Et, le 30 mars, alors que les ministres de l'Agriculture des Dix délibèrent, 10 000 agriculteurs de la Communauté, dont une bonne moitié de Français, manifestent à Bruxelles, sous les fenêtres du Conseil. Vaines pressions : les négociations n'aboutissent pas. Les nouveaux prix agricoles ne sont pas fixés. Il faudra attendre six semaines pour qu'ils le soient enfin. Et dans des conditions exceptionnelles : en effet, pour forcer la main aux Britanniques, les autres délégations décident des prix, le 18 mai, par un vote à la majorité, alors que la Grande-Bretagne invoquait la règle de l'unanimité.

Accord communautaire

L'accord, intervenu contre la volonté britannique, est plus favorable aux agriculteurs que ne le laissaient prévoir les propositions initiales de la Commission. Les ministres de l'Agriculture leur ont apporté diverses améliorations au cours de leurs délibérations à la fin d'avril, puis les 10 et 11 mai. Les prix agricoles sont majorés, en moyenne, de 10,5 %. Et, compte tenu d'une diminution de la taxe de coresponsabilité mise à la charge des producteurs de lait et d'un léger ajustement monétaire, la hausse est en France de l'ordre de 13 %, selon Édith Cresson, de 12,3 % selon les calculs du syndicalisme agricole.

Dans les organisations agricoles françaises il n'y a pas beaucoup de voix pour accueillir sans réserve les décisions des Dix. La FNSEA, pour sa part, ne ménage pas ses critiques. Le niveau des prix est insuffisant et il favorise les pays à monnaie forte, comme l'Allemagne et les Pays-Bas, dont les exploitants bénéficieront d'une augmentation supérieure à leur taux d'inflation, tandis que, dans les pays à monnaie faible, comme la France, le relèvement des prix agricoles ne suffit pas à compenser la hausse du coût de la vie et des coûts de production. De plus, l'institution d'objectifs de production, au-delà desquels les prix garantis seront réduits, pour les céréales, le lait, le colza, constitue un danger pour l'avenir de l'expansion agricole. Enfin, les prix ont été fixés avec plus de six semaines de retard, ce qui se traduit par une perte pour les producteurs de lait et de viandes bovine et ovine pour lesquels la campagne 1982-1983 est ouverte depuis le 1er avril. Il appartient au gouvernement, rappelle François Guillaume, de compenser ce préjudice. Et il ajoute qu'il est urgent dans le même temps « de mettre en place le plan de limitation des coûts de production réclamé par la FNSEA, compte tenu de l'insuffisance du relèvement des prix agricoles par rapport au taux d'inflation observé dans notre pays ». Un problème qui est inscrit à l'ordre du jour de la Conférence annuelle, convoquée cette année pour la fin de juin.

Édith Cresson a du pain sur la planche. Non seulement, il lui faut donc prévoir des compensations pour les éleveurs, pour les six semaines de retard apporté à la fixation des prix, et étudier aussi des mesures propres à réduire les coûts de production, mais il lui faut aussi mettre au point ses projets de loi sur les offices fonciers et les offices par produit, deux projets dont l'élaboration s'avère difficile.

Foncier

Depuis plusieurs mois, déjà, les collaborateurs du ministre travaillent à la rédaction du texte qui créera les offices fonciers. Le but, c'est de contrôler les transactions sur les terres agricoles pour, d'une part, faciliter l'installation de jeunes exploitants et, d'autre part, éviter que les terres qui deviennent disponibles ne soient accaparées par les agriculteurs les mieux pourvus.

Beaucoup de jeunes éprouvent, en effet, bien du mal à s'installer. D'abord, parce que les exploitations libres sont rares ; ensuite, parce que les terres sont chères et qu'il faut donc mobiliser des capitaux importants pour s'établir.

Le prix moyen, en 1980, des terres agricoles libres à la vente s'établit à 21 300 F l'ha. Et l'on estime que, depuis, ils ont augmenté de 6 %. C'est dire que, pour acquérir une exploitation d'une cinquantaine d'hectares, il faut plus d'un million de F. À quoi s'ajoute le capital d'exploitation : matériels de culture, animaux, bâtiments éventuellement. Au bas mot : 600 000 à 700 000 F. Bien peu de jeunes sont en mesure de réunir de tels capitaux et, quand ils y parviennent, c'est, bien souvent, au prix d'un lourd endettement. Aussi depuis longtemps cherche-t-on les moyens de les affranchir de ce que l'on appelle la « charge foncière ».