L'agriculture au travers de l'Europe verte en fait la première les frais. La fixation des prix agricoles de la campagne 1973-74, qui devait se discuter comme les autres années à la fin mars, est reculée d'un mois dans l'espoir que d'ici là certains aménagements monétaires seront trouvés à l'intérieur de la Communauté. Il n'en est rien et, par deux fois, les ministres de l'Agriculture des Neuf vont buter sur ce véritable casse-tête chinois que représente la fixation d'un prix unique pour chaque produit agricole (couvert par un règlement communautaire) dans un contexte de totale anarchie monétaire.

Monnaies

On se trouve en présence de deux monnaies stables : le franc français et la couronne danoise ; de monnaies réévaluées : le mark allemand et les monnaies du Benelux, qui se sont alignées sur lui ; de monnaies flottantes : la lire italienne et la livre britannique.

Au niveau monétaire, les positions nationales sont très tranchées ; à la demande pressante des instances communautaires de revenir à l'orthodoxie monétaire européenne, l'Italie et la Grande-Bretagne opposent un mutisme total (leur situation économique déséquilibrée et une agitation sociale continue rendent illusoire un retour rapide à un bon équilibre monétaire).

L'Allemagne se refuse catégoriquement à faire des concessions en matière de prix agricoles. Elle estime qu'elle a apporté sa contribution à un retour à l'équilibre monétaire en acceptant de réévaluer le DM de 3 %, et elle se refuse à un nouveau sacrifice qui aurait consisté à diminuer ses prix agricoles intérieurs du même pourcentage que la réévaluation. Le 29 juin, le DM est réévalué une nouvelle fois de 5,5 %.

La France estime avec non moins de détermination qu'il est absolument nécessaire, pour l'avenir de l'Europe agricole, de revenir à de véritables prix communs et qu'il convient donc de renoncer au plus vite à ce replâtrage provisoire que sont les montants compensatoires ; correcteurs utiles des disparités monétaires au sein de la Communauté, certes, mais aussi générateurs à la longue d'un déviationnisme de la doctrine communautaire définie par le traité de Rome : l'unicité des prix.

Divergentes donc sur le plan monétaire, les positions des pays membres de la CEE le sont aussi à propos de la hausse des prix agricoles à fixer et sur les produits à privilégier.

– L'Italie et la Grande-Bretagne demandent la reconduction pure et simple des prix de la campagne précédente ; position qui s'explique par le fait que les gouvernements de ces pays ne souhaitent pas voir augmenter les prix alimentaires dans le difficile contexte social qu'ils connaissent.

– L'Allemagne réclame, quant à elle, une hausse substantielle du prix des céréales et de la betterave, et souhaite une hausse aussi faible que possible du prix du lait.

– La Hollande accepte, à la rigueur, une hausse de 1 ou 2 % pour le lait.

– La France demande, contrairement à l'Allemagne, la reconduction des prix de la betterave et des céréales, mais aussi une augmentation substantielle des prix du lait et de la viande bovine et une hausse de l'ordre de 20 % pour les fruits et légumes.

À quelques jours de la négociation prévue pour le week-end des 28 et 29 avril 1973, les positions réciproques restent donc très tranchées et, devant le congrès annuel de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) qui se tient à Saint-Malo, le ministre de l'Agriculture et du développement rural, Jacques Chirac, affirme qu'il est prêt à soutenir devant ses collègues de la Communauté les vœux des agriculteurs français et cela jusqu'à la rupture, si nécessaire.

La manifestation de Valenciennes

Un rassemblement de quelque 30 000 agriculteurs se tient le 17 avril 1973, à Valenciennes, pour faire pression sur les ministres de l'Agriculture, réunis le même jour à Luxembourg pour fixer les prix agricoles de la campagne 1973-74. Venus de toutes les régions de France à l'appel de leurs dirigeants nationaux et notamment de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, les agriculteurs français sont rejoints à Valenciennes par des délégations d'agriculteurs belges, hollandais, allemands et même anglais. Knottnerus, président du Comité des organisations professionnelles agricoles de la CEE, vient personnellement apporter la caution européenne à cette importante manifestation.

Concessions

Le samedi 28 avril, dans le Kirchberg – l'immeuble des Communautés à Luxembourg où se tiennent les sessions communautaires alternativement avec Bruxelles –, la tension est à son comble. Pourtant, un slogan circule, véritable appel à la prudence : l'Europe verte est la seule véritable organisation communautaire de la CEE, la détruire, s'il n'y a pas accord, serait anéantir l'espoir de parvenir jamais à une véritable organisation à Neuf. À commencer par une Europe monétaire. De plus, à la veille des négociations commerciales multinationales qui vont s'ouvrir en septembre 1973 à Tokyo, les Européens doivent être en mesure de présenter un front commun aux exigences que l'Amérique veut imposer à la Communauté.