À l'autopsie, on constatait que les globules rouges étaient détruits. On ignorait pourquoi. En 1939, deux biologistes américains, les docteurs Levine et Stetson, suggéraient qu'il s'agissait d'un mécanisme immunologique de rejet. Pour des raisons inconnues, l'organisme de la mère s'attaquait à celui de l'enfant. L'année suivante, en 1940, la découverte d'un nouveau facteur sanguin par deux autres biologistes américains, Landsteiner et Wiener, justifiait l'hypothèse.

Le sang des individus humains ne diffère pas seulement par les caractéristiques A, B et O qui servent de base à la classification des groupes sanguins, mais par un autre facteur : le facteur Rhésus. Il s'agit d'un antigène porté par les globules rouges, ainsi nommé parce qu'on l'a découvert dans le sang des singes de même nom. Quatre-vingt-cinq pour cent des individus de race blanche possèdent cet antigène. On les dit Rh + (Rhésus positif). Les quinze autres pour cent restants, ne le possèdent pas ; on les dit Rh – (Rhésus négatif). Le sang des Rh + et celui des Rh – sont incompatibles.

La découverte du facteur Rhésus expliquait l'existence d'accidents transfusionnels entre individus qu'on avait pourtant choisis d'après les groupes A, B, O. Elle devait rendre compte également du mécanisme qui détruisait les globules rouges de certains nouveau-nés : c'est une réaction d'intolérance qui se produit quand une femme Rh – a épousé un mari Rh + et que l'enfant qu'elle porte a hérité du Rhésus paternel.

L'intolérance Rh

La première grossesse se déroule généralement sans problèmes. L'organisme maternel n'a pas encore reconnu l'intrus. La menace pèse sur la seconde maternité. Au moment de l'accouchement du premier enfant, des globules sanguins du bébé Rh + sont passés dans la circulation sanguine de la mère. L'organisme maternel, selon le processus général des défenses immunologiques, cherche à se débarrasser de ces protéines étrangères.

Pour les éliminer, il fabrique des anticorps anti-Rhésus. Ces anticorps demeurent dans la circulation. Lors d'une nouvelle grossesse, si l'enfant est de nouveau Rh +, les anticorps vont s'attaquer à ses globules rouges. Et les détruire en masse. L'ictère apparaît, rebaptisé (son mécanisme désormais connu) : maladie hémolytique du nouveau-né.

L'exsanguino-transfusion

Il a fallu dix ans aux médecins pour trouver une parade. C'est l'avènement, en 1950, d'une thérapeutique héroïque, l'exsanguino-transfusion, qui consiste à vider totalement, dès la naissance, le nouveau-né de son sang vicié pour le remplacer par du sang neuf, de même groupe. Quinze ans plus tard, en 1965, un médecin néo-zélandais, le Dr Lilly, propose de pratiquer ces transfusions avant la naissance, quand le bébé est encore dans l'utérus maternel. La technique est efficace, mais au prix de risques élevés.

C'est à la source qu'il fallait agir, au niveau de la formation des anticorps dangereux pour l'enfant. On ignorait comment. On avait constaté cependant un phénomène particulier. Quand les femmes à Rh – accouchent d'un bébé à Rh +, l'immunisation ne se produit pas lors d'une nouvelle grossesse si ces femmes appartiennent au groupe O et leur mari aux groupes A ou B. L'organisme des individus du groupe O semble en effet naturellement capable de se protéger contre les antigènes A et B qu'il ne possède pas, en fabriquant des anticorps anti-A ou anti-B.

En détruisant selon ce mécanisme les globules rouges résiduels provenant d'un bébé à la fois de groupe A (ou B) et de Rh +, l'organisme maternel se débarrassait immédiatement de l'ennemi. Il ne se sensibilisait pas. Une nouvelle grossesse pouvait avoir lieu, sans problèmes.

Le vaccin anti-Rh

L'idée de créer artificiellement ce processus chez les femmes qui ne le possédaient pas naturellement était simple. Un médecin anglais, le Dr Clarke, découvrit la solution.

Si on fournissait à la mère, dès qu'elle a accouché d'un enfant au Rhésus incompatible avec le sien, des anticorps anti-Rhésus, ceux-ci détruiraient les globules rouges du bébé restés dans la circulation, et préviendraient peut-être la fabrication des anticorps maternels, dangereux pour la seconde grossesse. L'idée était audacieuse : fournir des armes en petite quantité pour empêcher leur fabrication en grande quantité. C'est la technique du contre-feu, transposée en biologie. L'apport immédiat d'anti-Rhésus venus de l'extérieur empêche l'organisme de déclencher sa propre fabrication. L'immunisation redoutée ne se produit pas.