Afrique noire

Les origines de l'homme
Les origines de l'homme

Ensemble des pays africains situés au S. du Sahara.

Avant la désertification de la zone saharienne, il y a un peu plus de deux millénaires, parler d'Afrique noire n'a guère de sens, tellement les cultures du nord du continent sont parentes, imbriquées à celles qui se développent au sud du Sahara. Le grand dessèchement sépare, plus radicalement qu'auparavant, une Afrique septentrionale, profondément islamisée depuis treize siècles, d'une Afrique qui s'étend du golfe du Bénin aux plateaux du Karroo.

1. Le cheminement d'une notion

1.1. Avant notre ère : une vision globalisante

Avant notre ère, les échanges de populations et de cultures sont forts entre les deux zones, même si des particularités remarquables, dans le rapport à l'environnement, apparaissent déjà en Afrique intertropicale. Ces particularités ont été accentuées par le désert, l'islamisation et la colonisation européenne ; elles n'ont pas effacé certains traits d'unité anciens ; il convient de ne jamais l'oublier quand on parle de l'Afrique noire.

Les Grecs anciens savaient qu'en Afrique vivaient des peuples « différents », tant par leurs habitudes alimentaires que par la couleur de leur peau : ils les avaient nommés Éthiopiens, « faces brûlées [par le soleil] ». Reprenant souvent des supposés géographiques grecs ou latins, les écrivains de langue arabe ont considéré que, « vers le sud » des territoires où l'islam était installé, vivaient d'innombrables peuples sudan (« noirs », Bilad al-Sudan : « Pays des Noirs »).

1.2. Mondes christianisés et islamisés, et mondes païens

Quant aux Européens, reprenant cette vision globalisante, ils parlent d'une « Afrique des Noirs ». Dans la seconde moitié du xve siècle, les chroniques de Zurara relatent comment les Portugais découvrent avec stupéfaction sur les côtes d'Afrique la diversité des populations non musulmanes, avec lesquelles ils n'avaient guère eu, jusque-là, de contacts. Ces « Maures noirs », « disgraciés de visage et de corps », ne parlent pas l'arabe, mais, au fur et à mesure que l'on progresse vers le sud, des langues de plus en plus diverses : ainsi naît la légende tenace de la mosaïque linguistique du « Pays des Noirs ».

Une frontière culturelle apparaît aux xive et xve siècles entre peuples de la « civilisation et des manières raisonnables de vivre » – les mondes christianisés et islamisés, même s'ils sont antagonistes – et peuples du Sud, attachés à leur « paganisme » et noyés dans leur fragmentation linguistique.

1.3. Une notion idéologique commode

L'archéologie a apporté la preuve que c'est en Afrique orientale que l'homme est apparu. Comment établir une frontière entre Afrique blanche et Afrique noire ? Comment classer les Garamantes de l'époque romaine ou les Éthiopiens d'Aksoum – qui ne se reconnaissent pas comme étant totalement noirs et se distinguent des Oromos, les peuples de la corne de l'Afrique, ainsi que de ceux de la vallée du Nil – sinon en recourant à des critères culturels, religieux et sociaux arbitraires ? Le terme d'Afrique noire ne recouvre donc pas un concept, fût-il racial – on trouve des Noirs bien au-delà du 20e parallèle nord – il renvoie le plus souvent à une notion idéologique commode : il a souvent justifié la colonisation du continent.

2. Les origines et leur importance

À l'est du Rift – la grande fracture qui traverse l'Afrique de la mer Rouge au lac Malawi –, plusieurs lignées, qui annonçaient l'homme actuel, ont coexisté et se sont succédé depuis 4 millions d'années. Nous sommes encore assez peu capables de restituer avec précision et certitude la vie de ces groupes qui se sont multipliés lentement, trouvant dans la chasse, la pêche et la cueillette les éléments d'une alimentation suffisante. On sait néanmoins, grâce à leurs traces retrouvées par les archéologues, que la bipédie remonte à 3 millions d'années, que la vie en groupes solidaires existe depuis au moins 1,5 million d'années et que le feu a été domestiqué voici 600 000 à 500 000 ans ; par ailleurs, les outils de pierre, d'os ou de bois ont été progressivement transformés en fonction de leurs besoins.

Les paléontologues, aujourd'hui, voient généralement dans l'Afrique intertropicale la souche première du peuplement de tout l'Ancien Monde : des hommes ont, à plusieurs reprises, quitté l'Afrique, en particulier pour se diriger vers le nord, peuplant lentement l'Asie et l'Europe. L'une des dernières grandes crises climatiques qui affecta l'Afrique se produisit entre 30 000 et 20 000 avant J.-C. Elle correspond à la dernière grande glaciation dans l'hémisphère Nord, qui entraîna une baisse importante du niveau des mers. Sur le continent africain, cela se traduisit par une phase humide, suivie entre 20 000 et 10 000 avant J.-C. par une phase d'extrême aridité. Cette longue période difficile a vraisemblablement divisé le continent en zones refuges (étendues d'eau et vallées notamment), où le gibier et les hommes se sont regroupés, et en zones abandonnées : déserts du Nord et du Sud, et forêt inhospitalière.

3. Les racines (entre 10 000 et 5 000 avant J.-C.)

Un nouveau changement climatique se produit vers 8 000 avant J.-C. : les précipitations redeviennent plus importantes sur l'Afrique, même si elles restent soumises à l'alternance saison sèche/saison humide. Le retour de l'eau se traduit par une remontée, parfois spectaculaire (plus de 100 m) du niveau des lacs, des mers et des cours d'eau. La forêt regagne des territoires perdus à l'époque précédente, mais l'homme la connaît mieux et parvient à y survivre dans les zones moins denses.

3.1. Quelques zones d'occupation

Les nombreuses recherches effectuées par les archéologues depuis les années 1960 ont permis de mettre en évidence différentes zones d'occupation humaine.

Les crues énormes dans les grandes rigoles du Nil, du Niger, du Zambèze et de cours d'eau moins importants interdisent à l'homme de s'installer dans les vallées. Il lui faut s'établir à une distance de l'eau qui lui permet d'échapper au danger: pour cela, il observe la périodicité des crues et en repère les niveaux maximaux. Avec l'eau, revient l'abondance du bétail et celle du poisson d'eau douce, forte ressource alimentaire des Africains. Partout où existent des cours et des étendues d'eau, du Sahara occidental au Nil et aux lacs de l'Afrique orientale, la pêche, qui laisse d'importantes traces matérielles (hameçons, harpons, restes alimentaires), reprend avec vigueur. Des groupes se sédentarisent, du moins momentanément, en particulier autour du lac Victoria et de Khartoum. Plus au sud, en Afrique orientale et méridionale, à l'exception des côtes méridionales, la chasse et la cueillette l'emportent sur la pêche: une abondante industrie microlithique va, durant des milliers d'années, prolonger l'existence, aisée semble-t-il, de ces chasseurs-cueilleurs. L'homme a également laissé des traces de son passage entre le Zambèze et la République démocratique du Congo, par exemple en Namibie.

Un autre ensemble humain se dessine autour du lac Tchad, beaucoup plus étendu qu'aujourd'hui et qui reçoit des affluents à la fois du nord-ouest et du sud-est. Une zone importante de concentration de populations est la vallée de la Bénoué, grand affluent du Niger et véritable corridor entre celui-ci et le lac Tchad. C'est dans le sud du Nigeria, à Iwo Eleru, que le plus ancien squelette d'Homo sapiens sapiens noir actuellement connu a été retrouvé. Beaucoup d'indices laissent à penser qu'une large bande de terre, de la Guinée au Tchad et au Cameroun, a peu à peu vu naître, en région de forêt domestiquée ou périforestière, les premiers éléments de ce qu'il est convenu d'appeler globalement, par manque d'éléments, la « civilisation bantoue ».

Hormis les zones « lacustres » du Sahara, l'Afrique occidentale a livré peu de traces d'occupation humaine ; l'état des recherches, dans les régions situées autour de la vallée du Sénégal et surtout du delta intérieur du Niger, ne permet pas de se prononcer sur l'importance de leur occupation. En revanche, un secteur centre-saharien, encadré par l'Adrar des Iforas, le Hoggar et l'Aïr, est en pleine occupation dynamique : un drainage important, par la grande vallée de l'Azaouagh emporte les eaux jusqu'au Niger. Nous avons les preuves que les populations proches de l'Aïr fabriquaient déjà des poteries vers 7 500 avant J.-C. et broyaient des grains avec des meules de pierre. Étaient-ils noirs ? Étaient-ils méditerranéens ? Quoi qu'il en soit, ils ont peu de traits communs avec leurs voisins du Nord, vivant dans la Tunisie actuelle, mangeurs d'escargots. Ce foyer du Hoggar, dont l'influence s'étend vers l'est jusqu'au Tibesti, va se développer pendant la période suivante.

Autour des points d'eau importants de la rive gauche du Nil se rassemblent des groupes humains qui n'osent pas encore occuper la vallée elle-même; vers 6 000 avant J.-C., certains de ces groupes ont commencé à domestiquer des animaux. De l'Égypte et de la civilisation égyptienne, il n'est encore guère question, à l'exception peut-être de quelques stations de cultivateurs au sud du delta, plus ou moins rattachés aux cultures proche-orientales en émergence vers 7 000-6 000 avant J.-C.

