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L'an I de la crise

Après la réflexion, la crise. Après s'être interrogée sur son avenir (Journal de l'année 1970-71) sans toutefois parvenir à faire adopter des mesures pratiques, la presse se trouve confrontée, en 1972, aux réalités économiques qui, une fois de plus, posent le problème de sa survie.

La situation de la presse est paradoxale : elle est probablement la seule forme d'industrie à vendre au-dessous du prix coûtant le produit qu'elle fabrique. De 1968 au 1er mars 1972, le prix des quotidiens (sauf Le Monde et l'Humanité) est resté fixé à 50 centimes, alors que dans le même temps l'augmentation des prix de fabrication s'est élevée d'environ 35 %. Par crainte de perdre des lecteurs, la profession a dû trouver en elle-même le moyen de résorber le déficit. Mais, surtout, la loi de la concurrence a joué ; les journaux les moins touchés par la crise n'ont pas craint d'opposer leur veto à l'augmentation des prix de vente, sachant parfaitement que leur position intransigeante risquait de signer l'arrêt de mort de confrères moins favorisés.

Le système de distribution a également été mis en cause. Jacques Sauvageot, directeur du Monde, a révélé qu'en 1968, le journal étant vendu 50 centimes, il revenait à l'entreprise 23,03 centimes par exemplaire vendu à Paris. En 1971, le prix du journal étant passé à 70 centimes, l'entreprise percevait 24,08 centimes. N'est-il pas surprenant de constater que le lecteur déboursant 20 centimes de plus, l'entreprise ne reçoive que 1,05 centime ?

Pour compenser la disparité entre le prix de revient et le prix de vente — ou plus précisément la recette nette provenant de la vente —, c'est à la publicité que les journaux ont recours. Mais les publicitaires — outre qu'ils répartissent leurs budgets selon des critères qui n'ont aucun rapport avec la qualité de l'information — sont maintenant davantage tentés par la télévision ; de 120 millions de francs en 1969, la publicité a versé 470 millions à la télévision en 1971.

Disparition de « Paris Jour »

Dans le même temps, les charges salariales augmentaient pour les entreprises de presse alors qu'une source de revenus baissait : le volume des petites annonces diminuait, conséquence de la crise de l'emploi.

D'octobre 1971 à février 1972, 250 emplois de journalistes sont supprimés, dont plus de 200 dans les seuls quotidiens de Paris. Aussi la rédaction de Paris Jour est-elle très sensibilisée à l'annonce d'un projet de licenciement de 33 personnes, dont 22 des 78 journalistes de l'entreprise.

La situation de Paris Jour est exemplaire en ce sens que sa popularité auprès du public n'a pas cessé de croître : son contrôle OJD est de 361 610 exemplaires. Mais une ruineuse utilisation de la couleur a, pendant quatorze mois, lourdement grevé le budget du journal. De 1957 à 1972, les pertes de Paris Journal, puis de Paris Jour s'élèvent à 150 millions de francs. En 1971, le déficit de Paris Jour est de 12 millions, soit près de la moitié du chiffre d'affaires (25 millions).

Réuni en assemblée générale le 13 janvier 1972, le personnel de Paris Jour demande que des négociations soient entreprises avec la rédaction pour obtenir la suspension des projets de licenciement jusqu'à ce que soient connus l'effet du plan d'aide à la presse et l'augmentation du prix des quotidiens sur l'exploitation économique et financière du journal. Une relance de l'entreprise est souhaitée, notamment par la restructuration du service publicité et la création d'un service de vente propre à Paris Jour. Enfin, l'adoption de mesures d'économie peut être envisagée, à condition qu'elles soient rationnelles et ne compromettent pas la bonne marche du journal.

Ces décisions se heurtent à un refus très ferme de la direction, ce qui entraîne une première grève que les syndicats CGT et FO cependant ne cautionnent pas. Dans un communiqué qu'ils publient, les syndicats CFDT et SNJ (Syndicat national des journalistes) précisent que « le personnel de Paris Jour se déclare déterminé à ne pas permettre la liquidation du journal par ses propriétaires ».