Quelques heures plus tard, on apprend que les parachutistes de la base de Tancos, à 120 kilomètres de la capitale, sont entrés en rébellion après avoir démis le chef d'état-major des forces aériennes et le commandant de la Ier région aérienne, qu'ils jugent « réactionnaires ». Ils occupent quatre bases et la caserne de Monsanto, dans la banlieue de Lisbonne, qui est le siège de la Ire région aérienne.

Dans la capitale même, le Ralis, le fameux régiment rouge du COPCON, rejoint la rébellion et prend position sur l'autoroute Lisbonne-Porto ; des éléments insurgés se sont emparés de la télévision ; des civils armés se dirigent vers Belém.

Affolement au palais présidentiel et à São Bento, où le gouvernement est toujours en grève. Si irrésolu et fluctuant jusque-là, le président Costa Gomes prend les affaires en main : proclamation de l'état d'urgence, couvre-feu, décision d'assurer directement le commandement de toutes les unités militaires fidèles.

Les choses seront rondement menées. En moins de trente-six heures, la rébellion sera complètement étouffée, les officiers responsables appréhendés et emprisonnés, les unités impliquées seront dissoutes ou intégrées dans d'autres unités. Et, surtout, le putsch manqué va permettre la mise à l'écart de tous les éléments plus ou moins proches des communistes ou des gauchistes. L'heure sonne de la reprise en main tant réclamée et attendue.

Mise au pas

Longtemps on s'interrogera sur les circonstances de cet étrange putsch manqué, aussi ambigu que ceux qui l'ont précédé. Un succès aussi aisé inquiète les vainqueurs, qui craignent un retour de bâton. Aussi le Conseil de la révolution, « préoccupé par les menaces de guerre civile lancées avec irresponsabilité », croit-il bon de prévenir qu'il s'opposera à la subversion « par tous les moyens, y compris une action militaire ».

Le PS exulte et proclame : « Le 25 novembre a été notre victoire militaire comme le 25 avril a été notre victoire électorale », tandis que Sa Carneiro, patron du Parti populaire démocratique (PPD) s'enhardit jusqu'à réclamer l'exclusion du PC, ce qui provoque un début de scission dans sa formation.

Il s'agit cependant de pousser l'avantage afin de rendre impossible un retournement fâcheux. C'est ainsi que le général Otelo de Carvalho, chef du COPCON. est démissionné avant d'être rétrogradé au rang de commandant (il sera arrêté peu après), de même que le général Fabiao, qui est remplacé à la tête de l'armée de terre par un certain colonel Ramalho Eanes, nommé général pour la circonstance. On ne sait rien de ce dernier, sinon qu'il fut administrateur de la radio et de la télévision avant le 11 mars.

D'autre part, le gouvernement manifeste l'intention de limiter désormais la réforme agraire. On nationalise les stations de radio pour « garantir le pluralisme démocratique », et huit quotidiens, jugés favorables au PC, sont mis au pas. Des citoyens étrangers sont expulsés.

Certains toutefois s'efforcent de sauvegarder les principes de la révolution des fleurs. Tel le major Antunes, ministre des Affaires étrangères, qui plaide en faveur de la prééminence du MFA, « élément essentiel de la révolution ». « Si le MFA disparaissait, avertit-il, si on laissait la politique portugaise s'orienter uniquement en fonction des principes du parlementarisme, alors nous serions obligés d'avouer que la révolution est finie. » Mais on le traite de bonapartiste, et le Conseil de la révolution « allégé » (après la démission ou le limogeage de plusieurs officiers) étudie l'éventualité d'un « retour de l'armée dans ses casernes ».

Économie

1976 s'annonce mal. « Une année difficile », préviennent le président Costa Gomes et l'amiral de Azevedo dans leurs discours de vœux. À la maussaderie de la révolution perdue viennent s'ajouter les angoisses d'une situation économique catastrophique. En dépit des soutiens financiers étrangers accordés dès la chute de Vasco Gonçalves, le PNB a baissé de 10 à 15 % par rapport à l'année précédente, la balance commerciale a enregistré un déficit de près de 50 milliards d'escudos (8 milliards de francs), l'activité industrielle accuse une chute de près de 50 %, les réserves de devises étrangères sont épuisées et les stocks d'or entamés ou en partie hypothéqués. En outre, le chômage touche 12 % de la population active. Il faut ajouter à ce bilan l'arrivée en métropole de 400 000 réfugiés de l'Angola et du Mozambique.