En raison de l'émotion suscitée par ces tragédies dans les milieux de l'administration pénitentiaire, le ministre de la Justice, René Pleven, prend, en novembre 1971, la décision de supprimer les colis de Noël aux prisonniers. Cette mesure empêcherait, pense-t-on, l'introduction d'armes et éviterait la répétition d'attentats contre les gardiens.

Elle a un effet inattendu. On lui reproche de pénaliser indistinctement détenus modèles et mauvaises têtes. Et surtout elle marque le déclenchement d'une série de mouvements de révolte qui prennent les formes les plus diverses : grève de la nourriture, refus de travail, bris de matériel, chahuts, manifestations contre les conditions de détention. Des incidents ont lieu à Poissy et à la Santé. Ils se poursuivent — bien que le garde des Sceaux soit revenu sur sa décision — à Nîmes, Amiens, Loos-lès-Lille, Écouvres et même à la prison modèle de Fleury-Mérogis. Dans l'Orne, 50 condamnés placés dans un foyer de semi-liberté occupent une église. À Riom, en mars 1972, 3 condamnés, en mettant le feu aux matelas de leur cellule, provoquent la mort d'un de leurs camarades.

Deux de ces mouvements d'agitation attirent particulièrement l'attention, car ils revêtent le caractère d'une mutinerie. Ils se produisent dans l'Est, l'un à Toul, du 5 au 12 décembre 1971, l'autre à Nancy, le 15 janvier 1972.

À Toul, 200 jeunes gens figurent parmi les 540 condamnés qui se barricadent le 9 décembre dans l'atelier de menuiserie qu'ils saccagent, tandis que d'autres, aux cris de « À bas la dictature ! », incendient la bibliothèque, descellent les barreaux, précipitent dans la cour le mobilier, la literie, la vaisselle. Ils font connaître leurs revendications, qui comportent le renvoi du directeur de la prison et du gardien-chef, jugés excessivement sévères. L'intervention de l'aumônier, l'abbé Velten, permet un retour au calme. Mais celle-ci va être à l'origine d'une nouvelle crise et d'une nouvelle mutinerie, le 13 décembre, qui, cette fois, entraîne l'intervention de la police et fait plusieurs blessés.

L'aumônier ainsi que le pasteur soutiendront que l'administration pénitentiaire les a dupés en leur promettant le départ de Galiana, le directeur de la prison. L'administration — mauvaise foi ou malentendu ? — dément. De son côté, le docteur Edith Rose, médecin-psychiatre de la prison, fait des déclarations qui mettent durement en cause le régime infligé aux détenus : brimades injustifiées, emploi de ceintures de contention (version moderne de la camisole de force) comme moyens de punition.

Le ministère de la Justice nomme alors une commission aux fins de procéder à une enquête. Elle place à sa tête Robert Schmelck, avocat général à la Cour de cassation. Le rapport, publié en janvier, conclut qu'effectivement il régnait à la prison de Toul une discipline rigoriste et tatillonne. Les condamnés ne trouvaient d'appui moral ni auprès du juge de l'application des peines, atteint de surdité, ni auprès de l'assistante sociale, qui faisait preuve d'une attitude rigide. Le texte suggère d'écarter de la maison centrale de Toul tous ceux qui ont été impliqués dans les incidents de décembre. C'est ainsi que le directeur, Galiana, finira par être muté ailleurs, tandis que l'abbé Velten et le docteur Rose, qui avaient attiré l'attention sur les défauts (désormais reconnus) de la prison, se trouveront, eux aussi, pénalisés.

La publication du rapport Schmelck va avoir une autre conséquence imprévue.

D'autres détenus, dans d'autres maisons d'arrêt, l'interprètent comme un encouragement. Ainsi, à Nancy, le 15 janvier 1972, une soixantaine de prisonniers réclament eux aussi un changement de directeur. Ils entreprennent un saccage systématique de la maison d'arrêt et l'achèvent en ôtant les tuiles du toit qu'ils projettent dans la rue. Les dégâts, évalués à 1 million de francs, ont pour résultat de rendre l'établissement inutilisable.

La répercussion de tous ces événements entraîne un vaste débat dans le public et dans la presse. Il aboutit à mettre en cause non seulement le régime carcéral, mais l'institution elle-même et son utilité. Il fait surgir une question : les gauchistes n'ont-ils pas cherché à mettre à profit le malaise et l'inévitable mécontentement des détenus à des fins subversives ? Pour sa part, le ministère de la Justice répondra par l'affirmative, en se basant sur les manifestations de soutien organisées par des maoïstes et sur les tracts qu'ils ont répandus. Autrement dit, on a cru déceler le profil de la révolution derrière celui de la révolte.

Renault-Billancourt : l'affaire Overney-Nogrette

Une immense ville-usine avec ses rues, ses avenues et l'animation coutumière due aux changements d'équipes. Il est 15 h, vendredi 25 février 1972. Des coups de feu éclatent avenue Émile-Zola, à Boulogne-Billancourt, devant les usines Renault. Un jeune homme s'écroule, mortellement blessé d'une balle en plein cœur.