presque adultes, ils jouent encore beaucoup. Les jeux avec les adultes sont une occasion d'apprendre à respecter la hiérarchie, mais aussi d'échanger beaucoup de tendresse.

1.5. Milieu naturel et écologie

Apparu il y a environ 2 millions d'années, d'abord sur le continent américain puis en Eurasie, le loup s'est répandu dans tout l'hémisphère Nord. Seuls les déserts et la forêt tropicale ont arrêté son expansion vers le sud. Peu de régions sont restées hors de sa portée exceptés les sommets les plus hauts où le climat est trop ingrat. Cette prodigieuse capacité d'adaptation en a fait l'unique être vivant directement concurrent de l'homme, le berger comme le cultivateur.

Il y a encore deux cents ans, le loup est un mammifère extrêmement répandu. Mais, victime des persécutions qui lui sont infligées par l'homme depuis des siècles, repoussé par l'extension des pâturages et des villes, cet animal prudent et timide s'est replié vers des régions plus hostiles, vides d'hommes.

Il est pratiquement impossible d'estimer avec précision les effectifs actuels des loups, car ils sont très fluctuants. On peut tout au plus donner des approximations. Dans le monde, à la fin des années 2000, on estime que le nombre de loups est compris entre 190 000 et 217 000.

Trois pays principalement sont riches en loup : 

– la Russie : 25 000 à 30 000 loups au début des années 2000 ;

– le Kazakhstan : environ 30 000 ;

– le Canada : de 52 000 à 60 000.

En Asie, le loup est encore présent en Mongolie (entre 10 000 et 20 000 loups) et en Chine (environ 12 000 animaux) ; ailleurs sur le continent, il survit sous la forme de petites populations isolées. En Amérique du Nord, il existe aux États-Unis (15 000 à 16 000 individus en incluant l'Alaska, où il est encore assez fréquent — ailleurs dans le pays, il est devenu très rare), et au Mexique où, au bord de l'extinction (quelques individus seulement), il est protégé. En Europe, la situation est très variable selon les pays. C'est surtout en Europe orientale et centrale que les loups se maintiennent le mieux (outre la Russie, notamment en Biélorussie, avec 2 000 à 2 500 loups, en Ukraine, avec environ 2 000 individus, en Roumanie, avec 2 500 bêtes).

Dans les pays d'Europe occidentale (à l'exception de l'Espagne, où l'on estime le nombre d'individus à environ 2 000), la situation est plus critique. Cependant, des mesures de protection et l'application de permis de chasse soumis à des conditions très strictes assurent un peu partout la remontée des effectifs, voire sa réapparition dans des pays desquels il avait totalement disparu.

La France devait compter 5 000 loups au début du xixe siècle. Elle n'en avait plus que 500 en 1900 et qu'une dizaine en 1930. L'espèce a ensuite rapidement totalement disparu du territoire (bien auparavant, en Europe de l'Ouest, le loup avait disparu d'abord en Angleterre [1486], puis en Écosse [1770]). Le loup est réapparu en France dans les Alpes (Mercantour) en 1992, sous la forme de quelques individus isolés venus d'Italie, où le loup reprenait pied. Aujourd'hui, on estime que sa population totale sur le territoire français est comprise entre 80 et 100 animaux.

En Italie, le Progetto Lupo (« Projet Loup ») initié par le WWF (Fonds mondial pour la nature) a de fait porté ses fruits. D'une centaine de loups au milieu des années 1970, la population lupine de la péninsule est estimée entre 500 et 700 individus au milieu des années 2000. Depuis l'Italie, le loup est d'abord réapparu en France puis, à partir de l'Italie et de la France, en Suisse au début des années 2000 (quelques individus seulement).

