La Chine semble d'abord se figer dans son deuil. Neuf jours de recueillement. Tout un peuple en sanglots défile devant la dépouille embaumée du Grand Timonier, exposée au palais du Congrès. Le samedi 18 septembre, sur cette place Tien An-men où il avait célébré tant de triomphes, c'est le dernier hommage. Wang Hong-wen, le jeune vice-président du parti à qui Mao prédisait un bel avenir devant Georges Pompidou trois ans plus tôt, préside la cérémonie. Tous les grands du régime sont là, apparemment unanimes dans leur peine. Le Premier ministre, Hua Kuo-feng, ayant à ses côtés la veuve de Mao, Chiang Ching, prononce l'éloge funèbre. Bref et sans surprise. En une demi-heure, tout est terminé.

Héritage

C'est maintenant l'heure de la succession. Dans le secret du sérail. Rien ne filtre pendant trois semaines. Ce ne sera que le 9 octobre que l'on connaîtra le nom du successeur. Vainqueur d'une épreuve de force dont on apprendra plus tard qu'elle a été féroce. Le samedi 9, des affiches (ces célèbres dazibao) collées sur les murs de Pékin révèlent que le Comité central a désigné Hua Kuo-feng comme président du parti, l'unique titre détenu par Mao.

La nouvelle est sans grande surprise. Sans doute d'autres pouvaient-ils prétendre à l'héritage. Mais le Premier ministre était indéniablement le mieux placé. Lorsqu'il avait été nommé à la tête du gouvernement cinq mois plus tôt, il avait déjà révélé sa toute-puissance. Homme neuf, relativement jeune (54 ans), il avait la force d'un ancien ministre de la Sécurité, l'appui de la vieille garde, la caution de l'armée. Il apparaissait comme le candidat de compromis entre la tendance dite modérée et celle des radicaux. Bref, dans l'équilibre fragile du pouvoir, un successeur sinon désigné, du moins logique.

Coup de théâtre

Le consensus qui semble avoir présidé à son élection à la tête du parti n'est pourtant qu'une apparence. Elle est balayée, deux jours plus tard, par un coup de théâtre. Le 11 octobre, le correspondant du Daily Telegraph à Pékin apprend, par des fuites calculées, que la veuve de Mao, Chiang Ching, a été arrêtée. Et, avec elle, le vice-président Wang Hong-wen et deux autres membres du bureau politique. Chiang Chun-chiao, également vice-Premier ministre, et Yao Wen-yuan. Tous quatre constituent ce que l'on appelle le groupe de Changhai, le fer de lance de la tendance radicale.

Deux versions de leur arrestation circulent alors. Selon la première, les Quatre préparaient un complot. Ils auraient été surpris au moment où, réunis, ils rédigeaient un faux testament de Mao. Selon la seconde, une violente discussion se serait déroulée au sein du Bureau politique lui-même. Les Quatre se seraient opposés à la nomination de Hua Kuo-feng et auraient réclamé une plus grande part du pouvoir. La discussion aurait dégénéré en affrontement sanglant. Hua aurait alors fait intervenir la police. Un seul fait certain : le coup de filet remonte au 6 octobre.

D'autres arrestations sont opérées dans la foulée, en particulier à l'université Peita de Pékin, bastion des radicaux, et à Changhai. Le bruit court aussi que le chef des gardes du corps de Mao Tsé-toung, Wang Tung-ling, aurait également été appréhendé.

Le déroulement des faits reste obscur. Il est même difficile de dire qui, des Quatre ou de Hua, a voulu frapper le premier. Ce qui est certain, c'est que le rapport de force, dès la mort de Mao, jouait en faveur du Premier ministre. Les radicaux, influents parce qu'ils disposaient de nombreuses tribunes et du contrôle de l'appareil de propagande, n'avaient, ni dans le parti, ni dans l'armée, les appuis ou les leviers de commande qui leur auraient permis de s'approprier le pouvoir. Leur force, c'était la caution de Mao, toujours porté à jouer une faction contre une autre. Celui-ci disparu, ils devenaient vulnérables.

Le groupe de Changhai

La bande des Quatre : sous ce vocable péjoratif utilisé après leur arrestation, quatre hauts dignitaires du régime, quatre personnalités très différentes liées pourtant depuis une dizaine d'années : par des idées ultra-révolutionnaires qui les opposent aux modérés ; par l'appartenance à une nouvelle génération qui n'a plus comme référence la Longue Marche des années 30 mais la Révolution culturelle des années 60 ; par, enfin, une ville où trois d'entre elles ont fait carrière et qui leur servira de tremplin : Changhai. D'où leur nom de groupe de Changhai. Une femme et trois hommes :
– Chiang Ching : la quatrième femme de Mao, qu'elle a rencontré dans le Yunnan en 1940. Ancienne actrice, elle ne joue un rôle politique que tardivement, à la faveur de la Révolution culturelle. Elle se lie alors avec les radicaux et devient l'égérie du groupe. Elle règne sur les arts et les lettres, réforme l'opéra, mais elle est peu populaire : on l'appelle l'impératrice douairière. Elle se heurtera toujours aux modérés, à Chou En-lai en particulier.
– Wong Hung-wen : la carrière la plus fulgurante de l'époque maoïste. En 1973, à quarante ans, cet ancien ouvrier de Changhai est promu vice-président du parti, no 3 du régime. Il doit son ascension à Mao Tsé-toung, qui a peut-être vu en lui un successeur possible.
– Chang Chun-chiao : plus âgé, il est davantage un homme d'appareil. La Révolution culturelle lui permet de passer de Changhai à Pékin. Au moment de son arrestation, il est membre du bureau politique, vice-Premier ministre et chef du Bureau politique de l'armée, trois postes qui lui confèrent une grande influence dans le parti, le gouvernement et l'armée.
– Yao Wen-yuan : journaliste, c'est l'idéologue du groupe. L'article qu'il avait écrit, le 10 novembre 1965, pour critiquer une pièce qui déplaisait à Mao Tsé-toung l'avait lancé. Il avait en fait donné ainsi le signal de la Révolution culturelle. Plus effacé que les trois autres, il était lui aussi membre du Bureau politique. Selon certaines informations non confirmées, il aurait épousé une fille de Mao.

Révélations

Quelles qu'aient été ses raisons d'agir vite, Hua s'efforce de faire ratifier son coup d'État. À titre posthume, par Mao lui-même. Selon la presse, en effet, le président aurait, quelque temps avant sa mort, dit au Premier ministre : « Si c'est vous qui devenez président du parti, je reposerai en paix. » Certaines « révélations » tendent à prouver également que l'élimination de la bande des Quatre avait été bel et bien souhaitée par le Grand Timonier ; et que, dès 1974, il avait reproché à sa femme d'avoir « une folle ambition ».