Le cinéma en danger

Les Français se déplacent de moins en moins souvent pour aller dans les salles obscures ; ils préfèrent regarder les films à la télévision dont l'influence sur le monde cinématographique est de plus en plus grande.
Années de crise, 1987 et 1988 auront été décisives dans révolution du rapport de forces.

Paris, 29 octobre 1987. Quelques centaines d'exploitants de salles de cinéma venus de toute la France font le siège des locaux de leurs autorités de tutelle, ministère de la Culture et Centre national de la cinématographie (CNC) ; une manifestation symbolique qui peut étonner, venant d'une profession plus volontiers attirée par les négociations cordiales dans l'ambiance feutrée des salons que par l'agitation dans la rue ; manifestation-symptôme mettant au jour non seulement le malaise d'une corporation qui s'interroge sur son avenir face au développement de tous les autres supports de programmes audiovisuels, mais aussi l'inquiétude née du déclin de la fréquentation des salles amorcé en 1984 et brutalement aggravé à partir de 1987.

Six ans de crise

Si crise il y a, la partie la plus visible est bien en effet la chute du nombre des ventes de billets aux caisses des cinémas et la nouvelle vague de fermeture de salles. Après une période de relative stabilité du nombre des entrées au cours des années 70, la fréquentation avait connu une hausse encourageante jusqu'en 1982. Avec une audience légèrement supérieure à deux cents millions d'entrées par an, soit une moyenne de 3,6 billets par habitant, l'exploitation occupait une position enviable en France, surtout si on comparait sa situation avec celle de ses voisins européens chez qui l'on vendait rarement plus de 1,5 à 2,5 billets par habitant.

L'ensemble des branches de l'industrie cinématographique baignait alors dans l'optimisme, bien que le nombre de films mis en chantier ait commencé à baisser nettement dès 1983. Dans leur propre pays, les films français furent vus par plus de cent millions de spectateurs en 1982, année record où leur taux d'audience dépassa 53 % de la fréquentation totale contre seulement 30 % pour les films américains. L'amélioration du parc de salles se poursuivit jusque dans de petites villes de moins de dix mille habitants, où des cinémas traditionnels renaquirent, souvent transformés en petits complexes multisalles. À partir de la saison 1982-83, l'État encouragea et subventionna ces améliorations par la mise en place de mesures d'aide à l'exploitation (au profit, plus particulièrement, des salles situées hors des grandes agglomérations), qui complétèrent la nouvelle politique d'encadrement et de soutien au cinéma définie par le ministre de la Culture, Jack Lang.

Au cours de l'année 1984 furent ainsi ouvertes 327 nouvelles salles. L'équipement, mesuré de manière habituelle en nombre d'écrans et non en termes d'établissements (un « cinéma » offre au public un ou plusieurs écrans), passa alors de 4 572 en 1981 à 5 154 en 1986. Cette évolution fut unique en Europe, où, généralement, le nombre de salles stagne ou diminue lentement, quand il ne s'effondre pas, comme ce fut le cas en Italie.

Les remises en cause n'ont pas tardé. Elles culminèrent en 1987 et 1988. Les chiffres officiels permettent de comprendre pourquoi.

Le chiffre d'affaires ayant baissé moins vite que le nombre global des entrées, l'année 1987 révéla une mise en question de l'existence même de nombreuses salles de cinéma (plus particulièrement dans la petite exploitation, et chez les indépendants en général). Les menaces furent et restent particulièrement graves dans le cas des petites entreprises qui ont emprunté au cours des années euphoriques 1982-1984 et dont les charges financières sont désormais disproportionnées par rapport aux produits.

À la fin de l'année 1987, la presse envisageait la fermeture de 500 cinémas (soit 10 % du parc mesuré en nombre d'écrans) ; mais ce chiffre n'a pas été confirmé de source officielle. Le bilan publié par le CNC en mai 1988 (supplément no 128 d'Informations-CNC) fait état de 244 fermetures, partiellement compensées, sur le plan statistique, par 150 créations de salles. C'est le nombre annuel de fermetures le plus élevé depuis 1980 ; c'est aussi la première fois depuis près de dix ans qu'il est supérieur à celui des ouvertures.