Un superprédateur et un régulateur écologique

Dans les régions où pullulent les grands cervidés (Canada, Asie du Nord), le couvert forestier subit une dégradation constante au fur et à mesuré que ces herbivores s'alimentent. Or, même après la création du parc national de l'Isle Royale, en 1940, la population d'élans variait énormément (de 1 000 à 3 000) selon les périodes d'abondance ou de famine. Les études de D. Mech et de son équipe ont montré qu'après l'arrivée des loups, en 1949, cet effectif s'est stabilisé (entre 600 et 800 bêtes) en quelques années. Alors que 225 jeunes naissent tous les ans, les 25 loups du parc tuent pendant ce temps 140 jeunes et 85 adultes, soit 225 bêtes. Depuis ce temps-là, la forêt ne présente plus d'indice de surpâturage.

Par ailleurs, dans les régions où les loups ont été systématiquement abattus (comme en Pologne durant la Seconde Guerre mondiale), on a constaté que les rennes étaient victimes de maladies épidémiques d'une ampleur nouvelle. Auparavant en effet, les loups, en éliminant les bêtes faibles, vieilles ou malades des troupeaux, contribuaient largement à ce que ceux-ci restent sains et résistants.

À la suite de plusieurs saisons de reproduction réussies au sein d'une meute, une majorité de petits étant parvenue à l'âge adulte, le nombre de loups augmente. C'est un symptôme de bonne santé des populations. Une telle augmentation d'une population lupine déclenche des réactions en chaîne. D'une part, les rivalités et la contestation s'accroissent au sein de la meute, qui procède alors à des exclusions. La rupture de l'harmonie sociale empêche la plupart des accouplements et les soins aux petits. D'autre part, plus les loups sont nombreux, plus le nombre de proies par individu diminue et la famine les menace. Lorsque le jeûne se prolonge, les loups deviennent moins résistants et vulnérables aux multiples parasites internes ou externes qui les infestent (tiques, poux, puces, gale, etc.). La natalité se met, une fois encore, à baisser, ce qui a pour effet de réguler la population de loups.

Une brusque réduction de la densité des proies, due à des modifications de leur environnement, peut aussi aboutir à une réduction de la natalité des loups. En réalité, le comportement social de Canis lupus s'avère être le plus puissant obstacle à ces proliférations que l'on observe chez les renards ou les chacals, dont l'organisation n'est pas aussi structurée.

2. Une seule espèce, plusieurs sous-espèces

2.1. Loup gris (Canis lupus)

Le loup gris (ou, plus simplement, loup) est d'un naturel timide et prudent, en particulier vis-à-vis de l'homme, qui depuis longtemps tente de l'exterminer. Il vit au sein d'un groupe social très hiérarchisé, allant de la cellule de base d'un couple à une harde d'une vingtaine d'individus quand les proies sont nombreuses et de grande taille.

Son allure générale est celle d'un chien de traîneau (husky), mais on le compare plus fréquemment au berger allemand, même s'il a quelques caractéristiques physiques différentes. Le loup a un museau pointu, des joues musclées, des oreilles écartées et dressées. Les flancs sont creusés ; la queue, courte et épaisse, est portée très bas. Ses longues pattes dont les coudes avant sont tournés vers l'intérieur constituent sa principale caractéristique. Pourvues de griffes non rétractiles, à croissance continue, elles permettent au loup de creuser la terre pour rechercher un petit rongeur, pour ensevelir les restes de nourriture ou pour se fabriquer une tanière.

Sa cage thoracique est étroite, mais une ventilation accélérée facilite le trot. Agile et rapide, le loup, grâce à sa conformation et sa constitution robuste, est davantage capable d'efforts d'endurance que de brèves mais brillantes performances. Coureur infatigable, il peut parcourir 100 km en une nuit, en quête de proies. Cependant, sa vitesse de pointe ne dépasse guère 64 km/h sur quelques centaines de mètres. Encore faut-il que cela en vaille la peine !

