Et, le 13 juin, il pleut de nouveau des « non ». Les électeurs, certes, approuvent un article constitutionnel sur l'assurance chômage, que personne, et pour cause, ne combattait. Mais ils repoussent une loi sur l'aménagement du territoire qui donnerait, craignent-ils, à l'État fédéral trop de compétences nouvelles et trop de tâches coûteuses. Et leur mauvaise humeur à rencontre de Berne prend de telles dimensions que, le même jour, ils accordent une victoire éclatante à James Schwarzenbach. Le conseiller national avait lancé un référendum contre un prêt de 200 millions de francs consenti par les Chambres à l'Association internationale de développement (organisation fille de la Banque mondiale). Crédit véritablement symbolique. Et dont le peuple, aussi bien, fait un symbole : il le balaie. Mais les deux tiers des citoyennes et des citoyens ont boudé les urnes.

Marginales

Des affaires apparemment marginales intéressent davantage l'opinion publique. Le 8 octobre, une charge de plastic avait explosé (sans faire de victimes) au domicile du conseiller d'État Jacob Stucki, chef du département de la Police et des Affaires militaires du canton de Zurich.

La police désigne les coupables : ils sont membres d'une secte appelée Divine Light Zentrum, que dirige un sage hindou du nom de Swami Omkarananda. Le 12 novembre, tragédie : un inconnu (on ne l'a pas retrouvé) enlève et tue le petit Markus Zimmermann, 8 ans, fils d'un journaliste bâlois. Le 1er janvier, le port de la ceinture de sécurité devient obligatoire (y compris dans les localités), et des automobilistes créent des associations pour obtenir l'abolition d'une mesure jugée contraire à la liberté, voire à la dignité du citoyen.

Le 10 mars, un jugement prononcé par un tribunal militaire est accueilli dans la gêne et le malaise. L'année précédente, deux soldats avaient perdu la vie à Grandvillard (Fribourg) ; au cours d'un exercice, une avalanche les avait ensevelis. Six officiers sont inculpés. Un seul d'entre eux est très légèrement puni (un mois d'emprisonnement avec sursis) et les cinq autres se voient acquittés. Ce qui fait rebondir une dure controverse : la justice en gris-vert (accusée d'être impitoyable envers les objecteurs de conscience, infiniment compréhensive à l'égard des colonels imprudents) ne doit-elle pas être supprimée et les militaires déférés à des juges civils ?

Pendant ce temps le Conseil national approuve l'achat de 72 avions américains Tiger F-5 E pour le prix de 1 milliard 170 millions. Les concurrents évincés sont le Viggen suédois, le Mirage F-1 et le Phantom II I-4. Débat dans une atmosphère plutôt pesante : une faible minorité de parlementaires essaie d'obtenir une enquête pour savoir si les célèbres pots-de-vin versés par des sociétés américaines ont aussi mouillé la Suisse. Enquête sans objet, répond le Conseil fédéral : on n'a pas le plus petit indice d'un seul cas de corruption. En revanche, le gouvernement accepte qu'une commission... néerlandaise interroge à Zurich deux personnages douteux par les mains desquels auraient éventuellement passé les dollars destinés au prince Bernhard.

Deux conseillers fédéraux, Hans Hürlimann et Georges-André Chevallaz, célèbrent, le 26 mars, devant les caméras de l'Eurovision, la première percée du tunnel routier du Gothard. Long de 16 km, il aura coûté quelque 600 millions. Et grâce à lui, dès 1979, la grande transversale du nord au sud de l'Europe par Bâle et le Tessin permettra aux voitures et camions de rouler sans intermède ferroviaire.

Quelques semaines plus tard, une petite déflagration (mais où la dynamite, cette fois, n'est pour rien) retentit. Les éditions du Seuil publient un livre intitulé Une Suisse au-dessus de tout soupçon. Auteur : le professeur genevois Jean Ziegler, conseiller national socialiste, qui accuse son pays de s'enrichir, par le détour du commerce et de la banque, aux dépens du tiers monde, et qui déclare tout simplement qu'une invisible oligarchie de 26 industriels et financiers exerce une dictature à laquelle Conseil fédéral, Chambres et peuple tout entier sont platement soumis. Ironie et fureur, applaudissements épars. En tout cas, la thèse du complot fait immanquablement recette : le livre connaît un succès de librairie sans précédent.