4. Le morcellement (entre 5 000 avant J.-C. et le début de notre ère)

Sans doute est-ce durant ces cinq millénaires qu'on peut – avec beaucoup de prudence toutefois – distinguer plusieurs Afriques, dont les évolutions vont se poursuivre jusqu'au xxe siècle.

Durant cette période, l'humidité demeure, mais elle décroît plus ou moins régulièrement : le Sahara redevient moins hospitalier ; les fleuves moins alimentés sont plus contrôlables ; le niveau des lacs baisse ; le nombre des étangs de quelques mètres de profondeur, qui durant les millénaires précédents avaient favorisé une certaine dispersion des groupes humains, diminue.

L'homme doit dès lors, plus ou moins lentement, adapter son mode de vie aux contraintes de l'environnement, le plus souvent par la domestication des plantes et des animaux de son choix : ainsi, au sud du lac Victoria, l'agriculture et l'élevage ne sont adoptés qu'au début de notre ère. Mais, partout où la situation n'est pas encore dramatique – plus particulièrement en Afrique orientale et méridionale, où l'altitude maintient longtemps une prairie porteuse de gros gibier –, il conserve encore ses habitudes de chasse et de cueillette. Par ses industries sur pierre, par ses contacts maritimes avec le reste de la Méditerranée, le nord du continent appartient aux pays du blé, de l'orge, de l'olivier, de la vigne, ainsi que de l'élevage du mouton, de la chèvre, puis du bœuf. Encore faut-il introduire dans ce tableau des nuances.

4.1. La domestication des plantes et des animaux

Sur la rive gauche du Nil, dans les oasis qui longent le fleuve, l'élevage du buf remonte à environ 7 000 ans, et l'adoption de la culture du blé et de l'orge à environ 6 000 ; à cette même époque des agglomérations organisées autour des puits apparaissent. L'agriculture n'est développée pleinement dans la vallée (dont la connaissance des crues n'est pas maîtrisée) que vers 4 000 avant J.-C. Le blé, l'orge gagnent un peu vers le sud, mais se heurtent au niveau de la 2e cataracte à des obstacles physiques et climatiques; ils pénètrent par l'Atbara en direction de l'Érythrée et du nord de l'Éthiopie, mais y rencontrent vers 2 000 avant J.-C. la domestication de plantes spontanées, le tef (une céréale du genre Eragrostis), l'ensette (une plante voisine du bananier, dont les graines et le bulbe fournissent une pâte nourissante), qui vont limiter l'expansion des cultures méditerranéennes.

Vers l'ouest de l'Afrique septentrionale, ces cultures et les élevages s'étendent aussi lentement, sans qu'on connaisse encore exactement les dates et les formes de cette transformation.

Entre le Nil moyen et le Hoggar, un ou plusieurs foyers de domestication des bovidés s'épanouissent, autour de 5 000 avant J.-C. Cet élevage, avec celui du mouton et de la chèvre, se répand vers le sud, dans toutes les directions, très lentement, surtout lorsque les étangs et les mares s'assèchent, obligeant les groupes humains à modifier progressivement leurs habitudes alimentaires. Les pasteurs de ces bufs se représentent eux-mêmes comme des Noirs sur les peintures rupestres. L'arrivée des zébus vers 1 000 avant J.-C. apporte une amélioration à cet élevage : ce bovin résiste mieux à la sécheresse et à la mouche tsé-tsé que les races précédemment domestiquées. En l'espace de deux millénaires, le zébu envahit le continent et passe à Madagascar.

Dans la zone sahélienne, des groupes qui vivent encore de chasse, de cueillette et de pêche coexistent avec ceux qui domestiquent peu à peu certaines plantes, notamment les mils et les sorghos, d'ouest en est, au sud des 15e et 14e parallèles nord ; ces céréales gagnent, entre 1 000 avant J.-C. et 1 000 après J.-C., l'ensemble du continent, en contournant la forêt par l'est. Dans l'Afrique orientale et méridionale, où il est difficile d'attribuer à tel ou tel peuple l'avancée de telle ou telle plante, l'adoption de l'élevage se fait à des dates différentes: vers le début du Ier millénaire après J.-C., plantes et animaux venus du nord ont atteint la côte méridionale du continent.

Dans le delta intérieur du Niger, c'est, selon toute vraisemblance, à partir du IIe millénaire avant J.-C. que s'opère la domestication d'un riz africain dont la culture s'étend vers l'ouest et le sud-ouest jusqu'à la côte atlantique.

De la Côte-d'Ivoire au Congo actuels, la domestication du palmier à huile et des nombreuses variétés d'ignames prend un tel essor que des villages se créent aux IIIe et IIe millénaires avant J.-C., comme les recherches archéologiques l'ont mis en évidence. Les pays de l'igname sacralisent les récoltes aujourd'hui encore. Il en va de même pour le sorgho ou l'éleusine en Afrique orientale.

Enfin, au sud du tropique du Cancer, un profond changement culturel s'opère au fur et à mesure que les hommes abandonnent chasse et cueillette et qu'ils se sédentarisent, adoptant, selon les cas, l'élevage ou l'agriculture.

4.2. Des changements significatifs

Si l'on n'est pas en mesure d'attribuer tel ou tel choix de domestication à tel ou tel groupe africain, on commence cependant à discerner des enracinements et des continuités. Dans la vallée du Nil se développe, depuis 5 000 avant J.-C., la brillante culture de Nagada ; elle est à l'origine de l'organisation pharaonique de la Haute-Égypte. Plus au sud, les pêcheurs de la région de Khartoum maîtrisent la navigation sur le Nil. Entre ces deux groupes, le désert va accroître les divergences en isolant, mais sans jamais les séparer totalement, la culture égyptienne pharaonique, au nord de la 2e cataracte, et les cultures noires au sud de la 3e. Au dernier millénaire avant J.-C. émerge une culture éthiopienne du Nord qui doit beaucoup aux influences nilotiques mais aussi à celles de l'Arabie méridionale et de l'Afrique, et qui débouche sur la culture aksoumite.

Les fouilles archéologiques révèlent, dans le delta intérieur du Niger, un grand nombre de traces d'occupation humaine entre le Ier millénaire avant J.-C. et le Ier millénaire de notre ère ; on a en particulier dégagé partiellement l'ancienne ville de Djenné, remontant au iie s. avant J.-C. et qui, dès cette époque, pratique des échanges à moyenne distance.

Les métaux

Le travail des métaux marque aussi, à la fin du IIe millénaire et durant la première moitié du Ier millénaire, un changement qualitatif important dans la vie des Africains.

Le cuivre est exploité en Mauritanie, au Niger, dans la région de la Nubie, en Zambie et au Congo actuels, pour la fabrication d'outils fragiles et d'objets de parure. Presque simultanément, parfois antérieurement à l'utilisation du cuivre, la métallurgie du fer par réduction directe se développe au Cameroun (région de Yaoundé) et au Niger (dans le Ténéré) à la fin du IIe ou au début du Ier millénaire avant J.-C. Méroé, capitale au vie s. avant J.-C. du royaume de Koush sur le Nil, a été pendant longtemps tenue pour un maillon essentiel dans la diffusion des techniques métallurgiques. On sait aujourd'hui qu'il n'en est rien: la partie septentrionale de la zone intertropicale, entre le tropique du Cancer et l'équateur, apparaît comme l'une des plus anciennes aires de réduction du fer. Nok, sur le plateau de Jos-Bauchi, au Nigeria, où déjà existent des traces d'activité humaine datant de la période antérieure, illustre bien ces transformations. Culture du fer, Nok a laissé aussi d'abondants vestiges, parmi les plus anciens, de la statuaire en terre cuite.

4.5. L'émergence des cultures

À la fin de cette longue période, qui voit à nouveau la sécheresse désoler les régions proches du tropique, se mettent en place les bases matérielles d'où émergent les cultures mieux connues des époques suivantes. Les plantes domestiquées sont nombreuses, même si parfois leur rendement calorique est faible ; ainsi s'établit progressivement une agriculture originale, fondée sur un système d'occupation de l'espace centré sur le village, économe d'eau et de bois. Ce système allait suffire, pendant les millénaires suivants, grâce à sa souplesse et sauf catastrophes régionales, comme support aux regroupements politiques et à la croissance démographique. Chaque groupe, dans une niche particulière, adopte telle plante de base ou telle association de plantes pour construire durablement son régime alimentaire désormais stable sur la longue durée.

Ces régimes, du moins dans les régions où le dessèchement ne ruine pas toute chance de survie, sont beaucoup moins déséquilibrés sur le plan de la diététique qu'on ne le dit souvent. Leur permanence s'explique dès lors clairement : actuellement encore, les ressources végétales assurent aux Africains près de 80 % de leurs besoins en protéines. Cependant, sauf contraintes climatiques, ces paysannats n'ont pas été hostiles à l'introduction de plantes venues d'autres régions du monde. Elles ont été vite adoptées lorsque leur rendement était supérieur à celui des plantes indigènes. Avant l'arrivée des plantes américaines au xvie siècle, l'Asie a fourni, par exemple, bananiers, cocotiers, manguiers, myrbolaniers, aujourd'hui si intégrés au paysage qu'on les croit africains.