L'espèce Canis lupus regroupe une vingtaine de sous-espèces. La plupart des spécialistes sont d'avis que le pelage du loup s'adapte à l'environnement et au climat. La teinte varie en effet du noir au blanc, selon la région. Les loups des contrées très boisées ont une couleur sombre assez uniforme ; ceux des zones septentrionales sont de couleurs diverses, toujours nuancées de poils gris, bruns ou blancs ; ceux des régions arctiques paraissent blancs à distance, mais, de près, ils laissent voir des nuances grises, noires ou rousses. Cette diversité de couleurs permet aux animaux de mieux se confondre avec leur habitat, et de ne pas être vus quand ils chassent. En outre, les loups de l'Arctique ont, au fond de leur pelage, un duvet très dense qui les protège mieux du froid. Les loups des régions tempérées muent à la fin de l'hiver et semblent beaucoup plus minces jusqu'à l'automne.

L'association en meute, quand ils doivent, pour survivre, chasser des proies de grande taille, est un autre exemple de leur adaptation à l'environnement. Excellents nageurs, ils poursuivent leur proie jusque dans l'eau, même glacée.

Le loup possède une ouïe et un odorat très sensibles, qu'il utilise couramment quand il chasse. Sa vision saisit mieux les sujets en mouvement que les formes immobiles ; elle le conduit parfois à prendre l'homme pour une proie, jusqu'au moment, selon le naturaliste A. W. F. Banfield, où l'animal reconnaît l'odeur humaine et s'enfuit, très effrayé.

Quand la nourriture est abondante, le loup mange beaucoup et digère vite. Prudent, il constitue souvent des réserves, qu'il enterre. Il se montre très frugal pendant les périodes de pénurie : il est capable de jeûner une dizaine de jours sans problème.

Gavé de nourriture, le loup s'accorde de petits sommes de cinq à dix minutes qui se répètent plusieurs fois. Entre deux sommes, il se lève, jette un rapide coup d'œil alentour, tourne sur lui-même et se remet en boule.

2.2. Les sous-espèces

Il existerait une vingtaine de sous-espèces ou races géographiques du loup. En voici quelques-unes :

Loup commun :

- Canis lupus lupus. Forêts d'Europe et d'Asie. Taille moyenne, fourrure foncée et courte.

- Canis lupus italicus. Péninsule italienne (installé en France depuis le début des années 1990).

Loup de la toundra d'Eurasie, Canis lupus albus. Grand, pelage long et clair.

Loup du Mexique, Canis lupus baileyi. Mexique et sud des États-Unis (Arizona). Fourrure ocre clair, gris-noir sur le dos. Très menacé ; seulement quelques individus survivant à l'état sauvage.

Loup du Canada et de l'Alaska, Canis lupus occidentalis. Grand, au pelage long et clair.

Loup des bois, ou du Canada, ou loup de l'Est, Canis lupus lycaon. Est du Canada. Le plus répandu en Amérique du Nord autrefois. Petit, généralement gris.

Loup des plaines, Canis lupus nubilus. Amérique du Nord. Blanc à noir, grand.

Le Loup rouge, Canis rufus, est une espèce distincte du loup gris. Sa fourrure de couleur cannelle à fauve, comporte des traces de gris ou de noir. On le rencontre dans les plaines côtières et les forêts du sud-est des États-Unis. Il est très menacé.

          

LOUP GRIS

Nom (genre, espèce) :

Canis lupus

Famille :

Canidés

Ordre :

Carnivores

Classe :

Mammifères

Identification :

Ressemble au berger allemand. Cou épais, face large et concave, museau fin, oreilles pointues, queue ébouriffée. Pelage de couleur variable. Mue au printemps

Taille :

De 100 à 150 cm de long (femelle < mâle). De 60 à 95 cm au garrot. Queue de 30 à 50 cm

Poids :

De 18 à 70 kg

Répartition actuelle :

Nord de l'Amérique du Nord, Asie, Moyen-Orient, quelques populations résiduelles en Europe

Habitat :

Très varié. Paysages ouverts, forêts à dominance d'arbres à feuilles caduques, banquise

Régime alimentaire :

