Prolongement direct de l'agriculture, l'industrie alimentaire est un secteur soumis à de nombreuses contraintes, ne serait-ce que la politique des prix. Le panier de la ménagère pesant lourdement sur les indices du coût de la vie, les prix des produits alimentaires sont suivis avec une particulière attention par les services spécialisés du ministère des Finances.

Enfin, et c'est peut-être le point fondamental, les industriels soucieux de conquérir de nouveaux débouchés, voire simplement de maintenir leur place au soleil sont obligés de jouer les devins. Les statistiques montrent qu'il est difficile de faire le portrait du consommateur idéal, qu'il soit français ou européen. Mais la difficulté est encore plus grande si l'on veut penser à l'avenir à moyen et à long terme. Que sera l'alimentation de demain ? Il est simple de la définir à grands traits (moins de calories, plus de protéines). Mais les choix sont plus complexes et plus politiques. Le conditionnement des produits alimentaires et leur nature même varieront autant en fonction de l'évolution des circuits de distribution que de celle des goûts du consommateur. Il est évident que le développement du commerce moderne entraîne la mort des produits en vrac. Demain, peut-être ne vendra-t-on que des légumes calibrés et normalisés. Quels seront les matériaux d'emballage qui seront utilisés pour les liquides alimentaires ? Question d'importance si l'on imagine que le développement du plastique peut, par exemple, remettre totalement en cause les structures du commerce traditionnel du vin en entraînant le déplacement de l'embouteillage du centre de consommation (où il se trouve actuellement) sur le lieu de production, c'est-à-dire le vignoble.

Vague de concentrations

Au cours de l'année passée, la vague des concentrations et des alliances, amorcée il y a environ trois à quatre ans, s'est affirmée : 70 à 80 accords ont été enregistrés au cours des douze derniers mois. Ces chiffres sont relativement faibles par rapport à l'effectif global du secteur (environ 5 000 entreprises de type vraiment industriel) ; mais ces accords ont intéressé, dans la plupart des cas, les entreprises de pointe, tout au moins des entreprises de taille non négligeable ayant déjà une position importante sur le marché.

Très schématiquement, on pourrait dire que l'on assiste au renforcement des leaders à une vitesse accélérée, alors que le gros de la troupe et, encore plus, l'arrière-garde semblent avoir beaucoup de mal à suivre le mouvement.

C'est incontestablement l'industrie laitière qui est à la tête du classement si l'on recense toutes les opérations de regroupement. C'est dans cette branche qu'est intervenue l'affaire la plus importante ; la prise de contrôle du holding laitier Genvrain par un groupe comprenant les fromageries Bel, le Crédit agricole et, évidemment, la Sapiem (filiale du groupe Perrier), qui était l'instigatrice de l'offre publique d'achat (OPA) déclenchée sur le plus gros ensemble laitier français. L'affaire Genvrain, survenant après la bataille BSN -Saint-Gobain, devait contribuer à ranimer la Bourse et également à sensibiliser le public à l'intense compétition engagée entre les grands de l'alimentation. La présence du Crédit agricole parmi les belligérants montrait également l'interpénétration des intérêts entre la production agricole et les transformateurs, le souhait des producteurs étant, par personne interposée, d'arbitrer un conflit mettant en jeu l'avenir de beaucoup d'entre eux...

Contenu et contenant

De toute autre nature, mais également très significatif, le regroupement des deux grandes brasseries françaises, Kronenbourg et SEB (Société européenne de brasserie), sous l'égide de BSN, mérite également qu'on s'y arrête. D'un seul coup de dés, Antoine Riboud, le dynamique PDG de la seconde entreprise verrière française, s'est installé, un an après sa tentative infructueuse d'investir Saint-Gobain, parmi les premières entreprises françaises d'alimentation.

Contrôlant déjà Évian et la phosphatine Fallière, BSN, en quête d'expansion, a joué, en l'occurrence, la carte de l'intégration du client par le fournisseur. Important fabricant de verre creux, BSN s'assurait ce que les professionnels nomment un parc de bouteilles captives, puisque, à eux seuls, la SEB et Kronenbourg totalisent environ 40 % du marché de la bière. Le vin avait retenu également l'intérêt de BSN, mais dans cette branche les plus grandes entreprises ne totalisent guère que 7 % du marché (DMS-Préfontaines et Margnat-Kiravi-Gévéor), ce qui est un score insuffisant aux yeux d'un fournisseur, soucieux certes de s'attacher les clients importants, mais aussi de ne pas mécontenter ceux qui font l'essentiel de son chiffre d'affaires.