Comment s'est déroulé le drame ? Depuis trois semaines, presque chaque jour, un groupe de maoïstes est là, à l'extérieur, devant les portes. Ils viennent pour soutenir trois ouvriers licenciés qui font la grève de la faim. Aujourd'hui, ils appellent les salariés à manifester le soir même au métro Charonne contre les licenciements, le chômage et le racisme. Les gardiens en uniforme, habitués aux démonstrations des maos, leur font face. Des injures sont échangées, quelques coups de gourdin s'abattent. C'est le scénario quotidien de la contestation. Surviennent les vigiles en civil — ceux qu'on surnomme les barbouzes. Leur mission ? Resserrer la discipline, surveiller et faire des rapports sur les activités des gauchistes (une soixantaine environ), prévenir les actes de sabotage qui s'ajoutent aux violences physiques contre les petits chefs (les chefs d'ateliers). Enfin, des gros bras, anciens militaires ou gendarmes aux interventions énergiques.

Le drame se déroule en quelques secondes. Un homme sort un pistolet de sa gabardine. Il s'avance calmement vers les gauchistes, qui se mettent tous à l'abri sauf un. À trois, quatre mètres d'eux, il tire ; le coup ne part pas. Il éjecte la balle et tire une seconde fois. René-Pierre Overney, 23 ans, vient d'être froidement abattu par Jean-Antoine Tramoni, 36 ans, officiellement chef administratif du service de surveillance, ancien militaire.

Stupéfaits, les gauchistes et les ouvriers assistent impuissants à la scène. Apercevant le corps gisant par terre, ils se jettent à la poursuite du meurtrier. Ses collègues essaient de couvrir sa retraite. La bataille est bientôt générale ; on se bat à l'intérieur de l'usine, jusque sur l'île Seguin.

La nouvelle du drame provoque une profonde émotion dans l'opinion et entraîne des réactions extrêmement vives des organisations syndicales et politiques. La CGT et le PC condamnent violemment la collusion entre le pouvoir, la Régie et les maoïstes : « C'est une provocation des commandos gauchistes et policiers entremêlés. », affirme la section communiste de l'entreprise.

Durant le week-end, des manifestations de protestation se déroulent, les vitrines de plusieurs concessionnaires Renault sont plastiquées, mais le lundi 28 février la Régie est extrêmement calme. Seule la CFDT avait lancé un mot d'ordre de grève qui n'est pratiquement pas suivi. « Les groupes gauchistes sont affaiblis » constate G. Marchais dans l'après-midi, au cours d'une conférence de presse ; mais le soir même, à l'appel de plusieurs organisations gauchistes, 30 000 personnes défilent dans l'ordre, de Charonne à Stalingrad.

Cinq jours après le meurtre, le corps du jeune René-Pierre Overney n'est toujours pas restitué à sa famille. Elle demande le cimetière de Billancourt ; on le lui refuse. Les tracas administratifs se multiplient, et diverses pressions sont exercées pour obtenir des funérailles à la sauvette.

Les obsèques sont finalement célébrées le samedi 4 mars 1972. Le parti socialiste et la CFDT participent officiellement aux cérémonies. Le parti communiste et la CGT sont absents. 120 000 personnes environ (18 000 selon la police, 200 000 selon les organisateurs) suivent pendant plus de trois heures, de la place Clichy au Père-Lachaise, le cercueil de René-Pierre Overney, porté par ses camarades des usines Renault. Des manifestations de solidarité se déroulent également à Toulouse, Lyon, Lille et Marseille.

Douze jours après la mort de René-Pierre Overney, le mercredi 8 mars 1972, Robert Nogrette, chef adjoint des relations sociales des usines Renault-Billancourt, est enlevé. Un meurtre, un rapt : Renault reste le centre de l'actualité.

L'enlèvement est minutieusement préparé. Tout se passe très vite : il est 7 h 35, Robert Nogrette sort de chez lui, 31, rue de Sèvres, à Boulogne-Billancourt, pour se rendre à son travail. 200 mètres plus loin, quatre jeunes gens en imperméables crème et casquettes, armés de mitraillettes, l'entourent et le forcent à grimper dans une Estafette blanche. Ficelé et enfermé dans une caisse, R. Nogrette se retrouve un quart d'heure plus tard séquestré.