Carnivore. Apports ponctuels de fruits et insectes

Structure sociale :

Groupe social de type « couple monogame durable »

Maturité sexuelle :

Mâle : 3 ans. Femelle : 2 ans

Saison de reproduction :

Début de l'hiver en Amérique du Nord, février-mars en Espagne, mars en Italie, avril dans l'Arctique

Durée de gestation :

De 61 à 63 jours, une fois par an

Nombre de jeunes par portée :

De 3 à 8 (5 en moyenne)

Poids à la naissance :

De 300 à 500 g

Espérance de vie :

De 8 à 16 ans (jusqu'à 20 ans en captivité)

Effectifs, tendances :

Estimations : de 190 000 à 217 000. Disparu d'une grande partie de l'Europe occidentale et des États-Unis, éteint au Mexique.

Statut, protection :

Porte la mention « préoccupation mineure » (2008) sur la liste rouge des espèces menacées d'extinction de l'U.I.C.N. (Union internationale pour la conservation de la nature) ; protégé sur une partie de son aire de répartition

Remarque :

Record de 400 km détenu par un « grand vieux loup » traqué par le Grand Dauphin, de la forêt de Fontainebleau aux portes de Rennes

 

2.3. Signes particuliers

Cris et hurlements

Le hurlement dure de 1/2 à 11 secondes avec une fréquence de 150 à 780 cycles/s. L'analyse graphique de ce cri, le sonogramme, fait apparaître plus de douze harmoniques (tonalités différentes). Le hurlement est le plus fort et le plus caractéristique des cinq émissions sonores du loup (plainte, grondement, aboiement, jappement aigu, hurlement). Il peut être détecté par l'oreille humaine à 8 km de distance, mais on pense que les loups l'entendent de plus loin. Les loups hurlent seuls ou en groupe, assis, couchés ou debout, à tout âge et toute l'année.

Regard ensorcelant

Les loups ont de beaux yeux, implantés à l'oblique. L'iris est ambré ou blanc bleuté. Le pelage est souvent tacheté de blanc, dessous et entre les yeux. Leur vision n'est pas mauvaise, mais ils l'utilisent peu pour chasser.

Pattes solides

Elles sont longues et musclées. Très souvent, des poils plus sombres forment une rayure verticale sur le devant. Les coudes des pattes avant sont tournés vers l'intérieur et les pieds vers l'extérieur. Les pieds ont 5 doigts dont l'un ne repose pas sur le sol. Les ongles, à croissance continue, ne sont pas rétractiles. À petite allure, les loups placent une patte arrière, à quatre doigts, à l'endroit que vient de quitter une patte avant, laissant une seule trace caractéristique en ligne droite. Quand une meute aborde une courbe, les loups s'écartent les uns des autres ; on peut alors évaluer leur nombre. La patte repose sur 5 coussinets : 1 central, plus grand et 4 petits, situés chacun sous un doigt.

Dents robustes

Ses 42 dents sont robustes et pointues (jusqu'à 27 mm). La pression des mâchoires peut être énorme (15 kg/cm2) : un loup est capable de briser le fémur d'un élan adulte avec ses grosses prémolaires carnassières. Au bout de dix ans, ces crocs sont usés ; les loups ont alors du mal à s'alimenter et finissent par mourir de faim.

3. Origine et évolution du loup

Il y a 40 millions d'années, un ancêtre des canidés et des félidés, Miacis, vit en Amérique du Nord. Puis, il y a 30 millions d'années, vient l'Hesperocyon ; on a retrouvé jusqu'en Europe un grand nombre de fossiles de cet ancêtre des canidés qui ressemble un peu à une genette. Tomarctus, remontant à 10 millions d'années, est peut-être le premier des canidés véritables. Il n'en reste que des crânes et des dents, mais les paléontologues pensent que ses pattes sont proches de celles des loups, chiens et renards d'aujourd'hui, à quatre doigts serrés.

