Une diminution de 20 % des subventions de l'État aux denrées de première nécessité entraîne une hausse allant de 7 % à 67 % de certaines d'entre elles. Ces mesures, qui laissent craindre une effervescence semblable à celle de juin 1981 à Casablanca, mettent également à mal le plan quinquennal inauguré en 1981 et dont certains grands projets rentables — notamment dans le domaine de l'infrastructure routière et ferroviaire — se trouvent retardés.

Seules les provinces sahariennes, pour des raisons politiques, échappent en partie à cette révision, à la baisse, du développement. Néanmoins, le PNB aura progressé de 6,8 % en 1982. Cette crise explique la difficulté croissante que le Maroc rencontre à attirer les investisseurs et à obtenir des prêts auprès de la communauté bancaire internationale. Elle explique aussi la frustration et la lassitude d'un peuple qui, malgré tout, continue à vénérer son roi et qui, derrière lui, se retrouve unanime pour faire du Sahara une « cause sacrée », malgré le prix qui lui en coûte.

Le sort de la démocratie

La perspective d'élections municipales et législatives en 1983 agite la classe politique marocaine dès le début de l'année. Le Premier ministre, Maati Bouabid, crée un nouveau parti, l'Union constitutionnelle (UC), qui se pose en rival du Rassemblement national des indépendants (RNI) d'Ahmed Osman, déjà affaibli par la scission des Indépendants démocrates (ID).

Le roi forme, le 30 novembre, un gouvernement de coalition et de transition, dirigé par un technocrate attaché à l'économie libérale, Mohamed Karim Lamrani, et qui comprend notamment le leader de l'USFP (Union socialiste des forces populaires), Abderrahim Bouabid.

Philippe Rondot

Syrie

Le retour en force

L'année 1982 était, pour le régime Assad, celle de très sérieux revers. L'armée israélienne a infligé, en juin 1982, à l'armée syrienne le coup le plus sévère qu'elle ait connu depuis l'arrivée au pouvoir du général Hafez el-Assad en 1970. Un an après, pourtant, le régime Assad est devenu un acteur de premier plan sur la scène proche-orientale.

Comment ? Tout d'abord en démontrant sa stabilité. La répression impitoyable du soulèvement de Hama, la difficulté pour les oppositions démocratiques et laïques de faire la jonction avec les courants religieux les plus intransigeants, et la très forte solidarité de la minorité alaouite qui monopolise le pouvoir permettent au régime syrien de se consolider. L'absence d'alternative convainc les Syriens, comme les puissances étrangères, que le général Assad est un interlocuteur inévitable. Ce dernier peut donc consacrer l'année 1983 à renforcer ses atouts, pour poursuivre son objectif fondamental : exercer le leadership politique du Croissant fertile, région qui englobe la Syrie, le Liban, les Palestiniens, l'Iraq, la Jordanie...

La revanche des Alaouites

L'histoire de l'islam, religion pourtant strictement monothéiste, fait apparaître une prodigieuse floraison de théologiens, de mystiques et de sectes. En particulier, la grande famille chiite, attachée à la descendance du Prophète Mohamed et au rôle privilégié de son cousin et gendre Ali, compte nombre d'« enfants perdus ». C'est le cas des Alaouites de Syrie, qu'on appelle aussi Nosayris. Ils apparaissent au ixe siècle, alors que périclite le califat abbasside de Bagdad. Muhammed ib Nusaïr al Namiri, leur fondateur (mort vers 884), attache une importance décisive à la personne du 10e imam Ali al Hadi Abou Al Hassan al Askari, qu'il présente comme une incarnation de l'esprit divin. Cette secte religieuse, par son syncrétisme, empruntant au christianisme et à la gnose notamment, brise les barrières entre l'islam et les autres religions. C'est ainsi que la doctrine alaouite fait place à l'idée de trinité et à la métempsycose, que sont fêtées les fêtes chrétiennes, que le vin est célébré et que certains adeptes portent volontiers des prénoms chrétiens.

Le président Hafez el-Assad qui, avec sa famille, monopolise le pouvoir en Syrie fait partie de la minorité alaouite. Cette communauté, qui appartient à l'islam, a constamment été persécutée. Vivant pauvrement, la minorité alaouite, implantée au nord du Liban (Akkar), dans la région d'Alexandrette mais surtout dans la montagne alaouite (à l'est du port syrien de Lattaquié), a développé l'usage du secret et des étapes initiatiques ; elle légitime la dissimulation ou « camouflage de la foi » par la nécessité de survivre. La communauté alaouite compterait aujourd'hui de 500 000 à 900 000 membres, selon diverses estimations, organisés en 4 grandes confédérations tribales (Khayyatin, Haddadin, Matawira et Kalbiya), très structurées et dirigées par des chefs héréditaires dont l'influence demeure considérable.

L'OLP sous tutelle

Premier atout : le renforcement massif de l'aide militaire soviétique, qui témoigne du dynamisme nouveau de la politique du Kremlin au Proche-Orient depuis l'avènement de Youri Andropov. La Syrie permet donc à l'URSS de revenir en force dans la région. Le déploiement de missiles antiaériens SAM-5 dans deux bases proches de Damas et de Homs, s'ajoutant au remplacement des matériels détruits en 1982 par des armements supérieurs en qualité et en nombre, assure une protection renforcée du pays face à une éventuelle attaque israélienne. La présence de près de 10 000 conseillers soviétiques ou d'Europe de l'Est renforce encore cette protection.