Gustav HUSAK (56 ans) doit son accession à la tête du parti tchécoslovaque aux multiples pressions de Moscou. Les Tchécoslovaques lui pardonnent difficilement d'avoir pris la place de Dubcek, mais reconnaissent quand même ses qualités. Son courage : emprisonné pendant dix ans à l'époque stalinienne, il n'a pas avoué. Son intelligence et sa ténacité : il les a montrées en obtenant un statut de nation pour sa Slovaquie natale et en négociant de pied ferme avec les Soviétiques.

Jonction entre ouvriers et étudiants

Le tournant était prévisible et prévu. Les étudiants de Prague, durcissant leur opposition à la « normalisation », formulent dans une résolution en 10 points leurs exigences de fidélité à la politique d'après janvier. Ils font une grève de trois jours dans les locaux universitaires. Pour la première fois, depuis le début de la crise, la jonction s'établit avec les ouvriers. Une position commune apparaît dans la contestation de la politique de l'équipe dirigeante. Un tournant semble s'opérer dans les masses et surtout dans la jeunesse intellectuelle et ouvrière, et dans une direction opposée à celle qui est souhaitée par le parti.

Le départ du libéral Smrkovsky

« L'année sera difficile... ». Dans son message du nouvel an, le président Svoboda peut, sans courir le risque d'être démenti, prédire un avenir sombre à ses compatriotes.

Les structures fédérales à peine mises en place, éclate, début janvier 1969, l'affaire Smrkovsky. C'est de la Slovaquie, étroitement contrôlée par Gustav Husak, que part l'attaque. Elle s'inspire, en apparence, du principe de l'égalité entre les deux nations ; le Tchèque Josef Smrkovsky doit céder sa place de président de l'Assemblée fédérale à un Slovaque — en réalité, on vise l'homme devenu un symbole du libéralisme.

C'est bien ainsi qu'étudiants et syndicalistes apprécieront cette offensive : « Nous défendrons le camarade Smrkovsky par tous les moyens, y compris la grève », déclare le puissant syndicat des métallurgistes. Le praesidium du parti dénonce cette campagne et tranche, le 8 janvier, en proposant le Slovaque Colotka comme son candidat pour l'Assemblée.

Le suicide de Jan Palach

C'est dans cette ambiance survoltée que, dans l'après-midi du 16 janvier 1969, un jeune homme inconnu s'approche de la statue de saint Venceslas, à Prague. Il s'arrose d'essence, craque une allumette. Le lendemain, le nom de l'étudiant qui s'est transformé en torche vivante sera sur toutes les lèvres : Jan Palach. Pendant qu'il agonise à l'hôpital (il mourra le 18 janvier), Prague se couvre de noir ; le portrait de celui qui va devenir le nouveau héros de la Tchécoslovaquie et son testament (il réclame le maintien du libéralisme et l'évacuation des troupes soviétiques), imprimés à la hâte, recouvrent tous les murs.

Mobilisées par les libéraux, auxquels le sacrifice de Palach a redonné une nouvelle vigueur, 100 000 personnes manifestent en silence à Prague. Le parti, le gouvernement, le président Svoboda lancent des appels au calme qui ressemblent plus à une prière qu'à une mise en garde. « Nous sommes en train de vivre les heures les plus dramatiques depuis le mois d'août. »

Sèchement, la station des forces soviétiques d'occupation, Radio-Vltava, explique : « Palach s'est suicidé parce que son éducation marxiste-léniniste était insuffisante. » Plus tard, l'URSS et les conservateurs au sein du PC tchécoslovaque parleront d'une « provocation impérialiste ».

La crise, pourtant, n'aura pas lieu. Pas encore. La Tchécoslovaquie s'arrêtera de vivre pendant cinq minutes, le 24 janvier, pour saluer la mémoire du jeune héros ; Prague fera à Jan Palach des obsèques émouvantes. Mais c'est déjà le libéralisme qu'on enterre avec lui. Et il n'y aura pas de remous lorsque, le 29 janvier, Smrkovsky quittera la présidence de l'Assemblée fédérale pour se contenter de celle de la Chambre du peuple, où 85 députés conservateurs seront contre lui.

La réplique des conservateurs ne va pas tarder. Vasil Bilak, membre du praesidium, déclare, le 1er février 1969 : « Il faut dompter les forces antisocialistes. » En plus du soutien de l'URSS, lui et ses amis bénéficient de la neutralité des réalistes, Husak, Cernik, Svoboda, convaincus qu'il leur faudra sacrifier sur l'autel de la réconciliation avec l'URSS les plus exposés des progressistes.

Le saccage de l'Aeroflot

Les événements du 28 mars 1969 fourniront le prétexte pour la grande explication, désormais inéluctable. À l'annonce de la victoire des hockeyeurs tchécoslovaques sur leurs adversaires soviétiques, à Stockholm, aux championnats du monde, une foule enthousiaste déferle dans les rues. À Prague, le siège de l'Aeroflot, la compagnie aérienne soviétique, est mis à sac ; à Bratislava, des drapeaux russes sont brûlés ; à Vsti nad Laben, des bureaux soviétiques sont dévastés. La réaction de Moscou est violente : elle stigmatise les « provocations réactionnaires » et accuse J. Smrkovsky d'avoir participé aux manifestations.