Un long isolement

L'influence des colonisations du nord du continent est demeurée faible à l'intérieur de l'Afrique : Phéniciens, Carthaginois, Grecs, Romains, Vandales, Byzantins n'ont pas poussé vers le sud les limites du blé, de la vigne ou de l'olivier. Ils n'ont pas davantage imprimé leur marque par l'implantation de villes organisées. Ces peuples consommateurs de blé, d'huile, de raisin ont considéré comme anormaux ceux qui ne mangeaient pas ces produits et les ont souvent nommés par une caractéristique alimentaire supposée dominante chez ces « barbares ».

Ce n'est qu'à propos de la fin du Ier millénaire avant J.-C. que l'on peut commencer à parler d'une Afrique noire ; encore que celle-ci ne soit fermée à aucun contact, sauf peut-être au nord, où se creuse le fossé saharien. L'apparition massive du dromadaire au Sahara occidental rompt un peu cet isolement, accentué au fil des millénaires, et permet aux Berbères de repeupler très ponctuellement le désert, remplaçant les derniers pasteurs noirs en migration vers le sud – dans lesquels on veut parfois reconnaître les ancêtres des Peuls.

L'axe nilotique

Les massifs de Libye, l'axe qui joint la Tripolitaine au Tchad et, surtout, l'axe du Nil n'ont pas connu la même évolution : l'eau n'y manque pas au même degré que dans le Sahara occidental. L'axe nilotique est, comme celui de la mer Rouge, essentiel pour la culture pharaonique. Même si les Égyptiens ne s'aventurent guère au sud de la 3e cataracte, en Nubie, ils ont tiré de celle-ci de grandes quantités d'or, et ce jusqu'au xiie siècle après J.-C. ; ils en ont aussi tiré le granit pour leurs obélisques, et surtout une main-d'œuvre militaire importante : des archers pour l'armée pharaonique puis des esclaves pour les maîtres grecs d'Alexandrie, et beaucoup plus tard des guerriers noirs dont l'influence et le nombre ont été considérables dans l'Égypte des xe et xiie siècles.

Au viie siècle avant J.-C., le lien entre les segments du Nil, de plus en plus séparés par le désert entre les 2e et 3e cataractes, a même été concrétisé par la présence d'une dynastie pharaonique nubienne dont le pouvoir s'étendit du delta à la grande boucle du Nil.

Dans le nord-est du continent, la circulation des personnes et des biens est demeurée constante, malgré le dessèchement, jusqu'à notre ère ; il est dès lors très difficile de discerner une frontière entre une Afrique noire et une Afrique non noire.

Cette période de 5 000 ans constitue, autant que dans d'autres régions du monde, l'assise de tout ce qui va suivre.

5. Sociétés, villes et pouvoirs (Ier millénaire après J.-C.)

5.1. L'apparition du christianisme

L'axe nilotique et la mer Rouge jouent un grand rôle à partir du ive siècle. La christianisation passe par eux. Orthodoxe ou non, elle gagne la Nubie, où, au viie siècle, existent des évêchés et de nombreuses églises ; Dongola, près de la boucle du Nil, est la capitale politique et religieuse de cette Nubie christianisée. Plus au sud, le christianisme a pénétré, à peu près au même moment, jusqu'à Soba, autre capitale proche de Khartoum.

Ces pays christianisés connaissent une hiérarchisation des pouvoirs, et l'on parle de « rois » à leur tête. Enrichis par la recherche d'esclaves (vers le Tchad et vers le sud) dont la vente constitue un élément important, ils renforcent, jusqu'au xiiie siècle, l'aspect monumental de leurs villes, notamment par la construction de grands édifices religieux, parfois ornés de peintures somptueuses (à l'exemple de la cathédrale de Faras).

5.2. Aksoum

Au nord-ouest de l'Éthiopie, non loin de la mer, a grandi, depuis le ier siècle de notre ère, une culture qui a laissé des traces nombreuses (comme sur le site de Yeha) et qui va s'organiser autour d'un pouvoir centralisateur à Aksoum. Christianisé vers le ive siècle, le royaume d'Aksoum participe, grâce à Adulis, son port sur la mer Rouge, au trafic international ; les Byzantins s'intéressent vivement à ce point d'appui, lentement détourné de ses relations avec l'intérieur de l'Afrique (dont la Nubie) au profit des contacts avec la péninsule Arabique et du trafic maritime vers l'Asie.

Aux ve et vie siècles, Aksoum joue un rôle commercial important : on y frappe l'or. Cette zone nord de l'actuelle Éthiopie entretient avec la péninsule Arabique des relations commerciales, linguistiques et militaires qui vont se poursuivre après l'apparition de l'islam : des Éthiopiens se trouvent à La Mecque, où ils connaissent des conditions sociales diverses, et le premier muezzin choisi par le Prophète était un Éthiopien.

5.3. Les côtes orientales et Madagascar

On connaît mal, pour ce millénaire, la situation de la côte de l'Afrique orientale et de Madagascar. Des indices de présence de groupes humains ont partout été relevés par les archéologues. Sur la côte est, vivent des communautés de pêcheurs fabriquant des poteries, peut-être déjà en contact avec l'Insulinde, d'où viendraient des navires et des pirogues à balancier ; en tout cas, cette côte fournit déjà des esclaves, que l'on retrouve en Chine, en Perse sassanide, en Mésopotamie.

À Madagascar, des communautés côtières paraissent exploiter, sinon cultiver, certaines épices ; peut-être n'ont-elles pas encore pénétré loin dans l'intérieur de l'île, qui présente déjà l'aspect d'une savane arborée, sauf dans la partie orientale où s'étend une grande forêt. La navigation dans l'ouest de l'océan Indien et le long des côtes d'Afrique est certaine, depuis l'époque romaine au moins, mais on en sait peu de chose. Cette côte est en contact étroit avec l'intérieur du continent qui lui fournit, à partir des réserves exceptionnelles d'animaux sauvages qu'elle recèle, cornes de rhinocéros, défenses d'éléphants et peaux de panthères ou de léopards, très demandées par les visiteurs venus par mer et par ceux du Nord nilotique.

5.4. L'intérieur de l'Afrique

De possibles migrations de peuples

À l'intérieur de l'Afrique équatoriale, entre l'Atlantique et l'océan Indien, il s'est produit, vraisemblablement depuis le Ier millénaire avant J.-C., un changement important dont les origines, la chronologie, les modalités et l'ampleur sont loin de faire l'unanimité chez les chercheurs. Ce changement concerne de possibles migrations de peuples ayant en commun une souche linguistique, appelée par convention le proto-bantou, et qui a donné naissance à des langues très différenciées parlées aujourd'hui par les bantouphones. Ces peuples, au cours de leurs « migrations », auraient apporté avec eux l'agriculture et la métallurgie du fer jusque dans l'est et le sud du continent, qui ne les connaissaient pas encore.

Un fait est sûrement établi : à la fin du Ier millénaire après J.-C., ces peuples occupent tout le centre et le sud du continent, à l'exception d'un fragment du Sud-Ouest où dominent les Khoisans, dont les langues à clics sont différentes des langues bantoues (→  khoizan). Par-delà toute controverse sur leur rôle culturel, ces peuples constituent la souche des principaux groupes connus depuis, jusqu'au sud du continent, sous des noms divers. Par ailleurs, on voit se multiplier les villages sédentaires dans toute la région bantouphone.

Boucle du Limpopo, vallées du Congo

Dans la boucle du Limpopo et dans la région du Katanga (ex-Shaba) dans le Congo (ex-Zaïre méridional), les chercheurs ont identifié des groupes importants dont l'évolution commence à la fin du Ier millénaire après J.-C. Ce sont des chasseurs d'éléphants, producteurs de fer et éleveurs de bœufs, qui vont former, en trois ou quatre siècles, une société hiérarchisée où le pouvoir s'isole, physiquement, de plus en plus du reste de la population. Il est probable que ces populations sont en rapport avec l'Inde, qui importe du fer africain.

Quant aux hautes vallées du Congo (ex-Zaïre), elles abritent, au même moment, des peuples pêcheurs, par ailleurs gros producteurs de poterie et utilisateurs de cuivre. Il s'agit peut-être des ancêtres des Loubas. La zone forestière, où se trouvent aujourd'hui le Cameroun, le Gabon, le Congo et la République démocratique du Congo, abrite, pendant ce millénaire, une population encore assez mal identifiable. On suppose que les bases de la culture téké et de l'ensemble kongo se construisent alors. L'archéologie, en tout cas, montre de mieux en mieux la continuité de l'occupation de cette région.

5.5. Au nord de la forêt équatoriale

Nok, Ife et Saos

Plus au nord, les émergences sont déjà beaucoup mieux connues. Nok (au centre de l'actuel Nigeria) poursuit jusque vers le milieu du millénaire sa production culturelle ; au sud-ouest de la zone du Bauchi, la région d'Ife connaît, à partir du vie s., une multiplication des villages, parfois au détriment de la forêt, et sert d'intermédiaire commercial entre le Nord et la côte. Un pouvoir fort s'y met en place, et les premiers signes d'une production culturelle – habitat, statuaire en terre cuite et utilisation d'alliages cuivreux – apparaissent vers le xe siècle.

