« Pour explorer les contradictions des communications qui nous poussent, à certains moments, à agir ou à être pris pour un fou, nous avons besoin d'une communauté souple où les gens ne sont pas contraints à prendre les rôles de docteur, d'assistante sociale, d'infirmière ou de malade. »

Ce type de communauté est expérimenté à Kingsley Hall pendant cinq ans. Kingsley Hall peut recevoir 14 personnes à la fois. Les malades y entrent et en sortent librement. « Chacun se lève ou reste au lit à son gré, mange ce qu'il veut, quand il veut, reste seul ou avec d'autres et, en général, établit ses propres règles. » Aucun soin n'est donné. Une liberté totale des comportements, y compris des comportements sexuels, est observée. D'autres lieux d'accueil ont également fonctionné selon des principes analogues. Deux maisons appelées communes se sont ouvertes depuis 1970. Mais plus important que cette pratique, qui reste limitée et soumise à toutes sortes d'aléas — soit pour des raisons financières, soit du fait de l'hostilité de l'environnement ou encore par lassitude des expérimentateurs —, est le développement théorique de l'antipsychiatrie.

Les antipsychiatres, en renversant le problème, en sont arrivés à considérer la folie non comme une maladie du sujet, mais comme une conduite utile permettant à l'individu de se libérer des conflits affectifs dont il souffre. Le malade se délivre de sa psychose à travers un mouvement psychodramatique auquel participent tous les résidents du lieu d'accueil. Le Dr Laing présente cette libération comme un voyage, ou métanoia, un retour en arrière accompli par le sujet jusqu'à l'époque précédant le conflit pathogène. La métanoia est une façon d'annuler la répression en retournant au moment où elle n'a pas commencé. Certains sujets prétendent ainsi remonter en deçà de leur naissance.

Dialectique de l'enfer

Si l'antipsychiatrie s'apparente par là à certaines mystiques, elle a pris aussi très rapidement une dimension politique. Les antipsychiatres organisent, dès 1967, un Congrès international de dialectique de la libération, qui se donne pour objectif de mettre en évidence la façon dont progresse l'enfer dans le monde et de rechercher de nouvelles formes d'action. À ce congrès, qui dure seize jours, participent des philosophes, des économistes, des leaders politiques. On y entend Gregory Bateson, Stokely Carmichael, John Gerassi, Paul Goodman, Jules Henry, Herbert Marcuse, Paul Sweezy. On y lit des poésies vietnamiennes, on y projette des films cubains. Des provos d'Amsterdam, des étudiants de Berlin-Ouest, des représentants des activités politiques de tous les continents y assistent. Le compte rendu des débats est présenté dans un livre intitulé Counter culture ou La création d'une autre société. L'introduction de ce livre est un véritable manifeste de la contestation radicale. « C'est le premier livre qui explore en profondeur l'expression de révolution socioculturelle et la façon dont celle-ci se fait jour actuellement dans les pays développés occidentaux. Il décrit plusieurs des innovations actuelles dans la façon de vivre personnelle et dans l'organisation sociale, et rapporte également des récits de première main sur les communes, les anti-universités, les théâtres libres, l'antihôpital, les nouveaux moyens de communication : radio-pirate, journaux et cinémas clandestins, ainsi que les autres agents d'une contre-société en plein développement. »

Ce document en appelle à « une reconstruction totale et révolutionnaire de la société occidentale » et annonce « une infiltration dans la culture bourgeoise (qui) désintégrera tellement la structure actuelle qu'elle assurera sa négation ».

Importante influence

Tant par les idées développées au cours de ce congrès que par leurs ouvrages, notamment Psychiatrie et antipsychiatrie de Cooper, La politique de l'expérience et Le moi divisé de Laing, les antipsychiatres apparaissent comme les précurseurs de tout le mouvement de contestation théorique et pratique des sociétés industrielles qui s'est développé aux États-Unis, en Allemagne occidentale, en Angleterre, en Italie.