Avec Canis donnezani surgissent en Europe occidentale les tout premiers membres du genre Canis, il y a environ 3 à 4 millions d'années. L'Homo habilis est déjà là quand les premiers loups (Canis lupus) apparaissent, il y a 2 millions d'années. Par la suite, des changements de climat considérables provoquent le déplacement des grands herbivores. Les loups se répandent alors en Eurasie, puis en Amérique du Nord, terre de leurs lointains ancêtres, en suivant la piste des troupeaux.

La communauté scientifique s'accorde pour voir dans le loup l'ancêtre le plus crédible du chien domestique. On sait qu'au mésolithique et au néolithique une certaine forme de chien vit auprès des hommes, car, lors de fouilles aux États-Unis et en Europe, on a exhumé des ossements datant de 9 000 à 14 000 ans.

La domestication du chien a entraîné progressivement une modification de ses organes internes et des sens du loup, qui ont perdu de leur finesse. Le cerveau s'est allégé (69 % moins lourd que celui du loup). Le chien n'en est pas moins intelligent, mais il est adapté à la vie domestique ; il présente aussi des comportements juvéniles du loup. S'il « retourne à la nature », il se rapproche du loup. Aujourd'hui, le loup vit surtout en Amérique du Nord et en Asie (Sibérie), ainsi qu'en Europe centrale et orientale ; en revanche, s quelques centaines d'animaux  seulement courent encore dans les forêts d'Europe occidentale.

Systématiquement pourchassé depuis le Moyen Âge, le loup, en tant que prédateur, joue un rôle indispensable dans la nature. Il est donc urgent de renoncer à nos frayeurs ataviques et de vivre en harmonie avec les loups.

4. Le loup et l'homme

Objet de chasses acharnées depuis des siècles, le loup est toujours craint, alors qu'il a pratiquement disparu de nos régions. Son avenir repose désormais entre les mains de l'homme, qui doit sauver les animaux qui subsistent encore en leur préservant des territoires adéquats et en comprenant leur rôle indispensable dans l'équilibre général de la nature.

4.1. Les enfants-loups depuis la fondation de rome

La légende rapporte qu'une louve aurait nourri Romulus, futur fondateur de Rome, et son jumeau Remus. Depuis, des histoires similaires surgissent de temps en temps, particulièrement en Inde, comme nous l'a raconté l'écrivain Rudyard Kipling dans le Livre de la Jungle (1894), avec l'adoption d'un « petit d'homme », Mowgli, par le Clan des Loups.

Dans la réalité, il est fort peu probable qu'un nouveau-né d'homme puisse survivre dans la tanière d'un loup. Admettons que les loups, en le découvrant, l'épargnent et l'adoptent : comment pourra-t-il passer du lait de louve à la viande régurgitée à l'âge de 2-3 mois, et suivre la meute un mois plus tard ? Et, s'il est déjà assez grand, réussira-t-il à communiquer avec ses frères loups sans oreilles ni queue ni babines retroussables ?

4.2. De haine et de frayeurs

À toutes les époques ou presque, le loup a été considéré en Europe comme un animal nuisible et malfaisant, et la superstition voulait que la rencontre d'un loup soit un présage funeste.

Si l'origine des relations entre le loup et l'homme remonte au paléolithique, c'est au Moyen Âge qu'on le « prend en grippe » en Occident : froid, guerres, disette, épidémies et misère déciment les populations. Alléchés par les cadavres laissés sans sépulture, les loups nécrophages deviennent courants. Ils s'approchent des habitations et les chroniques rapportant des attaques par des loups abondent. Bien que l'on connaisse peu de cas d'hommes tués par des loups, la légende du loup anthropophage était née, et la chasse au loup déclarée. Et, dès cette époque jusqu'au xxe siècle, des primes ont été accordées à ceux qui tuaient les loups.