Le dessèchement et, peut-être, les raids esclavagistes déterminent le repli de populations qui vont s'implanter dans la cuvette du Tchad et se développer au plus tard à partir du ve siècle. Par manque de données historiques incontestables, on les nomme encore très provisoirement Saos ; elles vivent largement de chasse, de pêche et de cueillette.

Djenné, empire du Ghana, Gao

Dans le delta intérieur du Niger, des vestiges d'une dense occupation humaine dès le début du Ier millénaire sont aujourd'hui bien situés et reconnus. La ville de Djenné-Djenno, à l'abri d'une enceinte de brique crue, atteint avant le viie siècle son apogée. Avec le Nord, elle échange probablement du cuivre, avec le Sud du fer ; elle vend du riz et peut-être du poisson séché. Même si l'on connaît très mal la production des champs aurifères du haut Sénégal ou de l'actuelle Guinée, il faut rappeler que cette Afrique au sud du Sahara a la réputation, dès le ve siècle avant J.-C., d'être la « terre de l'or ». Sans doute, sans être encore considérable, la production de ce métal alimente, en partie, des traversées sahariennes.

Deux pouvoirs s'imposent, l'un à l'ouest, l'empire du Ghana, l'autre plus à l'est, Gao, comme intermédiaires entre les demandes d'or du Nord et les producteurs qui, beaucoup plus au sud, n'ont jamais été contrôlés ni par l'empire du Ghana ni par Gao.

Émergence de pouvoirs forts

Dans tous les cas qui viennent d'être évoqués, les villages agricoles ou les enclos d'élevage constituent, selon les régions, la base de l'organisation sociale et économique. Des pouvoirs à fort caractère religieux, chargés d'organiser les chasses, de prévoir les cérémonies nécessaires à la bonne production de la terre, de gérer les échanges de bétail et de produits alimentaires, y dominent : ils réclament, de la part de ceux qui les exercent, une connaissance approfondie du fonctionnement de l'environnement. Peu à peu, aussi, en raison de la forte division du travail entre agriculteurs et producteurs de fer, des pouvoirs plus forts s'imposent aux groupes plus importants : c'est le cas à Ife, à Ghana, à Gao. On désigne ces pouvoirs par le terme de « royauté ».

6. L'apparition de l'islam (à partir du viie siècle)

6.1. Le Nord, l'Est et l'Éthiopie

L'islam gagne le nord du continent aux viie et viiie siècles ; son adoption a coupé pendant longtemps les contacts entre les pays africains sud-sahariens et la Méditerranée, et cela de manière d'autant plus radicale qu'ils n'avaient jamais été très développés.

Les Berbères islamisés atteignent le Sénégal et créent, surtout après le xe siècle, d'importants axes de relation économique entre Maghreb et Sahel, sans implantation religieuse notable au sud du désert. Plus à l'est, l'itinéraire jalonné de puits reliant la Tripolitaine au Tchad alimente le Nord en esclaves. Tout à l'est enfin, l'axe nilotique, avec ses annexes asiatiques, continue de fonctionner malgré les différences religieuses entre Égypte musulmane, Nubie et Éthiopie chrétiennes ; l'accord passé entre maîtres de l'Égypte et roi de Nubie assure aux premiers des livraisons régulières d'esclaves capturés dans le « Grand Sud », et au roi nubien des produits méditerranéens.

En Éthiopie, après l'effondrement d'Aksoum, le port d'Adulis est abandonné et le pouvoir s'installe beaucoup plus au sud, dans les hauts massifs. Les relations entre pouvoir éthiopien et pouvoir musulman se distendent de plus en plus, et sur les rives de la mer Rouge apparaissent des émirats musulmans ouvertement hostiles à l'Éthiopie chrétienne qui, privée de ses atouts maritimes, se replie, pour de longs siècles, sur sa production agricole ; elle connaît de graves troubles intérieurs et la lente progression, depuis le sud, de populations non chrétiennes : les Oromos.

6.2. La côte orientale

La côte orientale fournit des produits – peau, ivoire – qui intéressent toute l'Asie, et des esclaves, dont beaucoup se sont retrouvés au ixe siècle en basse Mésopotamie. Là, ils ont participé à la grande révolte sociale d'esclaves de toutes origines ; cette révolte reste, dans l'histoire, associée au nom des Zandj – des bantouphones arrachés à l'Afrique. La langue bantoue sert, sur la côte, de base au kiswahili, qui emprunte aussi du vocabulaire au persan et à l'arabe.

Peu à peu apparaissent sur le vieux substrat africain des comptoirs musulmans volontairement séparés du contexte continental, à Muqdisho (Mogadiscio), à Mombasa, à Kilwa par exemple. L'islam qui s'y installe est différent par ses rites juridiques et son appartenance au chiisme, de celui, malékite et sunnite (sunnisme) qui s'impose à l'ouest du continent.

La navigation musulmane complète le long de cette côte celle des Africains et remplace celle, plus ancienne et restée mal connue, des Indiens et des Indonésiens. Mais ces comptoirs ont toujours des rapports difficiles avec les Zandj de l'intérieur.

6.3. Les « royaumes » et les « empires »

Séparées de l'Europe et de l'Asie par des terres qui s'islamisent et s'arabisent plus ou moins rapidement, des communautés africaines se sont organisées, que nous appelons – au gré de notre ethnocentrisme historique – empires ou royaumes.

L'empire du Ghana et Gao

Au sud de l'actuelle Mauritanie, l'empire du Ghana, dont les origines remontent probablement au Ier millénaire avant J.-C., développe, de la boucle du Sénégal à celle du Niger, son contrôle sur les routes qui apportent l'or du Sud et reçoit du Nord le sel qui a transité par le terminus méridional de la circulation transsaharienne : Aoudaghost.

Plus à l'est, Gao joue ce même rôle d'intermédiaire. Au nord de la ville, sur un emplacement d'habitations datant d'au moins deux millénaires, Tadamakka a la même fonction qu'Aoudaghost à l'ouest. Ghana et Gao ont, jusqu'au xie siècle, monopolisé le contrôle des échanges ; ils ne laissent guère les musulmans pénétrer vers le Sud qu'ils exploitent à leur profit.

La boucle du Sénégal connaît, au contraire, une islamisation plus rapide et, dès le xe siècle, peuples et souverains acceptent la venue des marchands du Nord.

Le Kanem et la Nubie

Au terme de la route du Tchad, un royaume, le Kanem, s'organise. Son souverain devient musulman à la fin du xie siècle ; faisant désormais partie du monde islamique, le Kanem entame des relations avec la Tripolitaine, la Tunisie et l'Égypte.

La Nubie, par les vallées déjà fréquentées quatre ou cinq millénaires plus tôt et qui descendent vers la cuvette tchadienne, établit des contacts avec l'Afrique centrale, réserve d'esclaves et de produits de bonne vente.

Bassin du Congo

Cependant, assez loin du contrôle musulman direct, au sud de l'équateur, dans la partie méridionale des pays bantouphones, la zone du Limpopo voit apparaître, à Mapungubwe, une société complexe, qui échange de plus en plus avec l'océan Indien et exploite l'or du plateau du Zimbabwe. L'émergence d'un pouvoir fort et riche conduit, après le xie siècle, au développement de grandes constructions de pierre, de l'océan Indien à l'Atlantique. Les plus remarquables, celles des maîtres du trafic de l'or et de l'ivoire, sont situées à Zimbabwe ; à dater du xe siècle au plus tard, l'or est exporté par Sufala, au Mozambique actuel, et probablement par beaucoup d'autres petits ports situés entre Kilwa et le Limpopo. Tout à fait au sud du continent, les Khoisans demeurent fidèles à la chasse et à la cueillette.

Vers le nord, dans le bassin du Congo, les cultures installées au millénaire précédent se développent. L'exploitation du cuivre du Shaba, en République démocratique du Congo (ex-Zaïre), et de la Zambie actuelle permet la circulation d'objets de parure et de lingots ; l'ornementation des tombes fait apparaître un certain enrichissement – tout relatif – de ces groupes. Les Tékés, au nord du fleuve Congo, exploitent probablement le cuivre de la vallée du Niari, et les Kongos s'organisent au nord et au sud de ce fleuve.

Ife et l'empire du Mali

Plus au nord-ouest, Ife, en relations économiques lointaines avec le Nord, l'Est et probablement l'Ouest, est à son apogée. De ce moment, datent les très grandes œuvres de la production artistique d'Ife réalisées en alliage cuivreux, en pierre ou en terre cuite. L'influence d'Ife a essaimé dans le monde yorouba, entraînant la création d'une vaste zone de nouveaux pouvoirs. Les hautes vallées du Niger, son delta intérieur et la zone des lacs ont été lentement regroupés sous l'hégémonie des Mandingues, qui ont aussi étendu leur domination vers l'Atlantique et, au sud, jusqu'à la forêt. Maîtres de la production d'or, de mines de cuivre, du commerce de la kola, produite au sud de leurs possessions, les mansas (« rois ») du Mali sont devenus, après leur héros fondateur Soundiata Keita, la puissance dominante de l'Afrique occidentale, repoussant loin vers le nord l'influence du Ghana comme celle des villes de la boucle du Sénégal. Cette puissance du Mali mandingue a duré jusqu'au xviie siècle.

