La vie religieuse

Les catholiques

L'Église est entrée dans une phase d'hésitation et d'incertitude

Jésus revient. Dans les spectacles comme Jesus Christ Superstar ou Godspell, mais aussi dans la presse et peut-être les cœurs. La Jesus Revolution, née aux États-Unis, atteint l'Europe occidentale puis même l'URSS où les journaux s'inquiètent du grand nombre de jeunes croyants. Mais s'agit-il d'une mode ou d'une reviviscence de la foi ? En France, à la veille de Pâques 1972, les journaux publient deux sondages de l'IFOP et de la SOFRES, dont l'essentiel peut être ainsi résumé : trois Français sur quatre croient en Dieu — chiffre étonnamment stable au fil des ans —, mais un sur trois seulement croit que Jésus-Christ est le fils de Dieu, encore vivant aujourd'hui. Les Français seraient donc déistes plus que chrétiens.
L'Église catholique pourrait pourtant se réjouir de cette persistance de la croyance, alors que l'on annonçait depuis des années la mort de Dieu. Mais elle est toujours aux prises avec ses propres difficultés. La contestation pratiquée par son aile gauche se double maintenant d'une contestation à son aile droite : le Rassemblement des silencieux de l'Église en est l'expression la plus massive et aussi la plus modérée. L'aile gauche, moins bruyante que naguère, paraît désormais se regrouper dans de petites communautés qui se désintéressent progressivement de l'Église et de ses structures. Mais l'abcès de fixation de la crise reste toujours la question du sacerdoce, évoquée au synode, lequel se termine par une déception.
Au total, le climat est à l'apaisement. Mais l'apaisement ne signifie-t-il pas, dans ce cas, désenchantement ? Des rumeurs — promptement démenties — annoncent même la démission de Paul VI pour son 75e anniversaire, en septembre 1972. Fidèle miroir des angoisses et des déchirements du monde, l'Église semble entrée dans une phase d'hésitation et d'incertitude.

Deux cent dix cardinaux, patriarches, archevêques et évoques réunis en présence du pape, et avec le concours d'une quarantaine d'experts et de prêtres : c'est le Synode épiscopal, dont la deuxième Assemblée générale se tient à Rome du 30 septembre au 6 novembre 1971. Le monde catholique, anxieux de trouver des solutions à la crise de l'Église, attendait beaucoup de cette réunion du conseil du pape.

Très vite, un sentiment de déception prévaudra, notamment en Europe et en Amérique, sentiment qu'un prélat français, Mgr Gabriel Matagrin, évêque de Grenoble, résumera ainsi : « Le Synode a vraiment révélé la lenteur d'évolution de l'Église dans un moment où la marche du monde s'accélère. »

Mais l'opinion, à l'intérieur de l'Église et hors de l'Église, n'avait-elle pas trop attendu de cette réunion ? On le suggère de divers côtés. Et il est vrai que l'ordre du jour du synode était très ambitieux. Il comportait deux grands thèmes : la crise du clergé et la justice dans le monde.

La crise du clergé, qui depuis des années remue l'Église dans ses profondeurs, ne se limite plus à un simple malaise dans les esprits : elle s'inscrit dans des réalités tangibles, des chiffres. En 1970, 3 800 prêtres environ ont demandé à Rome leur « réduction à l'état laïc », alors qu'en 1963, seulement sept ans plus tôt, ils n'avaient été que 167 à accomplir la même démarche. D'autres ont quitté l'Église sans demander aucune autorisation. On estime qu'entre 1963 et 1970 24 000 prêtres au total (sur un effectif mondial de 380 000 environ) ont ainsi abandonné le ministère. Dans le même temps, les séminaires se sont vidés. En France n'ont été ordonnés que 284 nouveaux prêtres en 1970 (646 en 1965), aux Pays-Bas 4 seulement (80 en 1965). Seuls, les pays de l'Est échappent à cette loi commune : en Tchécoslovaquie, en 1971, le nombre des séminaristes ordonnés prêtres est le plus élevé depuis 1950.

Quant à la volonté affirmée de l'Église de promouvoir un monde plus juste, elle se traduit parfois par des attitudes qui entraînent des difficultés avec les États, et qui provoquent, à tort ou à raison, la crainte d'une résurgence du cléricalisme, un cléricalisme de gauche cette fois.

Malaises et divergences

Ce sont donc des questions particulièrement brûlantes qu'abordent les membres du Synode, en commençant par les problèmes des prêtres. Et, très vite, un certain malaise est perceptible. Il est provoqué d'abord par des méthodes de travail mal adaptées : les débats en séance plénière se réduisent à une interminable suite de discours préparés longtemps à l'avance et qui ne tiennent pas compte des interventions précédentes (à la fin du Synode, le pape Paul VI promettra d'étudier une modification du règlement). Mais le malaise a d'autres origines, plus profondes. Des divergences assez sérieuses se manifestent entre, d'une part, les Églises du tiers monde et de l'Europe de l'Est ; d'autre part, les Églises du monde occidental : représentant, de loin, la majorité des catholiques et des prêtres, celles-ci ne disposent au Synode que de la minorité des suffrages. Enfin, il apparaît que deux approches théologiques sont en présence : l'une, celle de la majorité, réaffirme dès l'abord les principes traditionnels, puis cherche à les appliquer aux situations nouvelles ; l'autre préfère partir de l'analyse des réalités pour en déduire, en s'appuyant sur les principes, de nouveaux comportements. Les épiscopats belge, canadien, et français adoptent cette seconde attitude.

La crise du clergé

Un test de l'orientation du Synode est donné par les débats sur le célibat des prêtres, problème que l'on s'accorde à ne pas considérer comme essentiel, mais qui est significatif et retient par priorité l'attention de l'opinion. Celle des évêques aussi, puisque leurs délégués au Synode y consacrent, dans les premiers jours, une bonne partie de leurs interventions. Personne n'attendait, certes, que le Synode permette aux prêtres de se marier. Mais beaucoup pensaient qu'il allait élargir la brèche pratiquée dans la loi du célibat obligatoire par Paul VI lui-même : par une lettre du 2 février 1970 au cardinal Villot, le pape avait admis, avec d'extrêmes réserves, d'envisager l'ordination sacerdotale d'hommes mariés. Arguant de cette lettre, plusieurs épiscopats et diverses assemblées de prêtres se sont, par la suite, prononcés en faveur d'une telle solution.