Le nouveau système n'est pas sans danger. Beaucoup craignent que la machine administrative ne s'alourdisse. Ils pensent aussi que l'indispensable unité économique du pays risque d'en souffrir.

La proclamation solennelle de la « fédéralisation » va coïncider symboliquement avec le 50e anniversaire de la création de la République tchécoslovaque que Thomas Masaryk avait voulue unitaire. La commémoration se déroule dans une atmosphère d'abattement. La jeunesse étudiante de Prague veut pourtant montrer que la flamme de la résistance n'est pas complètement éteinte. Elle manifeste devant le Théâtre-National, où une soirée de gala a attiré les membres du corps diplomatique. L'ambassadeur soviétique, Tchervonenko devra sortir par une porte de service.

Cet incident, survenant après bien d'autres, indigne les vieux communistes, fidèles à Novotny ou à Staline (quand ce ne sont pas simplement des gens pour qui les bonnes relations avec l'Union soviétique priment tout).

Les extrémistes des deux bords

La situation inconfortable de Dubcek et des autres dirigeants, face à ceux que l'on appelle maintenant les « extrémistes des deux bords », se manifeste avec éclat le 7 novembre, le jour de la traditionnelle commémoration de la Révolution russe. Dubcek et Cernik sont pris à partie par les vieux communistes au cours d'une cérémonie, et l'un d'eux, tirant par la manche le président du Conseil, lui demande : « Qu'attendez-vous pour sévir ? » Ce même 7 novembre, 10 000 manifestants se rassemblent dans les rues de Prague et des drapeaux soviétiques sont brûlés.

Le comité central du parti communiste dénonce l'activité fractionnelle de la gauche (les vieux communistes), mais lance un avertissement aux jeunes qui veulent poursuivre la résistance. Deux journaux qui se sont signalés par leur refus de « normaliser », le Reporter et Politika, sont frappés d'une interdiction temporaire le 10 novembre.

Les réalistes, dont le Slovaque Husak et le Tchèque Strougal, dominent les débats de la session plénière du comité central, qui s'ouvre le 14 novembre. Étape décisive. Ils obtiennent de la direction du parti une autocritique collective : l'aveu que la lutte contre les « extrémistes des deux bords », et, d'abord, contre les « tendances antisocialistes », a manqué de la vigueur nécessaire.

Ils obtiennent aussi qu'au sein du praesidium, où Vasil Bilak est à nouveau coopté, un comité exécutif restreint, composé à peu près uniquement de réalistes, surveille la mise en œuvre de la nouvelle ligne. L'organisation définitive du parti tchèque est remise à plus tard. En attendant, un bureau du parti pour les régions tchèques est mis en place sous la direction de Lubomir Strougal.

Le général Ludvik SVOBODA (73 ans) a, depuis son élection comme président de la République en mars 1968, été l'homme du dernier recours. En août 1968 et, dans une moindre mesure, en avril 1969, il interviendra pour éviter le pire. Mais le président se classe parmi les réalistes qui accepteront les concessions nécessaires. Respecté par les Soviétiques, très populaire en Tchécoslovaquie, le général Svoboda a su préserver son image.

Josef SMRKOVSKY (57 ans) a été l'idole du printemps de Prague. Plus tribun qu'homme politique, c'est lui qui galvanisait et, au besoin, calmait les foules. Cible préférée de la presse soviétique, il était condamné depuis l'intervention. Évincé d'abord de la présidence de l'Assemblée fédérale, puis, en avril 1969, du praesidium du parti, Smrkovsky n'est sans doute pas arrivé au terme de sa lente disgrâce.

Lubomir STROUGAL (44 ans), le plus jeune des membres du nouveau praesidium, est aussi celui qui se tourne le plus vers le passé. Ancien ministre de l'Intérieur de Novotny, il s'est manifesté en réclamant une épuration plus énergique des « forces de droite ». Leader incontesté des néo-staliniens, Strougal s'est, à cet égard, nettement démarqué de Husak, dont il serait, sans doute, le successeur si l'Union soviétique se montrait insatisfaite du nouveau chef du parti.

Alexandre DUBCEK (47 ans) a, pendant quinze mois — de janvier 1968, quand il succéda au stalinien Novotny, au 17 avril 1969, où il fut remplacé par Husak —, symbolisé le « socialisme à visage humain ». Inconnu au moment de son ascension, célèbre lors de sa chute, il savait depuis son retour de Moscou, le 27 août 1968, qu'il n'était plus qu'un mort en sursis, tout comme, d'ailleurs, le libéralisme qu'il incarnait. Trop romantique, même selon ses amis, Dubcek devait s'incliner devant les réalistes.