Pour en savoir plus, voir l'article empire du Mali.

Les Almoravides

Au sud du fleuve Sénégal, l'islamisation progresse. Durant la seconde moitié du xie siècle, des groupes berbérophones de l'Afrique occidentale, auxquels se joignent des musulmans noirs, conquièrent un immense territoire, s'étendant du Sénégal à l'Èbre, dans la péninsule Ibérique : les Almoravides unissent ainsi les terres encore musulmanes d'Espagne au Sahel. Par la vallée du Sénégal, ils accèdent aux ressources en or plus directement que les marchands de l'époque antérieure ; vers l'est, leur influence se fait sentir aux xie et xiie siècles sur le Ghana et le Gao, et peut-être jusqu'au Tchad. Dans leur vaste domaine, où la circulation de l'or, des marchandises et des hommes s'est accélérée, ils ont imposé le sunnisme malékite.

Tekrour, Mossis

Au nord et au sud du Sénégal se développe le Tekrour. Dans la boucle du Niger, on assiste alors à l'implantation d'un islam plus militant qu'aux siècles antérieurs, moins prêt à tolérer une coexistence avec les populations non islamisées. Cette transformation profonde a certainement contribué à raidir l'attitude de refus de certaines populations noires, sauf lorsque leur souverain, comme au Mali, s'est converti ; elle a en tout état de cause provoqué des déplacements importants de populations noires vers le sud. Tout à fait à l'intérieur de la boucle du Niger s'opèrent aussi des mouvements de population; au Burkina Faso actuel émerge un pouvoir fort, structuré et appuyé sur des guerriers : les Mossis, dont l'histoire est continue depuis le xive siècle jusqu'à nos jours.

7. Le grand xive siècle africain

Moment d'équilibre rare dans le domaine des cultures noires, ce siècle a vu un incontestable développement économique accompagné vraisemblablement d'une forte croissance démographique. Pourtant, la multiplication des fléaux qui s'abattent sur les populations les oblige parfois à déserter les meilleures terres agricoles : trop proches de cours d'eau, celles-ci sont infestées, après les pluies, d'insectes vecteurs de maladies parasitaires mortelles (trypanosomiase ou maladie du sommeil, paludisme et onchocercose). Même si le Sahara protège encore l'Afrique noire de la peste ou du choléra, il ne faut pas oublier aussi les terribles ravages annuels imputables à la méningite ou à la rougeole ainsi qu'aux famines.

7.1. La démographie

Le dessèchement, qui s'est aggravé depuis plus d'un millénaire, se fait sentir sur les Africains. Ses effets peuvent se lire sur une carte démographique actuelle : au nord du 15e parallèle nord, les densités dépassent rarement 1 habitants par km2. Dans l'ouest du continent, la densité de la population n'augmente que dans les États côtiers du golfe du Bénin : c'est le cas au Nigeria actuel, où le long héritage historique, qui a suivi l'émergence de la culture de Nok, explique un peuplement aujourd'hui encore exceptionnel et les profondes atteintes à la forêt.

De même qu'autour du lac Victoria, au Rwanda et au Burundi actuels, demeurent des foyers de fort peuplement, loin des côtes. On en trouve encore dans l'ancien royaume du Kongo (Congo ex-Zaïre actuel, Congo, Angola), en Éthiopie centrale et dans quelques régions de la Zambie et du Zimbabwe actuels. Le taux de natalité très élevé s'explique en partie par la volonté de conserver un minimum de descendance, de compenser la forte mortalité infantile (le quart ou la moitié des enfants meurent avant l'adolescence), et par les effets de l'esclavage, qui soustrait aux sociétés africaines les hommes jeunes et productifs. Comme en témoignent plusieurs types de sources, le xive siècle est un siècle de répit et de développement pour nombre de cultures africaines.

7.2. Le Mali, puissance internationale

Ses mansas (« rois ») musulmans font au xive siècle des pèlerinages aux lieux saints de l'islam. L'un de ces pèlerinages, effectué en 1324 par le mansa Kankan Moussa, devient rapidement si célèbre en Méditerranée (il serait arrivé au Caire avec environ dix tonnes d'or) que la trace figurée du Rex Melli (« roi du Mali ») apparaît dans les cartes et atlas européens du dernier quart du siècle.

Le Mali diversifie son commerce avec le Nord – vers le Maroc et la Tunisie actuels et l'Égypte –, de façon à rendre plus avantageux qu'auparavant l'échange des produits du Sud contre ceux du Nord. Ce trafic va engendrer la prolifération des maisons de commerce au nord et au sud du désert. Diplomatiquement mieux placé que ses prédécesseurs, le mansa du Mali tient une place croissante dans les relations internationales. Il est à la fois riche d'une production agricole – dispersée mais régulière – de l'or, ainsi que de plusieurs zones d'extraction du cuivre.

7.3. Monnaies et intensification du commerce

C'est en effet à cette époque que des signes monétaires de cuivre, de types et de grandeurs divers, servent dans l'espace malien et sahélien aux échanges commerciaux ; les sources écrites en parlent, l'archéologie en a retrouvé les preuves.

C'est aussi à ce moment que se développe le commerce, qui connaîtra une véritable explosion dans les zones côtières à l'époque portugaise, des cauris, ces coquillages venus de l'océan Indien, qui servent de parure et qui deviennent au xixe siècle un instrument de capitalisation monétaire. On peut estimer que, dans l'Afrique du xive siècle, de nombreuses régions sont ainsi en cours de monétarisation.

De la même manière, le Kanem joue un rôle international croissant. Outre son rôle d'intermédiaire entre les pays situés au sud du Tchad et les musulmans d'Égypte, il diversifie ses relations diplomatiques et commerciales, en gardant le contact avec la Tripolitaine et en s'ouvrant vers la Tunisie hafside. Peut-être le développement des relations économiques d'Ife, puis du Bénin, les relie-t-il, en partie à travers les terres de l'ancienne culture de Nok, à ce réseau tchadien ; mais aussi au Sahel occidental. Sans doute faudra-t-il bientôt y ajouter des liens avec la cuvette du Congo (Zaïre) et le royaume du Kongo. Ce dernier, avant tout contact avec les Européens, est politiquement et socialement structuré ; probablement y use-t-on déjà aussi comme monnaies, et sous contrôle du souverain, de coquillages pêchés dans la baie de Luanda. Au Shaba, dans le sud du Congo (ex-Zaïre), la circulation d'une monnaie sous forme de croisettes de cuivre date de cette époque ; elle durera plusieurs siècles.

Si la côte orientale voit le développement de comptoirs musulmans de plus en plus riches – Kilwa frappe des monnaies –, des trafics et des échanges existent aussi avec l'intérieur : au sud du lac Victoria, le commerce du sel à longue distance, par exemple.

Au sud, le xive siècle marque l'apogée de Zimbabwe, qui contrôle un vaste territoire producteur d'or : l'ouverture de l'éventail social se lit aujourd'hui encore dans le contraste entre les monuments de pierre et les pauvres demeures des cultivateurs et des éleveurs. Le maître des mines s'enrichit : les produits importés à sa demande le prouvent.

À Madagascar, les fouilles archéologiques révèlent que les grandes collines du centre de l'île commencent à être occupées par des personnages importants, qui dominent les éleveurs et les riziculteurs des vallées et des versants. La seule modification forte de l'équilibre interrégional et interreligieux en Afrique est le fait des mamelouks d'Égypte, qui conquièrent toute la partie chrétienne de la Nubie jusqu'à la grande boucle du Nil.

L'entrée de l'Afrique noire dans le jeu actif des relations internationales va se prolonger jusqu'aux conquêtes coloniales. Dans un premier temps, les partenaires sont les pays de l'islam, dont le Maroc, mais aussi, après le milieu du xve siècle, l'Empire ottoman ; ce dernier apparaît comme un contrepoids au long monopole des Maghrébins dans les rapports avec l'Afrique. Dans un deuxième temps, l'encerclement par la mer du continent – par les Portugais d'abord, puis par leurs rivaux européens – crée, à partir du xvie siècle, de nouveaux réseaux de relations internationales, beaucoup plus inégalitaires qu'auparavant. Ces nouveaux réseaux engendrent souvent des pouvoirs côtiers, rivaux heureux de ceux plus anciens de l'intérieur du pays, et qui deviennent, dans les échanges de toute nature, les partenaires – parfois même les complices – des Européens.

8. L'impact de la traite des esclaves

8.1. La traite arabe

Il ne s'agit pas, lorsqu'on insiste sur les formes prises par la traite européenne à partir du xvie siècle, de minimiser la ponction multiséculaire qu'a opérée le monde musulman en Afrique : grâce aux sources en langue arabe, on peut l'estimer de 2 000 à 3 000 individus chaque année, au moins entre le viiie et le xvie siècle. On aboutit, globalement, au départ d'Afrique vers le nord, l'est, l'océan Indien et l'Asie de plusieurs millions de personnes. La quête d'esclaves noirs s'est même intensifiée aux xive et xve siècles – certains d'entre eux sont revendus, à Tripoli, au monde chrétien de la Méditerranée occidental –, et s'est encore amplifiée à partir du xvie siècle, du moins de la part de pays comme l'Égypte ou le sultanat de Zanzibar.

