Second atout : la carte palestinienne. Depuis leur expulsion de Beyrouth, lors de l'été 1982, la direction et une partie importante des troupes de l'OLP sont affaiblies et dispersées aux quatre coins du monde arabe. C'est le moment que choisit Damas pour tenter d'imposer définitivement sa tutelle aux forces palestiniennes. Aussi, lorsqu'un groupe d'officiers palestiniens, dirigés par le colonel Abou Moussa, choqués par des « maladresses graves » de la direction du Fatah, entrent en rébellion contre Yasser Arafat, la Syrie appuie-t-elle aussitôt — politiquement et militairement — les dissidents, laissant se dérouler de sanglants affrontements fratricides entre loyalistes et rebelles. L'humiliation est à son comble pour Y. Arafat, qui, malgré de nombreuses concessions, est expulsé de Damas comme un vulgaire malfaiteur, le 24 juin 1983, avant d'être encerclé en septembre, avec un dernier carré de fidèles, dans un réduit, au nord de Tripoli (Nord-Liban).

La magistrale offensive contre l'accord israélo-libanais — signé le 17 mai 1983 par les représentants des États-Unis, d'Israël et du gouvernement libanais — témoigne du rôle central assumé par la Syrie. Silencieux pendant toute la négociation, au point de laisser croire qu'il pourrait, sous certaines conditions, s'y rallier, le président Assad s'y oppose vigoureusement dès la signature de ce qu'il présente comme un diktat américain imposé par le secrétaire d'État George Shultz.

Damas défend sans relâche une approche globale de la paix au Proche-Orient, qui lui donne, ainsi qu'à l'URSS, de bien meilleures perspectives. La Syrie regroupe donc dans un Front de salut national — dont la création est annoncée le 23 juillet 1983 à Baalbeck par Walid Joumblatt — tous les adversaires de l'accord, ainsi que les hommes politiques libanais liés à elle, l'ancien président Frangié et l'ancien Premier ministre Rachid Karamé. Aidant massivement les milices druzes installées dans la montagne du Chouf, qui surplombe Beyrouth et que l'armée israélienne évacue au début de septembre 1983, Damas conduit de nouveau le Liban au bord de la guerre civile et de la partition durable. L'accord de cessez-le-feu syro-américain du 25 septembre, qui met provisoirement fin aux hostilités au Liban, illustre bien la maxime favorite de l'ancien secrétaire d'État Henry Kissinger : « Aucune guerre n'est possible au Proche-Orient sans l'Égypte, aucune paix sans la Syrie... »

Le chemin de Damas

La Syrie n'occupe pas seulement une position clé pour le règlement des problèmes libanais ou palestinien ; elle influe sur l'équilibre de l'ensemble du Proche-Orient. Aussi, sans perdre le bénéfice de l'aide financière arabe, décidée au sommet de Bagdad en 1979 (environ 1 850 millions de dollars par an, dont seuls 750 millions seraient versés), ni l'importante aide saoudienne, la Syrie a noué avec la révolution iranienne des liens étroits.

La Syrie vit sur le pied de guerre : l'armée absorbe deux tiers du budget de l'État. Malgré tout, la situation économique n'est pas mauvaise : l'endettement international connu (4,2 milliards de dollars) reste raisonnable, l'inflation aurait été ramenée à 12 % et la livre syrienne a été récemment réévaluée.

Ainsi confortée, la Syrie se dit prête à affronter les États-Unis qui optent pour la séduction (remplacement de Philip Habib qui déplaît aux Syriens par Robert McFarlane comme envoyé spécial américain au Proche-Orient) avant d'être tentés par la confrontation armée : bombardements américains contre les positions syriennes dans la montagne libanaise en décembre 1983, qui coûtent deux avions à l'US Air Force. Hafez el-Assad, qui n'a peut-être pas renoncé à une grande négociation avec les États-Unis, veut les contraindre à retrouver le chemin de Damas.

Alain Chenal

Turquie

Liberté surveillée

Après l'adoption d'une nouvelle Constitution approuvée par référendum le 7 novembre 1982, l'élection d'une Assemblée nationale le 6 novembre 1983, presque un an plus tard, jour pour jour, constitue la deuxième phase de cette « transition graduée et contrôlée » vers le rétablissement de la démocratie promis par la junte militaire. Si le calendrier de cette transition est ainsi scrupuleusement respecté, les conditions très strictes dont le Conseil national de sécurité entoure la préparation des élections suscitent plus de déceptions et de craintes que d'espoir.