Fidèle à sa tactique, le président laisse passer l'orage et amorce un léger mouvement de recul : toutes les troupes américaines seront retirées du Cambodge avant le 1er juillet 1970. Au début du mois de juin, Nixon réaffirme cette promesse, mais laisse les troupes sud-vietnamiennes libres de rester au Cambodge. Selon le président, les troupes de Saigon pourront, d'autre part, bénéficier d'un appui tactique aérien.

Le 11 mai, une majorité de sénateurs, dont 13 républicains libéraux, repoussent ce plan qui revient à laisser Nixon seul juge des décisions à prendre. Grâce aux manœuvres dilatoires des partisans de la Maison-Blanche, les parlementaires tardent cependant à se prononcer sur une résolution interdisant au président d'engager de nouvelles troupes au Cambodge sans en demander l'autorisation au Sénat.

Le 29 juin, les troupes américaines amorcent leur retrait du territoire cambodgien. Le 30, Nixon confirme, dans une allocution télévisée, l'évacuation à la date prévue des GI's engagés au Cambodge.

Une opinion divisée

Les divisions entre Américains se manifestent aussi dans d'autres domaines que celui du Viêt-nam. Tout se passe comme si l'Administration cherchait non pas à unifier ses administrés, mais à les diviser selon des lignes de partage bien distinctes. Outre le Viêt-nam, le problème racial, la contestation étudiante et la criminalité constituent les grands thèmes de cette campagne orchestrée par le vice-président Agnew et par le ministre de la Justice, John Mitchell, défenseur de la loi et de l'ordre, conseiller le plus écouté du président.

Le président Nixon n'a jamais beaucoup compté sur l'appui des 22 millions de ses compatriotes noirs. Et réciproquement, puisque plus de 90 % de ceux-ci se sont prononcés en 1968 en faveur de Hubert Humphrey. Le chef de la Maison-Blanche a cependant déclaré à plusieurs reprises qu'il était indispensable de construire des ponts en direction des ghettos. Dix-huit mois après son installation au pouvoir, c'est en vain qu'on en cherche la trace.

Le président paraît avoir décidé d'ignorer les revendications de la communauté noire dans l'espoir de s'attacher, lors des prochaines élections présidentielles de 1972, bon nombre des 10 millions d'électeurs qui ont donné leurs voix au candidat raciste George Wallace en 1968. Pour de nombreux observateurs, cette tentative de récupération constitue la pièce maîtresse de la politique de Richard Nixon. Le terme de stratégie sudiste, employé le plus souvent pour désigner cette politique, est passablement trompeur, car Wallace n'a recueilli dans le Sud que la moitié de ses voix ; l'autre moitié vient des grands centres industriels du Nord et de l'Est où les petits Blancs se sentent de plus en plus frustrés.

La stratégie sudiste

Cette stratégie sudiste devient manifeste dès la rentrée scolaire de 1969, lorsque la Maison-Blanche révise la politique d'intégration scolaire en usage sous les deux administrations démocrates précédentes. Dans plusieurs cas, l'Administration est amenée à ralentir l'intégration scolaire. Selon de nouveaux critères, seule la ségrégation de jure, c'est-à-dire consécutive à une législation spéciale, est condamnable ; il n'en va pas de même de la ségrégation de facto, c'est-à-dire due à des conditions particulières, comme la ségrégation de l'habitat. De la même façon, l'Administration abandonne l'un des moyens les plus radicaux pour imposer l'intégration scolaire : la menace de couper les crédits fédéraux dans le cas où l'enseignement est dispensé dans des établissements ségrégationnistes.

Autre indice de cette stratégie sudiste : les tentatives de Nixon pour imposer à la Cour suprême un juge originaire du Sud et en partageant les idées, en remplacement du juge Abe Fortas, un libéral, contraint à la démission à la suite d'indélicatesses financières. En octobre 1969, le président désigne le juge Clément Haynsworth pour occuper le siège vacant ; cette nomination est repoussée par une majorité de sénateurs en novembre. Le juge Haynsworth n'est pas moins coupable d'indélicatesses que l'homme auquel Nixon voudrait le voir succéder. Sans être un ségrégationniste résolu, la plupart de ses arrêtés témoignent de sérieux préjugés raciaux et ont été régulièrement cassés en appel.

Élections significatives

Loin d'être découragé par l'échec de la candidature Haynsworth, Nixon propose, en janvier 1970, celle de George Carswell, conservateur, également originaire du Sud. Juge de réputation médiocre et imbu de tous les préjugés du Sud, Carswell est refusé par le Sénat en avril. Nixon se résigne à proposer un juge de valeur, originaire du Nord, Harry Blackmun, ami intime du juge Burger, nommé un an avant chief justice, c'est-à-dire président de la Cour suprême, en remplacement de Earl Warren.