Le marché à règlement mensuel mis en place à l'automne 1983 constitue moins une nouveauté qu'un aménagement. Aménagement matériel de l'intérieur du palais Brongniart certes, aménagement aussi des principes de cotation puisque disparaît enfin la dualité de cotation qui faisait qu'une valeur ne cotait pas forcément le même prix au comptant et à terme. C'est la première étape d'une réforme plus profonde du marché, qui passera par l'informatique et la cotation en continu et non plus seulement dans l'étroite fourchette horaire 12 h 30 - 14 h 30.

Produits

Nouveauté des marchés, disions-nous, mais aussi nouveauté des produits. D'abord au plan obligataire, 1983 voit franchir une nouvelle étape dans la sophistication croissante des émissions, au grand bonheur des professionnels et des investisseurs institutionnels, mais au grand dam aussi des souscripteurs privés dépassés par une telle technicité : TMM (emprunt à taux variable à référence monétaire), TRM (emprunt à taux flottant), TMO (emprunt à taux variable à référence obligataire), TRO (emprunt à taux révisable), emprunts à fenêtres, etc.

Mais il n'y a pas seulement les obligations pour s'être ainsi diversifiées, spécialisées. Le mal atteint même les actions, avec les ADP, actions à dividende prioritaire sans droit de vote. Créées par la loi de juillet 1977, elles visent à permettre l'augmentation des fonds propres des sociétés, en évitant le problème du contrôle du capital par les actionnaires majoritaires. En contrepartie de la perte du droit de vote, le propriétaire de ces nouvelles actions a droit à un dividende prioritaire prélevé sur le bénéfice, distribuable avant toute autre affectation. Parmi les premières expériences, Legrand a assuré un privilège nettement supérieur à ceux de Casino, Essilor ou Darty. En contrepartie, l'actionnaire n'intervient plus dans la gestion. Son titre va, en outre, souffrir d'un marché beaucoup plus étroit que celui de l'action ordinaire.

Toujours parmi les nouveautés de l'année et à cheval entre actions et obligations, citons aussi les obligations à warrants et les titres participatifs. Les premières sont des obligations de type classique mais assorties d'un bon de souscription à des actions, à des conditions données. Parmi les initiateurs, Lafarge Coppée et Peugeot. Dès l'introduction à la cote, les obligations nues et les droits de souscription se sont négociés sur des lignes distinctes.

Les titres participatifs ont été, eux, émis par les sociétés nationalisées, pour leur permettre de se financer sur le marché tout en offrant aux apporteurs de capitaux un élément de rémunération variable selon les performances de la firme. La référence peut être le chiffre d'affaires, aussi bien que le résultat. Parmi les premiers, Rhône-Poulenc a recueilli 600 millions et Saint-Gobain 700 millions.

Mentionnons enfin, parmi les nouveautés de l'année, la faculté ouverte par certaines sociétés de percevoir le coupon annuel en espèces ou sous forme de titres, ainsi que cela se fait depuis longtemps à l'étranger. Le groupe Robeco avait popularisé la formule en France. Le régime fiscal reste le même. Parmi les initiateurs de cette option, citons la Générale occidentale ou Lafarge Coppée.

Bataille de l'eau

La cote s'est déjà ressaisie de son accès de faiblesse du mois de juin quand arrive la période estivale. À Wall Street, les cours vont fluctuer dans les mois suivants au gré des nouvelles publiées chaque vendredi sur l'évolution de la masse monétaire. Qu'elle gonfle un peu, et l'on craint un resserrement de la politique du crédit, une hausse des taux, un raffermissement du dollar et une baisse de la Bourse. Qu'elle baisse au contraire et l'on parie déjà sur la décrue du billet vert et la hausse du marché. L'or variant à chaque fois en sens inverse du dollar.

Tout en ironisant sur ces schémas primaires, Paris garde l'œil fixé sur le Dow Jones, suivant les humeurs de Wall Street. Ce milieu d'année est en outre animé par une affaire bien spéciale : la lutte d'influence qui se déroule autour de la Compagnie générale des eaux, dont Saint-Gobain, arguant d'une finalité industrielle (la synergie eau-tuyau), cherche à prendre les rênes. Mais la réaction est vive, au niveau certes des dirigeants de la Générale des eaux, mais plus encore au niveau politique, où l'on crie à la nationalisation rampante. Cela conduit le groupe de Roger Fauroux à ne conserver que 20,7 % du groupe des eaux, en faisant porter par des banques amies les titres acquis en excédent jusqu'à ce qu'une solution durable soit trouvée. Elle le sera avec Schlumberger, qui prend en octobre 10 % de l'affaire.

L'État emprunte

La pause estivale est respectée, ce qui ne signifie pas la pause des transactions ni la pause des cours. Ceux-là continuent tranquillement leur ascension, portant la hausse de la Bourse de Paris à quelque 40 % à fin septembre.