Cependant, le 21 mars, on passe à la phase constructive. Les citoyennes et citoyens des trois districts du Nord élisent les 50 députés de leur Constituante. Les partis politiques se partagent naturellement les sièges, en gros, selon leurs forces numériques réelles ; néanmoins, la gauche obtient de très bons résultats et, de leur côté, les chefs du Rassemblement jurassien se voient plébiscités par les électeurs, qui font savoir de cette façon que le 23e canton devra, conformément aux promesses de ses partisans, se doter d'institutions nouvelles, originales et progressistes.

Et, le 12 avril, Delémont vibre de cloches, de coups de canon, de foule en fête. Œillet rouge à la boutonnière, les constituants défilent et vont prêter serment en l'église de Saint-Marcel, où, cent soixante ans plus tôt, les notables jurassiens avaient fait acte d'allégeance à leurs Excellences de Berne. Dès le lendemain, ils se mettent à la tâche.

Leur première séance se tient à Porrentruy, chef-lieu de l'Ajoie. Ils élisent leur président, le jeune député démocrate-chrétien François Lâchât, et deux vice-présidents, à savoir le célèbre secrétaire général du Rassemblement, Roland Béguelin, et son adjoint, Gabriel Roy. Ils adoptent un règlement de travail. De petits avions civils rasent les toits en leur honneur. Ivresse de la page blanche : pour le Jura, l'histoire a recommencé.

Législatives

Au niveau fédéral, malgré le renouvellement des Chambres, les montagnes politiques accouchent plutôt de souris. Le 26 octobre, le souverain se rend aux urnes. Disons de préférence : la moitié du souverain. Car ce sera le résultat le plus frappant des élections. Non seulement les abstentionnistes constituent désormais, en toutes circonstances, la tendance la plus forte ; mais ils seront près d'obtenir, cette fois, la majorité absolue : ils groupent 48 % des électeurs.

Quant aux partis, on enregistre un assez ample retour de balancier. Quatre ans plus tôt, les socialistes avaient reculé, et les mouvements dits « d'extrême centre » (l'Action nationale de Valentin Œhen et les républicains de James Schwarzenbach, xénophobes et traditionalistes) avaient fait élire 11 députés au Conseil national. Cette fois, les socialistes gagnent 9 sièges, l'Action nationale en perd 2 et les républicains 3. Forte poussée vers la gauche ? Certains le disent. Il est vrai que, dans les mœurs politiques suisses, un déplacement d'une dizaine de sièges parlementaires fait l'impression d'un déménagement. Tout de même, le phénomène s'est déjà produit. Et d'ailleurs les flottements de la conjoncture économique fournissent une explication plus prosaïque et plus vraie.

Car, en 1971, la machine de la production tournait à pleins gaz. Les salaires atteignaient des niveaux jamais vus. Les travailleurs étrangers, appelés à la rescousse, étaient trop nombreux. En 1975, le niveau de vie stagne, le chômage menace, les Espagnols et les Italiens s'en vont, l'assurance vieillesse et survivants connaît ses premières difficultés de financement. Ou coup, les syndicats, un peu délaissés, voient leurs effectifs remonter à toute allure, et les électeurs changent, si l'on peut dire, d'inquiétude : une partie d'entre eux passent de l'extrême centre à la gauche modérée.

Pourtant, désireux d'animer un peu le théâtre parlementaire, un éditorialiste zurichois lance un grand débat. Il propose que les vainqueurs socialistes forment avec les démocrates-chrétiens, assez bien placés eux aussi, une « coalition rouge et noire », et que chacun des deux partis place trois hommes dans le nouveau Conseil fédéral, le septième étant, on ne voit pas très bien pourquoi, un membre de la relativement modeste Alliance des indépendants. Quelques semaines durant, les journaux s'amusent avec cette idée. Puis arrive, le 10 décembre, le jour de l'élection du gouvernement. Et tout se passe comme d'habitude. L'Assemblée fédérale applique de nouveau la formule magique (une formule dont l'inventeur, l'influent journaliste démocrate-chrétien Martin Rosenberg, vient de mourir), c'est-à-dire la représentation plus ou moins proportionnelle des grands partis à l'exécutif : 2 socialistes, 2 radicaux, 2 démocrates-chrétiens, 1 agrarien (désormais : UDC).