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Les nationalisations

Prévue par le « programme commun de la gauche » et annoncée par François Mitterrand lors de sa campagne présidentielle, la nationalisation de quelques grands groupes industriels et de nombreuses banques est devenue une réalité début 1982.

Bouleversement

Le processus parlementaire a traîné en longueur du fait des discussions internes à la majorité, des amendements de l'opposition et des observations du Conseil d'État, mais, finalement, c'est la solution maximaliste qui a été retenue. Pas question, en effet, que les entreprises en cause soient nationalisées à 51 % ; c'est la totalité de leur capital qui est passée sous le contrôle des pouvoirs publics. Et pas question davantage de nationaliser uniquement les grosses banques ; c'est la quasi-totalité du système bancaire qui relève désormais de la tutelle de l'État. Voilà donc une opération qui a coûté fort cher au contribuable (le montant des indemnisations s'élève à 32 milliards de F) et qui bouleverse profondément la physionomie du monde des affaires.

À l'heure où le libéralisme connaît un regain de faveur dans des pays comme les États-Unis et la Grande-Bretagne, on peut s'étonner que la France ait choisi au contraire une politique dirigiste. Trois raisons expliquent ce comportement original.

– Le mot nationalisation est un symbole qui revient souvent, et depuis longtemps, dans les programmes de la gauche, qu'elle soit communiste ou socialiste. Au lendemain de la victoire éclatante du parti socialiste et de l'arrivée spectaculaire de quatre ministres communistes au gouvernement, il était inévitable que certaines nationalisations soient exigées, ne serait-ce que pour aligner la réalité sur le dogme.

– En dehors de leur utilité « liturgique », les nationalisations constituaient, aux yeux du gouvernement, un outil efficace de politique industrielle. À quoi sert de détenir le pouvoir politique si on n'a pas les moyens de peser sur la vie économique du pays ?

– Lors de la campagne présidentielle, c'est la lutte contre le chômage qui a constitué l'un des principaux mots d'ordre de la gauche. D'où la décision d'accroître le secteur public afin de multiplier les possibilités d'embauché. L'État peut exiger d'EDF, de la SNCF ou de Renault qu'ils augmentent leurs effectifs ; il n'a pas de prise sur la politique d'emploi des entreprises privées.

Bref, désormais, les pouvoirs publics ont leur mot à dire dans douze groupes industriels : CGE, Thomson, Saint-Gobain-Pont-à-Mousson, Rhône-Poulenc, Pechiney-Ugine-Kuhlmann, Usinor, Sacilor, CII-HB, Matra, Dassault, Roussel-Uclaf et ITT-France. Si on fait abstraction des dossiers particuliers (persistance d'une participation étrangère de près de 20 % à la CII-HB et de 66 % chez Roussel-Uclaf, contrôle de Matra à 51 % seulement, régularisation en cours du cas ITT-France, et mise en attente du cas Dassault), on constate maintenant que le secteur public représente 24 % de l'emploi industriel, 32 % du chiffre d'affaires et 50 % des investissements, contre respectivement 11 %, 18 % et 43 % avant les nationalisations.

Numéro un

C'est là un changement considérable. Ainsi, au niveau du chiffre d'affaires, la part des entreprises publiques est passée de 1 % à 80 % dans la sidérurgie, de 23 % à 54 % dans la chimie de base, de 0 % à 75 % dans les textiles artificiels, de 9 % à 28 % dans la pharmacie, de 58 % à 75 % dans l'armement, de 0 % à 25 % dans l'équipement ménager !

Naguère dépassée par l'Autriche en matière de poids relatif du secteur public dans l'industrie, la France est désormais, et de loin, le numéro un de la spécialité, exception faite bien entendu des pays de l'Est et de quelques États totalitaires.

Banques

Dans le secteur bancaire, le changement est encore plus radical puisque toutes les banques françaises dont le total des dépôts dépassait 1 milliard de F (ce qui est peu) ont été nationalisées. Au total, sur 230 banques, 35 ont été nationalisées en bonne et due forme et 125 le sont de fait en tant que filiales d'établissements nationalisés. Restent environ 70 banques vraiment privées, mais ce chiffre ne doit pas faire illusion, car il correspond environ à 1 % des dépôts et des crédits à l'économie.