L'histoire de cette lutte contre les loups, liée à la peur des hommes, suit les progrès de la civilisation. Toutes sortes de pièges plus ou moins élaborés apparaissent. Puis les gros chiens de garde sont équipés d'un large collier hérissé de pointes acérées pour les protéger des loups. Le poison et les armes à feu, au xviiie siècle, marquent une étape décisive. Aujourd'hui, les hommes ont de leur côté la précision des armes et la rapidité des transports. Et, dans le Grand Nord canadien, la chasse aux loups en motoneige est un sport très apprécié des amateurs. Pourtant, un loup pris au piège renonce à toute résistance et quelques cailloux bien lancés ou un gros bâton suffisent à le tenir en respect.

4.3. Les efforts de quelques hommes pour sauver les loups

Les loups ont été exterminés en de nombreux endroits du globe. Toutefois, des excès de cette nature sont moins à redouter pour les années à venir, le regard porté sur cet animal s'appuyant de plus en plus sur des études biologiques plutôt que sur des réactions émotives.

En ce qui concerne l'Europe et l'Asie, une initiative intéressante a été prise dès 1973 par la Commission du service de sauvetage (CSS) de l'Union mondiale pour la nature (UICN) : la création d'un groupe de spécialistes des loups. Ces éco-éthologistes de plusieurs pays se réunissent régulièrement. Outre l'étude des populations de loups, ils travaillent à la conservation de l'espèce et à l'information du grand public. Leur premier principe s'énonce ainsi : « Le loup, comme toute espèce vivante, a le droit d'exister à l'état sauvage. Ce droit ne dérive en aucune façon de la valeur qu'il peut avoir éventuellement pour l'homme. Il découle du droit que possèdent toutes créatures vivantes, en tant qu'éléments des écosystèmes naturels, de coexister sans être entravées par l'homme. » (D.H. Pinlott, 1973.)

Les différentes mesures de protection prises au niveau de l'Union européenne ont permis une remontée des effectifs du loup dans plusieurs régions de l'Europe occidentale. En dépit de ces avancées positives, l'espèce y reste rare et menacée. Sa présence implique également de gérer les dégâts qu'il inflige aux troupeaux de bétail, notamment de moutons. La cohabitation avec les éleveurs des régions pastorales ne va en effet pas sans heurts.

L'Égypte ancienne vénérait le loup comme un de ses dieux les plus importants ; l'Inde le considère comme un animal sacré ; depuis longtemps les Inuits ont compris son rôle écologique et le respectent, s'en faisant même un allié pour la chasse. Les autres populations humaines sauront-elles finalement, à l'exemple de ces peuples, vivre en harmonie avec les loups rescapés du massacre ?

4.4. Le loup rouge, histoire d'une disparition

Dans la plupart des États du sud-est des États-Unis, le loup rouge (Canis rufus) étendait sa domination sur des forêts de pins inviolées, des marais et des savanes côtières. Il n'était guère dangereux, pas même pour le bétail. Mais des campagnes d'extermination ont été entreprises, dès la fin du xixe siècle et jusqu'en 1963. Durant cette première partie du xxe siècle, les agents fédéraux américains ont abattu 10 275 loups, dans les États de l'Arkansas, du Texas et de l'Oklahoma.

Entre 1930 et 1940 s'est produit un étrange phénomène. Dans les régions où les loups étaient pris au piège ou empoisonnés, l'espèce disparaissait complètement, créant ainsi un vide écologique. C'est aussi à cette époque que dans l'Ouest, au Texas, on a observé un début de croisement entre coyotes et loups, conséquence de l'irruption de l'homme dans leur habitat. Tout naturellement, ces hybrides ont émigré à l'est et ont occupé la place laissée vacante par les loups rouges. Comme les mâles de race pure manquaient, l'hybridation s'est poursuivie, suscitant une nouvelle menace pour l'espèce entière Canis rufus.

Coyotes et hybrides ont donc envahi des zones où ils ont fait naître des problèmes de déprédation bien plus grands que ceux que les loups rouges avaient jamais posés.

