Le rapport de forces entre partenaires cinématographiques a donc bien changé. Dans les années 70, les entreprises qui distribuaient les films dans les salles intervenaient pour 20 % environ de la production. Après une pointe à 30 % en 1984, cette part ne représentait plus que 7,3 % en 1987. Pendant ce temps, de nouveaux partenaires, intéressés au moins autant par les marchés TV que par le cinéma proprement dit – les SOFICA –, apparaissaient en 1986 avec 4,8 % et dépassaient 10 % en 1987.

Une évolution inéluctable

Le compte de soutien aux industries cinématographiques témoigne lui-même d'un renversement très significatif dans la structure de ses recettes. Ce fonds propre au cinéma est alimenté par une taxe perçue sur les billets et joue le rôle d'une épargne-investissement redistribuée aux différents agents de la filière film ; il a été longtemps le produit direct de la fréquentation des salles. Depuis 1985, un prélèvement sur les sommes encaissées par les sociétés de télévision est reversé au soutien des activités proprement cinématographiques, qui sont ainsi gérées par l'État. Alors que l'alimentation de ce compte via la salle de cinéma ne fait que baisser par l'effet de la diminution des entrées, l'apport de la télévision est en train de devenir majoritaire et devrait atteindre 53,5 % en 1989. L'apport des salles passerait ainsi de 76 % en 1985 à 46,3 % en 1989.

Les années 1987 et 1988 auront donc été décisives dans la détermination d'un nouveau rapport de forces dans le monde cinématographique français. Elles ont bien fait ressortir le déclin de la salle de cinéma dans la filière film. Selon les données existantes, en France, les salles assuraient encore les trois quarts du total des recettes du film en 1982 ; les prévisions à l'horizon 1989-90 varient entre 35 % et 45 % selon leurs auteurs et selon les paris que l'on peut faire sur les marchés du câble et de l'édition sur vidéocassette.

L'évolution est inéluctable ; la salle de cinéma ne retrouvera plus jamais son hégémonie sur les marchés de la diffusion du film. On lui concède toutefois une puissance presque intacte pour faire connaître et populariser les œuvres, établir les hiérarchies et les facteurs de notoriété – qui se retrouvent presque identiques dans les taux d'audience de la télévision.

Peut-être faudrait-il dire que la véritable crise du cinéma est une crise de financement, mais il faut également convenir que la crise des salles se répercute fort logiquement sur les autres agents économiques, sans se limiter à constater ses effets sur les sociétés de distribution, pour la plupart en équilibre instable.

La fin de « l'anomalie française »

En France, l'évolution de la fréquentation des salles diffère de celle que l'on peut observer dans les autres pays d'Europe et d'Amérique du Nord ou au Japon. L'Italie elle-même a rejoint ses voisins à la suite de l'explosion du phénomène des télévisions privées. La France, qui est longtemps restée, avec les États-Unis, l'un des deux pays industrialisés dotés d'une forte consommation moyenne par habitant, a mieux résisté que les autres pays d'Europe occidentale, grâce à l'effort considérable de modernisation du parc, à une meilleure desserte du territoire (malgré les effets déjà évoqués de la concentration) et grâce à une forte audience des films nationaux sur le marché intérieur.

Depuis 1983, on a donc assisté à deux phénomènes divergents : un déclin du film français sur son propre marché et un effort accru de l'État visant à améliorer la desserte du territoire en salles de cinéma, à parfaire la modernisation sur les marchés locaux secondaires, à améliorer leur accès au film. Ces efforts de l'État, aidés par ceux des petits exploitants et par les contributions des collectivités locales, qui sont amenées à intervenir de plus en plus souvent, sont donc confrontés non seulement à la baisse de la fréquentation, mais aussi à la réduction de l'audience des films français, auxquels le public des petites villes et des agglomérations moyennes accorde pourtant la préférence.