La traite a provoqué le repli des peuples les plus menacés vers les montagnes ou les lacs, ou bien une organisation plus défensive de sociétés plus nombreuses et mieux structurées. D'autres réactions ont certainement caractérisé la défense des peuples noirs contre les raids esclavagistes : affirmation des solidarités religieuses et, peut-être, des sociétés d'initiation; développement de la fabrication de masques de bois, emblèmes de la non-islamisation, ainsi que des scarifications identitaires ; surnatalité en vue de compenser la demande musulmane d'esclaves. Les sociétés africaines ont été accueillantes à toute forme d'islam prête au compromis politique et religieux, mais fermées, voire hostiles, aux juristes rigoristes et aux chasseurs d'esclaves.

8.2. La traite européenne

Commencée dès la fin du xve siècle par les Portugais, la recherche d'esclaves noirs par les Européens s'est considérablement intensifiée au xviie siècle, et surtout au xviiie siècle, en fonction des besoins en main-d'œuvre qu'imposaient le développement des plantations de canne à sucre puis de coton et l'exploitation des mines en Amérique ou dans l'océan Indien : un document du xviiie siècle fait état, pour une année « calme », d'un trafic de 70 000 esclaves.

Ouvert jusqu'en 1815, clandestin ensuite mais encore très actif, par exemple entre l'Angola et le Brésil, ce commerce d'êtres humains a enlevé au continent africain un minimum de 15 000 à 20 000 individus chaque année, sans tenir compte de ceux qui sont morts au moment de la capture. Au total, la traite représente vraisemblablement le départ de 10 à 20 millions d'Africains.

Dans un bref laps de temps, cette ponction a donc été beaucoup plus importante que celle qu'avaient pratiquée les musulmans, et elle a provoqué de très profonds remous dans les sociétés africaines. La surnatalité n'a pas compensé, cette fois, les pertes. La stagnation globale de la population noire d'Afrique jusqu'au début du xxe siècle provient, pour une part que l'on s'efforce aujourd'hui d'apprécier, de cette saignée.

En Afrique occidentale, les musulmans prirent alors vivement position contre ces ventes d'esclaves et contre les pouvoirs qui y participaient. Il allait en résulter de spectaculaires progrès dans l'adhésion des Africains à l'islam. L'Afrique orientale s'est mieux défendue dans ses montagnes, au prix de fortes concentrations humaines, alors que la moitié occidentale, du Sénégal à l'Angola, a largement contribué à alimenter ce commerce.

Des États puissants ont participé de gré ou de force à la recherche, au stockage et à la vente de Noirs. Là où manquaient des structures d'État, des groupes noirs forts ont pris, parfois, la relève. Mais la pression européenne était telle que, même lorsqu'ils ont lutté pour diminuer régulièrement le nombre d'individus échangés contre des marchandises importées, les pouvoirs africains y ont souvent cédé. En privant les sociétés africaines d'un grand nombre d'hommes et de femmes jeunes, la traite d'esclaves a causé un effondrement de la croissance démographique dans toutes les zones touchées. Le développement économique, prometteur au xive siècle, en a été profondément affecté.

L'attitude défensive de repli sur elles-mêmes qu'adoptèrent les sociétés africaines devant la traite a aussi entraîné un manque de développement culturel de plusieurs siècles ; néanmoins, isolement et refus des nouveautés ne furent pas absolus : très vite, des plantes venues d'Amérique, offrant un rendement nutritionnel supérieur à celui des plantes indigènes, furent adoptées.

9. Les commotions musulmanes (xviiie-xixe siècle)

9.1. L'expansion de l'islam

L'Afrique intérieure a longtemps été considérée, par des auteurs musulmans célèbres, comme un domaine de non-civilisation où les êtres vivent nus et ne s'alimentent pas de la même manière que dans le monde « normal », c'est-à-dire la Méditerranée. Les choses ont commencé à changer au xve siècle, lorsque les États officiellement musulmans (Songhaï, Kanem, Nubie) ont permis un accès beaucoup plus méridional aux prédicateurs et marchands musulmans. La volonté s'est dessinée, en particulier en Afrique occidentale, d'une séparation radicale entre Noirs convertis à l'islam et respectueux de ses règles et – sauf là où se trouvaient des chrétiens ou des Juifs, comme en Afrique orientale – les gens du « territoire d'infidélité » (kufr) qu'il était légitime de combattre, de pousser à la conversion, ou de réduire en esclavage s'ils résistaient : ce que traduit le mot djihad.

Al-Maghili, juriste malikite maghrébin qui avait voyagé au « Pays des Sudan », dénonce à la fin du xve siècle chez beaucoup de Noirs une islamisation purement externe. Un peu plus tôt, Al-Makrizi, depuis l'Égypte, avait donné une description des territoires habités autour du Tchad : il classait sévèrement les populations en « musulmans sérieux » et en « païens ». De même, Ahmed Baba, juriste de Tombouctou, déporté au Maroc avec sa bibliothèque après la conquête du Songhaï, répond à des marchands du Touat qui l'interrogent sur ceux des Noirs qu'il est ou non légitime de réduire en esclavage par une véritable table des peuples de l'Afrique occidentale, comportant leurs noms et leurs localisations approximatives.

Les écoles musulmanes se sont multipliées au sud du Sahara, en Afrique occidentale, avec des nuances importantes ; elles enracinent un islam plus savant et moins prêt au compromis que trois ou quatre siècles auparavant. Les confréries réussissent particulièrement bien parce qu'elles s'adaptent aisément aux habitudes africaines de vie collective. La Qadiriyya, née au xie siècle près de Bagdad, rencontre le succès auprès des lettrés et des juristes par son rigorisme et son orthodoxie. Elle va cependant très vite être concurrencée par la Tidjaniyya, originaire de l'Afrique du Nord, et plus populaire.

9.2. Les « révolutions islamiques »

Les xviiie et xixe siècles sont ainsi marqués par de grandes commotions musulmanes – anti-esclavagistes, anti-européennes – qui bouleversent la carte de l'Afrique occidentale.

Les Peuls participent, lorsqu'ils se convertissent, au djihad général. Fondateurs de dominations originales en Guinée intérieure actuelle, ils progressent, au fil des décennies et à la faveur de mouvements spectaculaires, jusqu'au Cameroun central, où le plateau de l'Adamaoua stoppe leur avance. Ousmane dan Fodio est probablement la figure la plus représentative de ces « révolutions islamiques » : il renverse les souverains officiellement musulmans, mais jugés laxistes à l'égard de leurs ressortissants non convertis, et établit autour d'une capitale sainte, Sokoto, sur un immense territoire s'étendant jusqu'au Cameroun, une nouvelle terre d'islam orthodoxe.

D'autres expériences suivent, dont celle d'El-Hadj Omar, au Sénégal et au Mali, durant la première moitié du xixe siècle. Ces grands mouvements ont enraciné un islam « populaire » – qui survit et se développe encore aujourd'hui – beaucoup plus au sud qu'aux époques précédentes.

9.3. Résistances et tentatives de renforcement d'États

Du milieu du xviiie au milieu du xxe siècle, l'islam a plus que doublé son territoire d'implantation en Afrique occidentale et équatoriale. Des résistances allaient venir des colonisateurs, des missionnaires chrétiens et, parfois, des populations elles-mêmes, en Afrique orientale notamment, où l'influence continentale de l'islam demeure faible et où marchands et esclavagistes sont étroitement surveillés par les pouvoirs locaux.

Les contacts avec le monde commencent à produire leurs effets sur l'Afrique. Dans plusieurs cas, des pouvoirs nouveaux, beaucoup plus forts et violents que naguère, tentent de s'imposer à de vastes territoires et de « moderniser » leur société. À Madagascar, à partir de la fin du xviiie siècle, la monarchie Merina contrôle, grâce à un appareil militaire bien implanté, la majeure partie de l'île ; au xixe siècle, cette monarchie cherche même à adopter des réformes administratives ; ces efforts seront réduits à néant en 1896 par le coup de force français.

En Afrique australe, un autre personnage, Chaka, le fondateur d'une « nation » zouloue, a, en imposant une discipline de fer à ses guerriers, unifié par la force un grand ensemble de territoires. Avant sa mort, en 1828, les Zoulous étaient maîtres de tout le sud-est de l'Afrique, du lac Malawi au Drakensberg ; ils ont ainsi contribué à l'exil de peuples entiers. Mais de grands affrontements se préparaient avec les Blancs, d'origine hollandaise, française ou anglaise.

En Afrique occidentale, c'est d'abord sous le couvert de l'islamisation que Samori Touré a tenté une aventure comparable, avec l'aide des Dioulas musulmans. Entre 1875 et 1898, il réussit, non sans contradictions et difficultés, l'unification d'un territoire s'étendant des hautes vallées du Niger à la Côte-d'Ivoire et à l'ouest du Burkina Faso. La modernité des solutions de gouvernement, d'administration et d'armement de Samori est aujourd'hui reconnue par les historiens ; mais il s'aliéna, par une cruauté dont le souvenir demeure dans certains des territoires conquis, le concours de groupes entiers qui l'avaient suivi ; après sa capture par les Français, son « empire » s'effondra.