En 1980, le loup rouge était éteint à l'état sauvage. Cependant, en 1987, sa réintroduction à partir d'animaux en captivité a permis l'établissent d'une petite population dans l'est de la Caroline du Nord. Mais, avec des effectifs très faibles – au milieu des années 2000, une cinquantaine d'individus adultes, en tout moins de 150 loups rouges dans la nature –, l'espèce reste proche de l'extinction.

4.5. Amarok, l'esprit du loup

Les Inuits et les Amérindiens d'Amérique du Nord ont depuis toujours considéré le loup (amarok en langue inuit) comme un associé dans la recherche de leur nourriture.

Par le type de chasse qu'il pratique, le loup entretient les populations de gros gibier, contrairement à l'homme qui élimine les plus beaux spécimens. De cette observation, les Inuits ont tiré une légende que Fairley Mowat a retranscrite en 1974.

Au début du monde, seuls l'Homme et la Femme marchaient sur la Terre. Il n'y avait aucune autre présence vivante sur terre, aucun poisson dans l'eau, aucun oiseau dans le ciel.

Un jour, la Femme décida de creuser un grand trou dans le sol, et en tira tous les animaux de la création. Le dernier fut le caribou. Alors, Kaïla, le dieu du Ciel, lui expliqua que le caribou était un animal qui avait une grande importance pour la race de l'Homme, et que c'était le plus grand cadeau qu'elle pouvait recevoir car il ferait vivre l'Homme. La Femme relâcha le caribou et lui dit de se répandre sur la Terre et de se multiplier.

Bientôt, les caribous furent si nombreux qu'ils formèrent des troupeaux et que les Fils de la Femme purent vivre en les chassant. Ceux-ci ne tuaient que les animaux gros et gras, laissant les petits, les maigres et les malades, moins bons à manger. Un jour, il ne resta plus que ceux-ci dont les Fils ne voulaient pas de peur, en les mangeant, de devenir faibles et malades comme eux.

Les Fils allèrent se plaindre à la Femme qui alla à son tour se plaindre à Kaïla. Le dieu du Ciel écouta les demandes de la Femme, puis il alla rendre visite à Amarok, l'esprit du Loup. Il lui demanda que ses enfants, les loups, mangent les caribous petits, maigres et malades pour que les troupeaux redeviennent nombreux, les animaux gros et gras, et que les Fils de la Femme puissent de nouveau les chasser.

Amarok, l'esprit du Loup, accepta et désormais les loups mangèrent les caribous les plus faibles pour que les troupeaux restent sains. « Et pour les Fils, le loup et le caribou ne sont devenus plus qu'un. Car, si le caribou nourrit le loup, le loup conserve le caribou en bonne santé. »

4.6. Quand on parle du loup...

Le loup n'en finit pas de hanter l'imaginaire des hommes d'hier et d'aujourd'hui...

Du conte le Petit Chaperon rouge qui, avant d'être adapté par Charles Perrault à la fin du xviie siècle, appartenait à la tradition orale française, de la poésie les Loups de Paul Verlaine ou encore de la chanson de Serge Reggiani Les loups sont entrés dans Paris, jusqu'au loup de Tex Avery, le thème du loup fait florès. Aujourd'hui, les enseignes et marques commerciales continuent à jouer à « loup, y es-tu ? ».

Le loup est toujours présent dans le langage quotidien, même s'il a disparu de notre environnement. On marche silencieusement, « à pas de loup », on se met « à la queue leu leu » dans les sentiers étroits (leu est le nom du loup en français ancien). On déclare avoir une « faim de loup », on se promène « entre chien et loup », à la tombée de la nuit, on se « jette dans la gueule du loup ».

Mais une « gueule-de-loup » est une fleur, une « vesse-de-loup » un champignon, et le lynx est aussi appelé loup-cervier. Si l'on vous parle d'un « loup », à quoi penserez-vous d'abord : au poisson, au masque, ou plus simplement à l'animal ?