En fait, les mesures les plus importantes en discussion consistent à la fois à accroître les ressources du régime général – notamment en élargissant son financement à d'autres revenus que les seuls revenus professionnels – et à ralentir l'évolution des retraites, en modifiant des mécanismes qui accroissent le montant de la pension. Il s'agit surtout du calcul de la pension sur le salaire des « dix meilleures années », qui, estime-t-on, accroît de 7 % la pension moyenne des hommes et de 20 % celle des femmes ; le rapport des Sages a proposé par exemple de porter progressivement la base de calcul à vingt ou vingt-cinq ans. Ce sera sans doute l'un des points à discuter, dans les mois qui viennent, entre le nouveau ministre de la Solidarité, le socialiste Claude Evin, et les partenaires sociaux.

Les autres suggestions des techniciens risquent d'être encore plus difficiles à mettre en œuvre. L'une consiste à réduire certains avantages annexes dits « non contributifs » (par exemple la prise en compte de périodes de service militaire ou de chômage, ou les avantages accordés par enfant) ou bien à les financer autrement. C'était l'une des pistes envisagées dans le rapport préparé par le Conseil économique en 1988, mais qui n'a pas abouti. L'autre est d'harmoniser les conditions de retraite des différents régimes, notamment ceux du secteur public, généralement plus avantageux, pour les rapprocher du régime général. Mais une telle proposition se heurte à une vigoureuse hostilité des intéressés, fonctionnaires, cheminots ou agriculteurs. De fait, comme le soulignent leurs syndicats, il faut la plupart du temps toucher aux statuts de ces professions. Aucun gouvernement n'a envie de s'y attaquer.

Une extrême complexité

Lors de la création de la Sécurité sociale en 1946, certaines professions puissantes, qui disposaient déjà de leur propre protection sociale et d'un « statut » refusèrent de rejoindre le régime général. Aujourd'hui, 115 « régimes spéciaux » de toutes tailles subsistent.

Les non-salariés – artisans, commerçants, agriculteurs et membres des professions libérales –, qui n'avaient pas voulu se fondre dans la masse des salariés ont progressivement créé leurs propres régimes entre 1950 et 1971. Seuls les régimes des artisans et des commerçants et industriels ont été « alignés » sur les conditions du régime général en 1973, et ont bénéficié, par exemple, de la retraite à 60 ans en 1984, comme les agriculteurs un an plus tard. Ainsi, l'âge de la retraite à taux plein est extrêmement varié selon les professions.

Désireux d'améliorer leur protection, les cadres ont mis en place dès 1947 par voie contractuelle un régime « complémentaire » qui n'en est pas moins devenu obligatoire, et qui a été progressivement généralisé aux autres catégories de salariés.

Certaines professions restées à l'écart, comme les banques, ajoutent encore un supplément aux complémentaires (régimes « chapeau »). Des régimes « sur-complémentaires » ont aussi été créés pour les cadres (très) supérieurs, à très hauts salaires ; en 1988, ils ont été intégrés dans le régime des cadres. Naturellement, agriculteurs, commerçants et artisans ont aussi mis sur pied leurs propres régimes complémentaires obligatoires ou facultatifs selon les cas. Enfin des régimes d'entreprise ou des assurances-retraite individuelles peuvent s'ajouter à tout cela.

Une caractéristique est commune à tous les régimes sauf à ceux des entreprises et aux systèmes facultatifs : ils fonctionnent par « répartition », c'est-à-dire que toutes les cotisations reçues une année donnée sont reversées à l'ensemble des retraités du moment, à l'exception des réserves de trésorerie, cotisations et dépenses s'équilibrant. Chaque génération paie alors pour les retraités et acquiert en même temps des « droits » à bénéficier à son tour de la même solidarité.

Guy Herzlich
Guy Herzlich appartient depuis 1983 à la rubrique sociale du service économique du Monde. De 1979 à 1982, il a été rédacteur en chef du Monde de l'Éducation.