Ainsi, du fait de la traite, de la demande européenne de produits africains utiles, des commotions islamiques qui ont bouleversé la géographie du continent, l'Afrique, au milieu du xixe siècle, lorsque commence l'effort colonial européen, voit se développer des tentatives de renforcement d'États : ceux-ci ne sont nécessairement ni bons ni justes, mais s'efforcent de mettre le continent en état d'assumer l'avenir ; en Afrique orientale par exemple, l'ancien Buganda et les régions du Rwanda et du Burundi actuels connaissent à ce moment d'importantes transformations. Ce n'est pas un continent passif et immobile qui va recevoir le choc de la colonisation.

10. Les sociétés africaines face au pouvoir colonial

Depuis la seconde moitié du xviiie siècle et jusqu'à la fin du siècle suivant, des Européens, plus ou moins commandités, plus ou moins poussés par l'esprit d'aventure, ont entrepris l'exploration de l'intérieur du continent. Après trois siècles, ils avaient seulement contourné l'Afrique par mer et établi, de loin en loin, des comptoirs rivaux sur les côtes. Ils sont persuadés d'apporter la civilisation et la vraie foi.

Longtemps négligée, l'Afrique, dont les ressources sont estimées énormes, va ainsi faire, à partir de 1880, l'objet d'un partage entre les grandes puissances occidentales. Ce continent, enfoncé dans des traditions « étranges », ne devait pas coûter cher aux métropoles, mais devait leur apporter, à très bas prix, des produits dont elles avaient besoin. Jusqu'après la Seconde Guerre mondiale, cette règle est demeurée fondamentale et est à la base de toute l'économie coloniale.

10.1. Le partage colonial (1880-1945)

Commencé vers 1880, accéléré par la conférence de Berlin de 1885, ce partage a abouti – au mépris des cultures, des langues et des héritages africains – au découpage de l'Afrique en « pays anglophones », « francophones », « lusophones », « hispanophones », « italophones », « germanophones ». Le goût européen des disputes frontalières a conduit, par des accords bilatéraux ou internationaux, à des délimitations de territoires qui devaient très peu au passé de l'Afrique : un même peuple s'est parfois trouvé scindé en deux ou trois par des frontières tracées en fonction des obédiences coloniales. Les échanges de territoires ont été fréquents, en particulier entre les Allemands et les Français.

Les Français voulaient, en poussant le plus loin possible le territoire de l'Algérie conquise, faire la jonction avec le bassin du Sénégal et du Niger, puis avec le golfe du Bénin, où la concurrence était rude ; ils voulaient aussi joindre l'Afrique occidentale à la mer Rouge : les Anglais mirent fin à cette entreprise à Fachoda (1898).

Les Allemands, tard venus, installés au Togo et au Cameroun, cherchaient, eux, à relier le sud-ouest du continent – aujourd'hui la Namibie – à la Tanzanie actuelle. Les Britanniques ont rêvé aussi de contrôler tous les territoires compris entre Le Cap et Le Caire ; leur dessein s'est heurté non seulement à l'hostilité des Allemands, mais aussi aux ambitions des Portugais, qui rencontraient beaucoup de difficultés dans l'occupation effective de l'Angola actuel et voulaient joindre ce territoire à celui du Mozambique actuel : un ultimatum de la Grande-Bretagne en 1890 fit échouer leurs projets. Madagascar n'a pas échappé à ces luttes : en 1896, l'île devenait colonie française après quelques décennies indécises.

Devant la menace, Ménélik II d'Éthiopie, fondateur d'Addis-Abeba en 1889, après avoir infligé une défaite cuisante aux troupes italiennes à Adoua (1896), tenta de transformer son pays pour le mettre en état de résister à l'agression. Mais les efforts éthiopiens s'effondrèrent à la veille de la Seconde Guerre mondiale, lorsque l'Italie mussolinienne, au milieu de l'indifférence internationale quasi générale, occupa l'Empire éthiopien (→  campagnes d'Éthiopie).

Pour en savoir plus, voir l'article colonisation.

10.2. L'économie coloniale

L'exploitation des colonies a pris successivement des formes diverses. La première phase, qui dure à peu près jusqu'à la guerre de 1914-1918, est marquée par l'occupation militaire progressive des territoires reconnus à chaque pays européen, par l'installation d'administrations qui ont plus ou moins sollicité le concours de collaborateurs africains et par l'implantation, dans les zones encore peu ou pas islamisées, de missions chrétiennes chargées de gagner les « païens » à la « vraie foi » et à la « civilisation ».

Après 1920 et jusqu'après la Seconde Guerre mondiale apparaît une nouvelle phase, plus rationnelle, d'exploitation des ressources des colonies pour le compte des métropoles. Mais l'équipement des colonies doit se réaliser sans coût pour celles-ci. Les investissements lourds, profitables aux Africains, ne sont qu'exceptionnels. L'institution d'un impôt local, la vente des produits en provenance de la métropole, qui accélère la circulation monétaire, et le bas niveau des salaires contribuent à réduire les dépenses. Les grands travaux d'infrastructure – construction de chemins de fer, aménagement des pistes – ont été conduits en recourant au travail obligatoire et non rémunéré des Africains. Dans certains cas, en Afrique équatoriale par exemple, ce travail forcé a fait de nombreuses victimes. En même temps se mettent en place des systèmes de surveillance médicale, ainsi que quelques écoles capables de former les cadres moyens et subalternes dont les métropoles ont besoin pour l'administration locale.

Après la Seconde Guerre mondiale, pour nombre de raisons de politique internationale – pression des l'Organisation des Nations unies et de l'URSS, longtemps considérée par certains anticolonialistes comme une alternative, conférence de Bandung, conflits sanglants comme celui de la guerre d'Algérie, développement des mouvements nationalistes africains réclamant l'indépendance –, les métropoles entament une politique plus dynamique de transformation des économies africaines, mais en fonction de plans établis administrativement dans les capitales européennes et donc sans une réelle prise en considération des besoins des populations ni de leurs traditions. Vers 1950-1955, il apparaît que cette politique coûte cher et que son efficacité est douteuse. Il reste pourtant de cette époque, qui a précédé les indépendances, des équipements routiers, des voies ferrées, quelques barrages et des usines de traitement de l'alumine ou du cuivre.

L'Afrique du Sud occupe dans ce contexte une place à part. Affranchie de la domination directe de l'Angleterre, elle a développé son économie, surtout après 1930, grâce à ses ressources en or, en diamants, en platine ; mais cette économie productrice de matières transformables a été peu accompagnée d'une industrialisation réelle ou d'une transformation profonde de la production agricole ; surtout, elle a reposé sur une grande dépendance à l'égard des capitaux étrangers et sur la marginalisation de plus en plus forte, jusqu'à la proclamation officielle de l'apartheid, des Noirs, dix-huit fois plus nombreux que les Blancs mais dépossédés de leurs terres, de leurs droits politiques et de tout moyen de contrôle économique.

10.3. Les résistances

Après avoir mis plus ou moins spectaculairement en échec la progression de l'occupation européenne, les Africains ont eu recours – une fois celle-ci achevée – à des révoltes violentes. Celles-ci ont éclaté à peu près dans toutes les régions de l'Afrique noire jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, et ont donné lieu à des répressions brutales.

Une résistance d'un autre type a consisté, pour la grande majorité des populations, à perpétuer un mode de vie ancestral avec des formes d'exploitation économique microscopiques et archaïques, à s'isoler au milieu de la marée des économies monétaires et à se couper du contact avec les marchés mondiaux et les exigences des métropoles en matière de productions riches et exportables. Cette résistance passive a souvent permis aux populations africaines de préserver, à l'abri des regards indifférents ou méprisants de leurs colonisateurs, un capital culturel qu'elles étudient aujourd'hui.

Après 1945 sont nés, au Kenya actuel, au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Congo belge et au Zimbabwe, notamment, des mouvements nationalistes qui ont largement utilisé les moyens mis en place par le colonisateur – enseignement, presse, système de partis ou de syndicats – pour éveiller une conscience collective hostile au colonialisme. Dans un premier temps, ils ont demandé l'abolition du travail forcé, puis l'indépendance politique, enfin la cessation des dépendances économique et culturelle à l'égard des anciennes métropoles. Certains des chefs de ces mouvements ont commencé à accorder une grande importance au passé culturel de l'Afrique ; d'autres se sont plus volontiers tournés vers l'avenir, vers la construction d'une indépendance économique – souvent utopique compte tenu de la pression mondiale –, et surtout d'une unité politique panafricaine.

Dans cette poussée très forte des nationalismes, Hailé Sélassié, restaurateur, au plan mondial, de l'indépendance éthiopienne après la parenthèse de l'occupation italienne, fait figure de héros jusqu'à son brutal renversement, en 1974, causé par d'anciennes tensions intérieures.

