Au cours du dernier plan quinquennal (1971-1975), 3 millions de jeunes sont arrivés sur le marché du travail. Mais, chaque jour, 800 000 personnes font « l'usine buissonnière », soit 7 % des salariés du secteur nationalisé. L'absentéisme est une véritable plaie économique. Après une campagne de persuasion restée sans effet, une loi d'octobre 1975 modifie les règlements de sécurité sociale. Des retenues allant jusqu'à 25 % du salaire annuel peuvent être appliquées à qui s'absente sans cause ou par sa faute (rixe, alcoolisme, etc.). En outre, en cas de maladie, seule une ancienneté de huit ans dans la même entreprise donne droit au salaire intégral. Cinq ans après le départ de Gomulka, c'est le retour à la contrainte administrative. Contestée d'ailleurs par certains économistes, en tout cas mal reçue par la population.

Pénuries

On s'irrite des pénuries temporaires qui durent ; elles portent sur des biens de consommation courante, le lait ou la viande. La fin du blocage des prix alimentaires se profile à l'horizon de l'été 1976. Ce verrouillage, vieux de cinq ans, grève trop lourdement le budget de l'État et, selon Gierek, il provoque une demande alimentaire exagérée. C'est une brutale augmentation des prix alimentaires qui fut, en 1970, à l'origine des émeutes des ports de la Baltique (Journal de l'année, 1970-1971).

Sur cette toile de fond s'ouvre le 8 décembre 1975 le 7e Congrès du Parti ouvrier unifié polonais (POUP). Pour la première fois dans la Pologne socialiste, le chef du Parti doit se justifier. Devant lui trois oppositions diversement motivées. Les pro-soviétiques inconditionnels lui reprochent de distendre les liens avec Moscou. À l'opposé, les nationalistes, ou partisans, excitent le patriotisme farouche de leurs concitoyens ; en 1971, Gierek les a écartés après leur tentative de coup d'État, mais leur chef, le général Moczar, siège toujours au Comité central. Enfin, les apparatchiks.

La réforme administrative de juin 1975, en éliminant 120 000 fonctionnaires de la vieille école, en supprimant le powiat (district), échelon intermédiaire entre la commune et la voïvodie (département), a traumatisé les apparatchiks.

Dynamisme

Face à cette levée de boucliers, Edward Gierek ne se présente pas les mains vides. Sa « seconde Pologne », il a commencé de la bâtir. À la fin des années 60 le pays était, pour le rythme de croissance, la lanterne rouge des pays de l'Est. Aujourd'hui la Roumanie seule la surpasse. La moitié des machines en service ont moins de cinq ans d'âge. La réforme administrative a allégé les pesanteurs bureaucratiques tout en renforçant le pouvoir central.

C'est pourquoi, malgré une dette extérieure dépassant 4 milliards de dollars, due à la volonté d'industrialisation non compensée par des exportations (paralysées par la crise internationale), Gierek sort vainqueur du 7e Congrès. Les changements intervenus au sein du Comité central se sont généralement opérés dans le sens qu'il souhaitait.

Dans sa résolution finale, le Congrès a décidé de mettre immédiatement en chantier le remaniement de la vieille Constitution.

Libertés

Immédiatement, et pour la première fois depuis 1968, on assiste au réveil de l'intelligentzia polonaise. Dès la mi-décembre, dans une lettre ouverte au Parlement, 59 personnalités littéraires, religieuses, scientifiques refusent cette institutionnalisation. Elles réclament la garantie des libertés de conscience et de pratique religieuse, de travail (avec droit de grève), d'expression scientifique et littéraire, d'information.

Certaines sont déjà inscrites dans la Constitution, mais leur exercice est entravé. Un débat national spontané amplifie cette protestation. Les pétitions se succèdent. Des milliers de lettres pour ou contre le projet sont adressées au gouvernement. Un ancien ministre de Gomulka, Wadyslaw Bienkowsky, écrit au quotidien du parti Trybuna Ludu pour défendre les contestataires.

Après plus de deux mois de discussions passionnées, la nouvelle Constitution est adoptée le 10 février 1976. Elle consacre la nature « socialiste » de la Pologne, mais tient compte des critiques. Le vieil article d'inspiration stalinienne sur « l'abus de la liberté de conscience » disparaît. La « coexistence sociale » remplace la « lutte des classes ». L'amitié avec l'URSS n'est plus « inébranlable » mais « renforcée ». Le rôle primordial du Parti ouvrier est affirmé, mais tempéré par l'apparition d'un Front d'unité nationale qui, pour la première fois dans un pays socialiste, donne l'apparence d'un pluralisme démocratique.

Élections

Les retombées de la contestation ne sont pas dissipées quand ont lieu, le 21 mars, les élections législatives. Certaines personnalités qui s'étaient manifestées contre le projet gouvernemental ne sont pas autorisées à se présenter. Le score personnel de E. Gierek est le plus élevé (99,99 %), dans des villes comme Gdansk, Gdynia, Szczecin (théâtre des émeutes de 1970). On enregistre cependant une baisse de participation, et, dans 40 circonscriptions sur 71, le candidat du Parti placé en tête d'une liste unique est élu en queue.