Le processus de décolonisation a pris des allures diverses : en effet, il fut plus progressif (du Soudan en 1956 au Lesotho dix ans plus tard) pour les possessions anglaises (malgré l'insurrection des Mau-Mau, de 1952 à 1956), plus rapide pour l'Afrique française (les États de la Communauté créée par la Constitution de 1958 devenant indépendants en 1960), brutal pour le Congo belge (1960), confus et parfois même sanglant pour l'Empire colonial portugais, après la révolution des œillets de Lisbonne en 1974.

Pour en savoir plus, voir l'article décolonisation.

11. Les indépendances (1960-1980)

Depuis la reconnaissance internationale de leur statut d'États souverains, sanctionnée par leur admission à l'ONU, à des dates échelonnées entre 1960 et 1975, et pour le Zimbabwe en 1980, les anciens pays colonisés de l'Afrique noire doivent faire face à trois enjeux majeurs d'ordre territorial, démographique et politique.

11.1. Les frontières

La partition des nouveaux États, qui correspond à un tracé fixé par les puissances coloniales, aboutit à la constitution d'un nombre important de micro-États et à la répartition entre plusieurs pays de peuples ayant une culture et une langue communes.

Sur le plan économique, leur petite taille est une entrave à la construction d'une économie saine et diversifiée ; et lorsque des tentatives de développement existent dans un pays, elles sont fréquemment en concurrence totale avec les États voisins. Bien avant les indépendances, la polémique a été ouverte entre, d'une part, les « égoïsmes nationaux » de certains des futurs États qui se croyaient capables de créer une économie prospère et un développement satisfaisant à l'intérieur des frontières héritées et, d'autre part, les partisans d'économies internationales, voire de grands regroupements continentaux ; aujourd'hui encore le débat n'est pas clos.

L'économie agricole des États dépend de deux héritages contradictoires. Celui du long passé de l'Afrique : sauf accidents climatiques ou démographiques, l'agriculture traditionnelle peut répondre aux besoins de nombreux secteurs ruraux. Celui de l'époque coloniale : le développement de cultures « de rente » – thé, café, cacao, canne à sucre, arachide – s'est fait souvent au détriment des cultures vivrières, et le prix d'achat de ces produits est fixé selon des cours mondiaux sur lesquels les États africains n'ont aucune prise. Le phénomène d'écartèlement entre des types d'économie tout à fait contradictoires s'observe dans tous les pays de l'Afrique noire.

11.2. La démographie

La natalité demeure très forte en Afrique ; l'un des héritages – souvent reconnu comme positif par certains hommes d'État africains – de la période coloniale consiste en un progrès général de la santé publique qui se traduit par une élévation relative de l'espérance de vie, une diminution progressive de la mortalité infantile (l'Afrique restant toutefois à la traîne) et la disparition de conflits interethniques, parfois sanglants, qui ont jalonné l'histoire du continent, surtout depuis le xviiie siècle.

La conjonction de ces facteurs a eu pour conséquence l'explosion de la croissance démographique. Sauf dans les régions où la production a été progressivement adaptée aux xviiie et xixe siècles à de fortes densités – au Rwanda, au Burundi, au Bénin et au Togo, par exemple –, cette poussée démographique, rencontrant parfois des zones de pénurie alimentaire et de famine, même conjoncturelle, désorganise totalement les anciennes structures de production et remet en cause la localisation des groupes humains sur des terres en voie de stérilisation.

De forts déplacements, contraints ou volontaires, de population ont eu lieu depuis 1960, qui modifient la carte des densités et soulèvent de plus en plus, par l'accroissement de l'urbanisation par exemple, des problèmes alimentaires. De vieilles habitudes sociales et économiques se trouvent ainsi bouleversées. S'y ajoutent des tensions entre États (Éthiopie et Somalie) et des tensions religieuses (Nigeria, Soudan) qui aggravent considérablement les effets, déjà très dangereux, des changements climatiques.

11.3. Les nouveaux défis : démocratie et « bonne gouvernance » (1980-)

Cinquante ans après leur indépendance, les pays d’Afrique subsaharienne sont entrés dans une nouvelle transition politique après celle de la construction de l’État postcolonial. À l’exception de la Somalie, aucun de ces États – considérés pendant des décennies comme des artifices greffés sur des sociétés repliées sur leurs « traditions », – ne s’est effondré et les conflits territoriaux (intra et interétatiques) ont été réglés soit par l’intégration forcée de la région sécessionniste (→  République éphémère du Biafra au Nigeria, 1970), soit par son droit à l’autodétermination (Érythrée, 1993, Soudan du Sud, 2011), soit par des arbitrages internationaux sur les frontières contestées (entre le Tchad et la Libye notamment, 1994).

Si des foyers de tension plus ou moins aigus subsistent (Ituri et Kivu en République démocratique du Congo, Casamance au Sénégal, enclave de Cabinda en Angola et surtout Darfour au Soudan), la plupart des guerres civiles – Angola , Mozambique, Liberia, Sierra Leone, Rwanda, Burundi, plus récemment RDC et Côte d’Ivoire – ont pris fin avec des accords entre parties en conflit et l’organisation d’élections, dans le cadre de nouvelles institutions, au moins « formellement » démocratiques.

À partir du début des années 1990, sous la pression de la mobilisation des « sociétés civiles », que d’aucuns pensaient apathiques et désarticulées, probablement davantage que sous l’effet de facteurs exogènes (disparition du bloc communiste ou discours de La Baule de François Mitterrand lors du sommet France-Afrique, en juin 1990), ces États connaissent, pour la plupart d’entre eux, une vague de démocratisation certes chaotique mais riche en expériences politico-sociales inédites. Dans le sillage des « conférences nationales », plus particulièrement, de la transition béninoise (décembre 1989-décembre 1990) érigée en modèle, le multipartisme est introduit, de nouvelles Constitutions sont adoptées et des élections supposées libres et transparentes convoquées. Qu’elle soit imposée par le bas ou, le plus souvent, octroyée par l’élite au pouvoir et finalement habilement détournée par celle-ci, cette libéralisation ouvre la voie à des alternances jusqu’alors inconnues et à la promotion de nouveaux cadres dirigeants, mettant fin au règne de l’État-parti.

Parallèlement, le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), adopté en 2001, a désormais pour ambition d’offrir un cadre socio-économique intégré et interafricain pour la « bonne gouvernance ». Le clientélisme, la prévarication, la gestion « patrimoniale » des ressources étatiques n’ont certes pas disparu et les scrutins – placés sous l’œil d’observateurs internationaux et de commissions électorales plus ou moins fiables et autonomes – sont souvent entachés d’irrégularités ou de fraudes, parfois contestés et même boycottés par l’opposition, mais un nouvel espace politique a émergé.

Vingt ans après son déclenchement, ce processus, entré dans plusieurs pays dans sa phase de consolidation voire, beaucoup plus rarement, de « routinisation », a donné naissance à des trajectoires politiques très variées. Les cas présentés souvent comme exemplaires du Bénin depuis 1991 pour l’Afrique francophone et du Ghana depuis 2001 pour les pays anglophones, restent des exceptions et les alternances au pouvoir s'avèrent plus difficiles dans d'autres pays : ainsi notamment les expériences malienne, sénégalaise ou kenyane. Dans certains cas, les conflits entre adversaires politiques se résolvent au sommet par un accord sur le partage du pouvoir (Burundi en 2007, Kenya en 2008), dans d’autres, ont lieu des successions en faveur d’un « dauphin » (Zambie, 2001 et 2008, Mozambique, 2004, Namibie, 2007) ou d’un « héritier » (Gabon, 2009, Togo, 2005) quand le président sortant ne parvient pas à prolonger son mandat par une modification constitutionnelle ad hoc comme au Cameroun (Paul Biya), en Ouganda (Yoweri Museveni) au Tchad (Idriss Déby) ou au Burkina Faso (Blaise Compaoré).

Cette tendance à la personnalisation du pouvoir est indéniable et le parti présidentiel peut disposer d'un avantage disproportionné face à une opposition divisée, nationalement mal implantée et/ou dépourvue des moyens financiers offerts par le contrôle de l'État.

À l’inverse, le multipartisme peut entraîner un émiettement de la scène politique et entretenir des rivalités qui empêchent l'unification des forces politiques de l'opposition. De son côté, la participation (très varaible selon les pays et les enjeux) peut fortement chuter.

Cette démocratisation connaît ainsi ses limites et peut à tout moment être freinée en dépit de l’adoption en 2007 par vingt-neuf États membres de l’Union africaine d’une « Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance », dont la ratification reste d'ailleurs toujours en suspens dans de nombreux États.

Mais l’interruption violente du processus et la conquête du pouvoir par les armes (République centrafricaine, 2003, Guinée, 2009, Mali, 2012) – devenues trop coûteuses en raison des sanctions internationales qui s’en suivent désormais automatiquement – se sont considérablement raréfiées au profit d’un constitutionnalisme renforcé.

Djenné
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Henri Dimpre, « L'instruction et l'éducation »
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La décolonisation en Afrique, 1936-1990
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La traite des esclaves
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Les empires coloniaux avant la Seconde Guerre mondiale
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Les origines de l'homme
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  • 1990-1991 La plupart des États d'Afrique noire s'engagent sur la voie du multipartisme et de la démocratisation.